Réalisateur rare et acteur généreux, qui était Jean-François Stévenin ?
Ce qui est drôle, quand on évoque Jean-François Stévenin, c’est que la 1ère image qui vient à l’esprit est celle d’un père, qui plus est d’un instituteur, qui vient d’avoir son 1er enfant. La scène est connue de ses fans et figure dans l’un...
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Ce qui est drôle, quand on évoque Jean-François Stévenin, c’est que la 1ère image qui vient à l’esprit est celle d’un père, qui plus est d’un instituteur, qui vient d’avoir son 1er enfant. La scène est connue de ses fans et figure dans l’un des plus beaux films de François Truffaut, L’Argent de poche : le maître d’école interprété par Stévenin explique à ses élèves un peu perturbés après avoir découvert que l’un de leurs camarades était un enfant maltraité et qu’il a été embarqué par la police, lui et sa famille, que ce garçon, justement parce qu’il aura eu une enfance difficile, sera peut-être plus fort, plus combatif quand il sera grand. Idée très personnelle à Truffaut, qui a lui-même eut une enfance difficile et est devenu l’homme de cinéma important que l’on sait.
L’important, le beau, c’est que cette figure paternelle qu’est un instit explique à ses élèves ce que fut son enfance à lui (il le dit) et qu’il s’identifie à ce garçon. Père et fils, la figure court tout le long de la carrière et de l’œuvre cinématographique de Jean-François Stévenin.
Le filsFils de la Nouvelle Vague, Stévenin l’est, c’est une évidence. Et pourtant. Ce jeune homme né dans le Jura vers la fin de la Seconde guerre mondiale (donc 10 ou 15 ans après les maîtres de la NV), après avoir fait HEC (une grande école), entre dans le cinéma un peu par hasard, par le bas, où il fait un peu tous les métiers manuels ou organisationnels, au lieu de devenir cadre sup dans une grande entreprise. Mais cette entrée-là est évidemment tout le contraire de celle des cinéastes de la NV, des ancien rédacteurs de Cahiers forgerons de la “politique des auteurs”, qui ont au contraire totalement dérégulé le système très hiérarchisé de l’industrie cinématographique en devenant metteurs en scènes sans avoir suivi le cursus honorum qui veut qu’on soit longtemps assistant·e avant de devenir réalisateur·trice. Stévenin, lui, qui n’est pas un bourgeois, va rester assistant pendant 10 ans.
En 1968, il est second assistant sur La Chamade d’Alain Cavalier avec Catherine Deneuve, par exemple. Dans les années 1970, il est l’assistant de Godard, de Truffaut, de Rivette. C’est l’une des actrices fétiches de ce dernier, Juliet Berto, qui lui suggère de faire jouer l’assistant, “qui ressemble à Marlon Brando”. Rivette est un adepte de l’improvisation, surtout à cette époque-là, alors c’est oui. Et Stévenin sait effectivement jouer. Dès lors, il devient acteur, même quand il joue au fond son propre rôle d’assistant dans La Nuit américaine de Truffaut !
>> À lire aussi : Jean-François Stévenin en 2002 : “Quand on se fait plaisir, ça devient du cinéma”
Dans les années 1980, quand il est entrevueé dans l’émission de cinéma de France 2, Cinéma, cinémas, à l’occasion de la sortie de son deuxième film, Double messieurs, Jean-François Stévenin, cause encore de ces cinéastes comme de cinéastes “au-dessus” de lui, d’adultes, de “grands” frères, de pères sévères – comme Godard qui, selon Stévenin, le gronde parce qu’il ne réalise pas assez de films.
Il est vrai aussi qu’il a été beaucoup acteur, partout, chez tout le monde. La plupart du temps dans des seconds rôles, d’Alexandre Arcady à Werner Schroeter (Deux), de Godard (Passion) à Serge Korber, de Jacques Demy (Une chambre en ville) à Patrice Leconte ou Christophe Gans (Le Pacte des loups). Pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, il y a notamment eu le 1er long de Patricia Mazuy, Peaux de vache, en 1989. Stévenin a aussi tourné dans des dizaines de téléfilms, toujours bon même quand le film ne l’était pas.
Mais, bien sûr, pour celles et ceux qui ont vu les trois films qu’il a réalisés (Passe-montagne, Double messieurs, Mischka), tout est différent. Trois films, ce n’est pas grand chose, dira-t-on, et pourtant si.
Le pèreDe Rivette, Stévenin a retenu le sens de l’improvisation. De Godard, celui de l’adaptation au réel. Mais sa grande influence consciente, c’est John Cassavetes. Comme le cinéaste américain, Stévenin est aussi acteur, il va en jouer, se moquant souvent de lui-même, de son physique de non-jeune 1er, de sa calvitie, d’une fausse dent qui se barre.
Son cinéma ? Difficile à décrire : voyageur, il baguenaude souvent dans des forêts, à la recherche de qui, de quoi, on ne sait plus trop, mais c’est magique. Ce sont des moments de suspension hypnotiques qu’on connaît dans la vie mais qu’on ne montre pas souvent au cinéma (on pense aussi parfois à Jacques Rozier, sans doute parce qu’il ont tous deux fait tourner Yves Afonso dans leurs films). Quelque chose de terrien et de rêveur à la fois. Pas intello, souvent drôle, mais aussi triste, pas grand public. Il a trouvé un cinéma – son cinéma –, il n’est plus un fils, et on l’admire pour ce qu’il fait.
Il est devenu aussi un père dans la vie. Ses quatre enfants sont également acteurs·trice : Sagamore, Robinson, Salomé et Pierre. Les trois plus jeunes ont d’ailleurs joué dans son dernier film. La boucle est bouclée.
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On entendait souvent dire qu’il allait enfin tourner une adaptation d’un roman de Louis-Ferdinand Céline, qu’il voyait beaucoup la veuve de l’écrivain, Lucette Destouches, à Meudon. Mais ce serpent de mer, ce film-fantôme célinien faisait aussi partie de sa légende, d’une manière curieuse de faire du cinéma : en fantasmant un film, avec timidité, sans doute aussi avec un sens certain de la procrastination.
On le verra une dernière fois dans Illusions perdues, le nouveau film de Xavier Giannoli, qui a été sélectionné au prochain de Venise et qui sortira le 20 octobre 2021. Mais regardez surtout Passe-montagne (avec Jacques Villeret dans son meilleur film), Doubles messieurs (avec Carole Bouquet, impressionnante) et Mischka (avec le génial Jean-Paul Roussillon mais aussi Johnny Hallyday, l’ami de Stévenin, dans son propre rôle…).