Réfugiés afghans: la France doit cesser de restreindre l'accès au droit d'asile

La reprise de Kaboul par les Talibans est une catastrophe. Prévisible, elle est le fruit de politiques étrangères chaotiques et marquées par des choix économiques et électoraux aux conséquences dramatiques: des dizaines de milliers d’Afghans...

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Des réfugiés afghans sont regroupés près de l'Abbey Gate de l'aéroport de Kaboul alors que des militaires britanniques sécurisent le périmètre à l'extérieur de l'hôtel Baron, en Afghanistan, le 26 août 2021. (MARCUS YAM / LOS ANGELES TIMES)

La reprise de Kaboul par les Talibans est une catastrophe. Prévisible, elle est le fruit de politiques étrangères chaotiques et marquées par des choix économiques et électoraux aux conséquences dramatiques: des dizaines de milliers d’Afghans n’ont plus d’autre choix que celui de fuir le retour de l’ancien régime, dont les pratiques sanguinaires sont bien connues. 

Ce n’est pas la 1ère fois que l’Europe en général et la France en particulier accueille, pour les protéger, des ressortissants fuyant des pays à feu et à sang. Entre 1970 et 1990, la France a ainsi accueilli à bras ouverts des dizaines de milliers de Cambodgiens fuyant les Khmers rouges; l’accueil remarquable des “boat-people” fut similaire pour les milliers de Chiliens fuyant à partir de 1973 le régime de Pinochet. Mais une véritable frénésie législative pour lutter contre le séjour irrégulier d’étrangers, renforcer la sécurité intérieure et maîtriser l’immigration a marqué, à partir des années 1980, une inflexion continue de la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile. Plus de vingt lois consacrées aux étrangers et à l’asile ont été adoptées depuis 1980, et chaque gouvernement cherche dorénavant à influer sur la politique migratoire, trop souvent au détriment des migrants ayant des raisons sérieuses de craindre des persécutions dans le pays qu’ils fuient. 

 

Une frénésie législative pour lutter contre le séjour irrégulier d’étrangers, renforcer la sécurité intérieure et maîtriser l’immigration a marqué une inflexion continue de la qualité de l’accueil des demandeurs d’asile.

 

C’est dans ce contexte que l’allocution du Président de la République, le 16 août, a déchaîné les passions. En cause, la mention de la “nécessaire adaptation” du droit d’asile, tradition française et surtout obligation internationale, et de la “protection contre des flux migratoires irréguliers importants”. Depuis, appels au respect des droits des réfugiés et à la Convention de Genève de 1951 qui les protègent, à l’ouverture de voies légales permettant l’accueil d’Afghanes et Afghans en France, à l’application de l’asile “constitutionnel” en faveur des combattants pour la liberté, à la cessation des éloignements, au respect des engagements internationaux de la France et à la suspension des procédures dites “Dublin” au bénéfice des Afghanes et Afghans fuyant le régime foisonnent. 

Le danger réel, en France, ne réside cependant pas dans une hypothétique volonté de violer la Convention de Genève. Il n’est pas question de revenir sur le droit au statut de réfugié pour les personnes persécutées en raison de leurs opinions politiques ou encore religieuses, qu’elles soient réelles ou imputées par les nouvelles autorités afghanes. 

On peut néanmoins s’inquiéter de l’aggravation des restrictions à l’accès au droit d’asile, c’est-à-dire à toutes les barrières formelles et informelles qui limitent la capacité des demandeurs d’asile à arriver ou à déposer concrètement leur demande en France. Celles-ci sont déjà nombreuses, et pourraient être multipliées si les discussions européennes allaient dans ce sens. En particulier, l’indispensable réforme du règlement Dublin, qui vise à transférer, en fonction de divers critères, des demandeurs d’asile vers le 1er État de l’Union européenne où ils ont échoué, pourrait aboutir à un système encore moins favorable à ces demandeurs déjà placés dans des situations administratives incompréhensibles. Si le débat était rouvert, il faudrait aussi craindre un durcissement des conditions d’obtention de la “protection subsidiaire”, un régime spécifique créé par l’Union européenne pour protéger temporairement des personnes non éligibles au statut de réfugiés. C’est en particulier le cas lorsqu’elles ne sont pas personnellement persécutées mais proviennent d’une zone de guerre en proie à des violences aveugles d’intensité exceptionnelle, comme en Afghanistan. La jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) s’est néanmoins durcie récemment à l’égard des ressortissants afghans candidats à la protection subsidiaire, en décalage avec l’aggravation actuelle de la situation; il faut souhaiter que les débats européens ne conduisent pas à l’ajout de nouvelles conditions contraignantes. 

Mais il est surtout permis de redouter les conséquences de la mention, par le Président, de la “nécessaire adaptation” du dispositif juridique français. 

 

Deux réformes récentes ont déjà complexifié l’accès à une protection pour les demandeurs souvent dépassés par des procédures absconses.

 

Deux réformes récentes, en 2015 et 2018, visaient déjà à adapter notre droit à l’augmentation importante du nombre de demandeurs d’asile en France, liée au regain de violence et de persécutions de par le monde. Elles ont pour l’essentiel complexifié l’accès à une protection pour les demandeurs souvent dépassés par des procédures absconses et accéléré les procédures, en particulier en fixant des délais réduits de jugement des dossiers à la CNDA compétente en matière de contestation des décisions de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides), et en renonçant à la collégialité au profit d’un juge unique pour les affaires censées être les plus simples. Il est à craindre que la nouvelle adaptation des procédures françaises appelée par les vœux d’Emmanuel Macron s’inscrive dans cette même dynamique, laquelle conduit déjà la CNDA à traiter plus d’un tiers des requêtes par ordonnance –c’est-à-dire sans audience permettant d’entendre le demandeur d’asile exposer les persécutions dont il se dit victime– pour gagner du temps. Le spectre de la tentative gouvernementale, début 2020, de supprimer totalement la collégialité à la CNDA au prétexte de la pandémie de Covid-19, censurée par le Conseil d’État car illégale, plane si un nouveau texte devait être déposé au Parlement à la rentrée.  

À l’approche d’échéances électorales majeures, et alors que d’autre pays comme le Royaume-Uni s’apprêtent à durcir encore les conditions d’accueil des demandeurs d’asile, il faut souhaiter que l’opinion publique, bien que divisée sur les questions d’immigration, s’accorde sur le principal: la protection des populations opprimées fuyant le sang et la barbarie n’est pas une question économique, mais une question élémentaire d’humanité et d’éthique, qui devrait distinguer la France parmi les Nations. L’urgence est de rouvrir les ponts aériens et de faciliter l’accueil des populations fuyant l’horreur, et surtout pas d’adopter de nouvelles règles à la va-vite.

 

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