Reda Kateb : “J’aimerais qu’on envisage les cités autrement que par la délinquance et l’islamisme”

C’est connu, Reda Kateb ne se sépare jamais de son chien, Paulo, un Yorkshire. Il l’accompagne partout et n’est pas farouche, puisqu’il a été immortalisé sur les illustres genoux des partenaires de l’acteur, notamment Ryan Gosling et Viggo...

Reda Kateb : “J’aimerais qu’on envisage les cités autrement que par la délinquance et l’islamisme”

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C’est connu, Reda Kateb ne se sépare jamais de son chien, Paulo, un Yorkshire. Il l’accompagne partout et n’est pas farouche, puisqu’il a été immortalisé sur les illustres genoux des partenaires de l’acteur, notamment Ryan Gosling et Viggo Mortensen.

“Tel maître, tel chien”, l’expression se vérifie ici puisque Paulo brille par sa douceur et son calme. Alors que Paulo finit sa nuit à ses pieds, son maître boit son 1er café et entame avec une nous une rencontre autour du film Les Promesses de Thomas Kruithof, dans lequel il partage la vedette avec Isabelle Huppert.

Il incarne un directeur de cabinet ambitieux qui travaille pour une maire en fin de carrière. À partir de ce film qui parvient à remarquablement tisser le sens du politique à partir de ses multiples aspects (les jeux se déroulant dans les hautes sphères du pouvoir, les querelles personnelles et la façon dont les décisions ont une influence directe sur la vie des gens), nous avons parlé avec lui de l’importance d’un tel film à deux mois de la présidentielle, mais aussi des César et d’un ressenti qu’il partage avec son personnage, celui d’être un transfuge de classe. 

Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ? 

Reda Kateb – J’avais vu La Mécanique de l’ombre un peu par hasard, un après-midi où je glandais chez moi. J’ai vraiment beaucoup aimé. Il y avait du style, une façon de faire du thriller assez rare en France, un côté original aussi. Le film ne cherchait pas à imiter des références. Je trouvais aussi qu’il y avait une belle harmonie entre des intentions de mise en scène et le récit. Donc quand j’ai lu le scénario des Promesses, je pouvais déjà projeter comment Thomas allait filmer cette histoire. Puis on s’est rencontrés, et en un rendez-vous, c’était acté qu’on travaillerait ensemble. Contrairement à L’Exercice de l’État qui se déroule dans les hautes sphères du pouvoir, Les Promesses est un thriller de politique locale dont l’enjeu est l’obtention d’une subvention pour rénover une cité. Je trouvais que le pari du film était assez fou. 

Le film repose notamment sur la belle relation que vous avez à l’écran avec le personnage incarné par Isabelle Huppert. C’est une relation mère-fils pour vous ? 

Oui, en tout cas, nous formons un couple qui a énormément de respect l’un pour l’autre. Quand le film commence, on le découvre à un point d’équilibre, avant que cela se fissure. C’est vrai qu’ils ont un lien qui pourrait faire penser à une relation mère-fils, mais c’est aussi une relation professionnelle, un rapport de mentor à élève, aussi un rapport non dénué de tendresse. C’est une relation mouvante, qui n’arrête pas de se reconfigurer tout au long du film, et j’aime ça. 

À quand remonte la 1ère fois où vous avez eu le sentiment de comprendre le sens du mot politique ? 

J’ai grandi dans une mairie communiste, à Ivry-sur-Seine. Ma mère m’avait expliqué que c’était grâce à la municipalité qu’on pourrait partir en vacances. Dans ma tête de gamin, je voyais donc le maire – il s’appelait Jacques Laloë, je voyais toujours sa tête dans le journal – comme le mec qui me permettait d’aller en colo. Faire ce film sur l’importance de la politique locale fait aussi sens par rapport à mon vécu . Ces figures avaient de l’importance dans nos vies, dans l’accès à la culture et aux loisirs. Toute mon enfance et mon adolescence, j’ai bénéficié des aides de la municipalité pour faire des projets artistiques et voyager. C’est une affaire d’idéologie, mais aussi une affaire de personnes, qui dépasse les clivages gauche-droite. C’est sur le concret que leurs actions sont appréciées. 

Il y a une dimension de jeu dans la pratique de la politique. On doit avoir un côté acteur·ice pour être politicien·ne. Mais selon vous, ce rapport est-il réciproque ?

Ça dépend de l’extension qu’on donne au terme politique. Mais dans le fait de expliquer des histoires, il y a une dimension politique, c’est sûr. La caméra, et par extension le regard du cinéaste, est porteuse d’une forme d’idéologie, tout comme le corps des acteurs et des actrices. Dans ce film, ce que j’aime, c’est par exemple le fait qu’aucun personnage n’est ramené à une caricature de lui-même. Rien que ça, pour moi, c’est politique, au sens large du terme. 

Ce n’est pas anodin de sortir un tel film à un peu plus de deux mois de l’élection présidentielle. Comment pensez-vous que le film va résonner avec le climat politique et social actuel ? 

J’espère que ça mettra un focus sur la question des politiques de la ville, qui sont rarement au centre des débats mais ont pourtant une importance capitale et très concrète dans la vie des gens. J’aimerais bien qu’on arrive aussi à envisager ces quartiers-là autrement que sur le mode de la délinquance et de l’islamisme, qui correspondent à des réalités mais sont un écran de fumée pour finalement attiser la peur et la colère alors que ça ne règle rien, au contraire. Et je trouve aussi que le film montre aussi la dignité avec laquelle ces gens vivent dans des logements difficiles mais avec un grand soin, avec un véritable tissu social. Je pense que c’est grâce à des représentations comme celles-là que les choses peuvent avancer sur ce fameux sujet des banlieues. 

Pourtant le cinéma s’est souvent intéressé à la banlieue. L’avant-dernier César du meilleur film a par exemple été décerné aux Misérables de Ladj Ly, film qui se clôt là où débute Les Promesses, sur une cage d’escalier en pagaille. 

Je n’y avais pas pensé, mais c’est vrai. Et c’est drôle parce qu’en lisant le scénario du film de Thomas, je me suis dit qu’on était presque dans le contrechamp des Misérables. Le film de Ladj Ly est collé à la dalle de béton, avec des personnages qui se débattent dans une nasse tandis qu’ici, ce sont des gens en costumes qui prennent des décisions ayant une influence directe sur ce qui se passe sur la dalle de béton. 

Si vous aviez dû remplir des fonctions politiques, ça aurait été à quel endroit ? 

Je n’aurais pas du tout aimé ça, parce que la politique implique forcément d’être conscient du game et du jeu politique, des concessions et des compromissions. Je ne critique pas ça, à mon avis cela fait partie de la politique, mais à titre personnel, je pense que ce serait trop dur. Au cinéma, je ne peux pas jouer si je ne me sens pas en totale adéquation avec le projet. 

C’est bientôt les César ; après les cérémonies très commentées de ces deux dernières années, qu’attendez-vous de cette édition ? 

C’est sain, je pense. Mais je ne pense pas que ce soit donner la meilleure image de notre métier que d’en faire une tribune pour des revendications politiques. Il vaut mieux assumer le fait qu’on ne fait que des films, qui peuvent être politiques mais qui peuvent aussi ne pas l’être. Je me méfie de la pertinence des revendications politiques de quelqu’un·e qui vient de boire trois coupes de champagne, habillé·e en smoking ou en robe de grand couturier, à une soirée où tout brille.

Après, ce qui m’intéresse plus, c’est la façon dont le goût du public est selon moi en train de changer. Après Intouchables, tout le monde voulait produire des comédies “intergénérationnelles et rassembleuses”, sans anticiper le fait que les gens voudraient surtout des films à caractère sociaux forts ; Les Garçons et Guillaume, à table, Les Misérables, Hors Normes ou Jusqu’à la garde. Et puis les César, c’est la fiesta du cinéma. Il faut assumer ça. Et ne pas donner trop d’importance à ces récompenses.

Après je dois avouer que j’étais hyper content quand j’ai reçu mon César (en 2015, pour son second rôle dans Hippocrate, ndlr.). Je l’ai vécu comme un moment très fort. J’ai pensé à mon père qui était acteur et qui est mort quelques années auparavant. Il était algérien et n’avait pas accédé à ce type de reconnaissance, même s’il a eu un beau parcours au théâtre. 

Votre personnage dans Les Promesses a une trajectoire de transfuge. Est-ce que vous vous vivez comme un transfuge social ? 

Même si j’ai grandi dans une famille où j’avais accès à la culture et au savoir, même dans les moments de précarité, je peux dire que je suis un transfuge social, parce que malgré tout, je suis passé d’un gars qui envoie des photos à des directeurs de casting pendant des années à un mec qui reçoit plein de scénarios et peut choisir les films dans lesquels il joue.

La connexion que j’ai avec mon personnage dans Les Promesses, c’est finalement une question que nous nous posons beaucoup avec d’autres transfuges, parmi mes amis. C’est la question de la culpabilité, comme si on devait porter une culpabilité d’avoir réussi. Ce que j’aime dans mon personnage, c’est qu’il s’extrait de cette culpabilité sans être dans l’arrivisme ni rejeter d’où il vient.

Quand j’ai commencé à tourner, on n’arrêtait pas de me coller cette étiquette de celui qui a réussi, comme si je devais monter sur la table et faire une danse de remerciement, alors qu’on ne demanderait jamais ça à une personne dont le parcours semble plus légitime. Elle porterait sûrement d’autres choses, comme le soupçon du népotisme. Mais c’était ma casserole.

Quand je pense à mon personnage, je me dis que venir d’un milieu pauvre, travailler quatre fois plus que les autres dans des conditions dix fois plus difficiles et finir par arriver à quelque chose, ce n’est pas suffisant ; il faut en plus remercier et porter la culpabilité d’avoir mieux réussi que les copains qui sont toujours en train de traîner en bas des tours.