Rencontre à la Cosca avec Akhenaton : “Le larfeuille sous le matelas, le Glock 22 sous l’oreiller”

Il est loin le temps où Akhenaton pouvait chanter qu’il est “maigre comme un stoquefiche”, le grand frère du rap made in Marseille est aujourd’hui tanké comme un héros Marvel. A 53 printemps, il dit avoir un entraînement de sportif de haut...

Rencontre à la Cosca avec Akhenaton : “Le larfeuille sous le matelas, le Glock 22 sous l’oreiller”

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Il est loin le temps où Akhenaton pouvait chanter qu’il est “maigre comme un stoquefiche”, le grand frère du rap made in Marseille est aujourd’hui tanké comme un héros Marvel. A 53 printemps, il dit avoir un entraînement de sportif de haut niveau et se marre quand il constate qu’il pleut des cordes pour notre 1ère dans la cité phocéenne. Dans la cuisine de la Cosca, le studio que s’est offert IAM en 1997, situé dans les hauteurs de la ville, à l’orée d’une forêt calcinée abritant les Grottes Loubière, il vante les mérites de son café italien (excellent) et nous cause comme s’il poursuivait une conversation entamée la veille : “Je te le dis, j’en ai marre de voter ‘contre’. C’est toujours la même histoire, je vote ‘pour’ au 1er tour et ‘contre’ au deuxième. Ecolo au 1er, Ponce Pilate au deuxième”, nous rencarde-t-il.

Tout va très vite dans sa tête. Il passe du rapport accablant du GIEC à la Pax Tokugawa au Japon (XVIIe – XVIIIe siècle) plus vite qu’il ne rappe sur La tension monte. Au passage, AKH raille ceux qui ont relayé de fausses informations quant à sa récente hospitalisation après avoir été diagnostiqué positif au Covid-19 (il n’est pas allé en réanimation), lui qui a publiquement pris position contre le pass sanitaire, la politique de vaccinale du gouvernement et affirmé que le vaccin n’en n’est pas un. Nous, on est descendu à Marseille avec l’ambition de causer musique, pour une entrevue garantie 100% sans Je danse le Mia.

Ces derniers mois d’ailleurs, Chill n’a pas fait le mou. Pendant la période du confinement, il a mis en boîte avec le duo de beatmakers Just Music Beats l’album Astéroïde, publié La Faim de leur monde après le décès de sa mère l’automne dernier, enregistré trois EPs avec Napoleon Da Legend, rappeur de Washington, né à Paris, établi aujourd’hui à New York (The Whole in My Heart, Pt. 1, 2 & 3), participé au carton 13 Organisé et remis le couvert avec IAM pour une série de quatre EPs auto-produits à paraître d’ici la fin de l’année, dont les deux 1ers sont déjà disponibles.

“Comme tu as pu l’entendre, il y a un retour du sample chez IAM”, fanfaronne-t-il, à raison. Tiens, mais qu’avons-nous dans nos bagages ? Le numéro 70 des Inrocks daté du 11 septembre 1996, avec Neneh Cherry en couv. A l’intérieur, une compilation sur laquelle figure une version non masterisée du Côté Obscur, avec le sample d’un certain John Williams, qui refusa aux Marseillais le droit de l’utiliser. De quoi lancer la discussion.

En parlant de sample, tu as vu ce que je t’ai ramené ?

Akhenaton : Le côté obscur ! Il n’y a que vous qui l’avez eu, tu sais. Ce morceau, ça a été une sacrée prise de bec avec John Williams qui, quand même, est le sampleur numéro un. Je veux dire, sa musique, c’est du Giacomo Puccini cloné. On voulait payer, il n’y avait pas de souci, on donnait toute la compo. On ne s’attendait pas à un refus. On a eu d’autres mauvaises expériences avec les samples, mais on a aussi eu de beaux moments. Stevie Wonder qui nous autorise à sampler Pastime Paradise (1976) pour Tam Tam de l’Afrique (1991) après avoir entendu les paroles, ou encore James Brown qui nous dit ok quatre jours avant sa mort pour Tu le sais (2007), alors qu’il ne donnait depuis longtemps plus aucune autorisation. Il se souvenait de nous, on a quand même fait la 1ère partie de sa tournée en 1991.

Tu penses que votre public attendait ce “retour du sample” dans les albums d’IAM ?

Peut-être, mais les gens ne se rendent pas compte que pendant des années on s’est retrouvé au tribunal pour des histoires de sampling. Je ne suis pas JAY-Z, je ne suis pas Rick Ross, je n’ai pas 70.000 balles à mettre dans un sample. Si j’avais full budget, je ferais full sample avec IAM ou les albums d’Akhenaton. Je ne mettrais pas d’argent dans les orchestres. J’adore composer, mais je le ferais plutôt pour les autres. Parce que, le sample, c’est ma culture. Je viens de là, je suis rentré dans le rap grâce à Marley Marl et à Rakim. L’un démarrait le sample, l’autre le rap moderne. La claque de ma vie.

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Il était plus simple de sampler quand tu as commencé ?

En vérité, il n’y a jamais eu de période calme pour le sample. Il y a eu des procès, même quand tu piochais dans les catalogues de library music. Mais le rap est né comme ça, c’est un art. J’aimerais faire un documentaire de vulgarisation sur le sujet : “Qu’est-ce que le sampling ?” 98% de la composition musicale, en réalité ! Les artistes qui kiffent un morceau vont se dire : “Je vais prendre cette ligne mélodique et changer une note”. Il y a très peu de création ex nihilo, tout le monde copie. Après, tu as 12 notes, hein. La pyramide de Pascal, les combinaisons mathématiques ne sont pas infinies. Le seul truc qui a vraiment changé, c’est qu’aujourd’hui tu fais le digger sur internet. Nous, on utilise Tracklib. Les plus jeunes, Splice ou Landr. Tu as un catalogue infini. Tu payes un abonnement et tu prends ce que tu veux. C’est fini les gants Mapa dans les warehouse à New York ou Montréal.

Cela ne te manque pas un peu, d’ailleurs ?

Franchement, ça me manque beaucoup. Je dois avoir plus de 15.000 vinyles. Un quart de soul, le reste de hip-hop. Mais à un moment donné, tu vas à Montréal, tu achètes une malle pleine à craquer et tu la ramènes comment ? A l’époque, pour éviter de se faire ouvrir en quinze à la douane, on demandait à EMI de nous les envoyer par petits paquets promo : “Allo, EMI, vous pouvez me faire un envoi promotionnel ?” Parfois, je me retrouvais avec 2000 vinyles, j’avais fait tous les shops de Montréal et de New York. On appelait ça “La guerre contre les Japonais”. Eux, achetaient tout.

Tu as l’impression que le sampling a vécu une traversée du désert ?

En France, oui. Mais moins chez les Américains. Nous, on a été punis. Ces dernières années, j’ai continué à écouter des mecs comme Benny the Butcher, Conway, The Alchemist, DirtyDiggs, Thelonious Martin ou encore Eric G. C’est que du sample, tout ça ! Depuis le mitan des années 2000, j’avais cette frustration de ne pas pouvoir faire la même chose. Mais je vais te dire pourquoi les Américains prennent le risque de sampler : Là-bas, quand tu fais un disque bourré de samples, mais qu’il ne se vend pas, le mec qui veut te poursuivre n’a pas intérêt à le faire. Déjà, il faut qu’il sorte 15.000 balles pour l’avocat, et puis si ton morceau te rapporte 4000 balles, le mec ne t’attaquera pas parce que, de toute façon, il ne récupérera pas l’argent de l’avocat et qu’en plus le type sera dédommagé à hauteur de ce que ton morceau aura généré. En France, au contraire, tu peux morfler. Mais c’est aussi une question de mœurs. Aux États-Unis, tout le monde connaît bien ses classiques et sait qu’il y a 1000 morceaux avec le même riff de blues.

Les riffs n’appartiennent à personne…

Exactement. Les Rolling Stones disent la même chose. On a eu la chance un jour de rencontrer Mick Jagger pendant l’enregistrement de Rêvolution (2017). J’étais en train de faire un morceau hardcore dans la cabine de voix, quand je vois la porte s’ouvrir. Là, tu as Mick qui passe la tête en me faisant un signe d’approbation. Véridique ! Le mec est entré dans la cabine et il a écouté tout le morceau avec nous. Fatalité, c’est un morceau qu’on a dû enlever à cause d’un sample que tonton Imhotep avait oublié de déclarer. Il s’appelait Auréole. Les 3000 ou 4000 personnes qui ont acheté le CD l’ont. Mais pas les autres. C’était au Germano Studios, à New York. Keith Richards et nous travaillions avec le même assistant, Kenta Yonesaka. Je lui dis souvent : “Quand tu verras Keith, tu lui diras que les gens du hip-hop lui disent bonjour”. Autant Mick Jagger est cool, autant Keith Richards a dit deux, trois trucs pas sympa. Mais bon, après, le mec a sorti Harlem Shuffle, avec un breakbeat samplé !

Ton rapport aux machines a-t-il changé avec le temps ?

J’ai quasiment tous les grands sampleurs de l’histoire. Il m’en manque un seul, il faudrait que je me décide à l’acheter. J’ai hésité il y a quelques années, il était à 700 euros, il est à 3500 aujourd’hui. Et maintenant, j’ai la haine (rires).

Tu les as tous gardés ?

Je les ai tous. J’ai commencé en 1987 sur un Mirage, de Ensoniq, après, j’ai eu le SP-12, de E-mu, leur tout 1er, avec la grosse disquette, puis le SP-12 100. Ensuite, je suis passé à l’Emulator IV, de E-mu, le S950 d’Akai, qui a un très bon son et les S-770 et W-30, de Roland. L’arrivée de la MPC60, d’Akai, designée par Roger Linn, a été déterminante. J’ai la MPC61, la MPC62 et toutes les MPC3000 avec les convertisseurs de chaque époque. Et, surtout, chaque machine correspond à des albums d’IAM.

Tu utilises quoi à l’époque de L’Ecole du micro d’argent (1997) ?

La MPC3000, avec la nouvelle génération de convertisseurs. Elle est un peu moins aigre que par la suite, un peu plus ronde.

Et les autres albums ?

Concept (1990), notre 1ère mixtape, c’est le W-30. De la planète Mars (1991), c’est aussi W-30, puis sur Ombre et lumière (1993), on passe au SS-70, Roland, et un peu de IV, de E-mu et le SP12 pour les drums. A partir des maxis d’Ombre et lumière (La 25ème image, Reste Underground), c’est la MPC60. Et je passe sur la 3000 à partir de Métèque et mat (1995). Je travaille toujours avec des techniques MPC. J’ai la MPC-x, en fait, qui peut être soit virtuelle, soit hardware.

Depuis quand utilises-tu des outils numériques ?

C’est la disparition des samples qui m’a dirigé vers le numérique en composition. Imhotep, lui, a été plus affecté que moi par cette disparition. Moi, j’avais déjà l’expérience de la compo depuis Comme un aimant (2000), album sur lequel j’ai travaillé avec un orchestre. Ça a ouvert une voie. Sur Revoir un printemps (2003), il y a aussi beaucoup de musiciens. En réalité, j’ai commencé très tôt à composer mes propres samples, et j’ai continué par la suite, jusqu’à récemment. Aujourd’hui, j’utilise des musiciens quand j’ai les moyens, sinon des plug-in. Il y a des morceaux avec des plug-in, ils te cassent le nez ! D’autres, enregistrés avec des musiciens, qui ressemblent à des samples.

La crise du Covid-19 a-t-elle durement touché l’écurie IAM ?

Je voudrais juste que les gens comprennent que ça fait un an et demi qu’on ne gagne rien. Si ce qui est arrivé aux artistes pendant cette période était arrivé aux autres corps de métier, le pays brûlerait. Tout le monde semble trouver normal que l’on vive de nos économies, que l’on continue à payer nos employés avec nos économies : “oh, ça va, ce sont des saltimbanques !” Je veux le pointer du doigt. Comme d’autres, on a vu notre tournée être annulée, après trois mois de répétitions sans revenus. Toute ma vie, mes sous sont passés dans ce studio, le matériel et grâce à cela, on a pu traverser des moments très compliqués. Parce qu’on avait l’outil. Aujourd’hui, on ne pourrait pas sortir les EPs si on n’avait pas tout ça. Il faut comprendre qu’IAM vit à 95% de ses concerts. On vit très bien, je ne veux pas sortir les violons, mais l’argent vient du live.

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D’autant que, contrairement à la jeune scène rap, les écoutes d’IAM n’explosent pas sur les plateformes de streaming.

On stream beaucoup moins que certains, mais en concert on fait dix fois plus de personnes. On est à l’affiche des gros festivals, on remplit les salles, mais sur les plateformes d’écoute c’est plus galère. En revanche, dès qu’on sort des objets physiques, ça marche. Il faudrait regarder cela de plus près, mais je crois que ces dernières années, on est parmi les plus gros vendeurs de vinyles. On se prend la tête pour faire des beaux trucs. Et quand on vend, on vend le jour même. Notre public ne comprendrait pas que l’on passe au tout streaming. Après, quand on fait un morceau avec Jul, c’est énormément streamé, parce que son public à l’habitude d’écouter de la musique en ligne. Aujourd’hui, je me rends compte que c’est difficile d’atteindre les gens qui pourraient aimer IAM. C’est difficile de toucher un public. L’autre jour, Culture Box a rediffusé notre concert symphonique enregistré à La Rochelle et certains le découvraient seulement à cette occasion.

Tu penses qu’IAM aurait pu faire plus de cash tout au long de sa carrière ?

On n’a jamais été des hommes d’affaire. Si j’avais voulu, j’aurais pu gagner vingt fois ce que j’ai gagné. On a décidé de faire passer nos convictions avant tout. Quand on me propose trois millions de francs à l’époque pour un truc de télé-réalité, je dis non. Sur la musique, on aurait plus gagné davantage si on avait possédé nos masters, sans doute. Et puis on a eu un incident avec notre société, Côté Obscur. Les gens ne connaissent pas bien cette histoire, mais les caisses de L’Ecole du micro d’argent ont été vidées. C’est la vie.

D’ailleurs, aujourd’hui, c’est la 1ère fois depuis Concept (1989) que vous êtes indépendants et propriétaire de vos masters.

Honnêtement, on avait un beau contrat. Comment tu penses qu’on pouvait se payer le luxe d’aller mixer à New York et d’enregistrer en Thaïlande ? On avait des budgets d’albums très conséquents. Au bout du deal, s’est posée la question de signer à nouveau avec Universal ou un autre. Et puis on s’est dit que si on voulait vivre de nos disques, on ne pourrait plus le faire en major. On est nombreux, on fait disque d’or, certes, mais en tirant la langue, du coup à cinq, quand tu dois partager 10 ou 15%, tu ne vis pas.

Pour les jeunes rappeurs, aujourd’hui, être propriétaire de ses masters, c’est la base.

Tu sais quoi ? C’est nous les caves. Ta vraie richesse, ce sont les masters. Les jeunes ont bénéficié de nos erreurs. Mon fils fait du rap (le rappeur JMK$, ndlr), je les vois, les minots. Ils sont hyper vifs, ils connectent le milieu de la mode, sont potes avec des mecs à Londres, New York et Amsterdam, tu peux le croiser sur l’album d’A$AP Ant du A$AP Mob. Ils ne dorment pas, je te le dis ! Nous, on était plus lazy, mais en même temps on vient d’une génération où, dans les quartiers, tout le monde écoutait Toto, Bob Marley et Francis Cabrel. Quand on nous voyait dans la rue, on nous disait : “Oh, rappeur!”. Et puis, les gamins, ils utilisent la technologie à bon escient. Les réseaux sociaux, au sens littéral du terme : ils rapprochent des gens qui aiment la même musique. Après, je ne comprends rien à leurs histoires de cryptomonnaies, moi j’en suis encore au larfeuille sous le matelas et le Glock 22 sous l’oreiller (rires).

C’est drôle, j’aurais parié un gros billet sur le fait qu’IAM serait le 1er groupe de rap français à se lancer dans les NFT.

Il me faudrait un cours. J’ai un copain, il est tout le temps là-dessus, c’est prend trop de temps. Moi, tout ce qui me bouffe du temps sur mon écriture et mon beatmaking, ça me gave.

Le fait de travailler en sachant que le groupe sera propriétaire de ses propres masters a-t-il changé quelque chose, selon toi ?

Je pense que oui. Je l’avais déjà fait en solo, pour Soldat de Fortune (2006), We Luv New York (2011) ou même Comme un aimant (2000), mais pas sur IAM. On en est fier. Mais la vraie nouveauté, c’est le budget revu sérieusement à la baisse. Quand on se lance dans l’écriture et l’enregistrement des quatre EPs, on sait qu’on ne pourra pas avoir de studio externe, pas d’ingénieur non plus. On me dit tout de suite que c’est moi qui vais mixer. Tonton Imhotep n’était pas très présent sur ces EPs en plus, du coup j’ai fait la quasi-totalité des compo, l’écriture, le mix. Je n’avais jamais fait autant sur un album d’IAM. Après, c’est le résultat d’années à rester à côté de l’ingénieur en studio, à voler toutes ses techniques, pendant que les autres allaient promener. Je suis comme ça, je n’ai jamais lu une notice, j’espionnais les gens qui les faisaient marcher (rires). Après, la franche vérité, si on gagne un peu d’argent avec ces disques, mon objectif c’est de ne pas mixer les prochains. Chacun son métier.

Quand avez-vous mis en boîte ces morceaux ?

Fin janvier et on avait aucun compo, hein. Ça s’est fait en pointillés. Avec cette technique où tu fais tout, c’est mieux de travailler en continue. J’ai proposé aux autres de faire des morceaux tout le temps, en vrac, histoire de, si on a envie, piocher dedans si du jour au lendemain on a envie de sortir un truc. De mon côté, j’ai des tas de morceaux que je n’ai jamais sortis.

Silence (il s’arrête de causer)

Qu’est-ce c’est magnifique la musique. A faire et à écouter. Il y a de la musique qui touche les cieux. Je te recommande l’album Descendants of Cain, de Ka. T’imagines qu’avec un titre pareil, ça me cause. Tu mets le casque et t’es plus sur Terre.

Vous rendez hommage à DJ Mehdi, disparu il y a dix ans, sur le titre Feeling. Il avait notamment remixé l’un des titres de ton triptyque AKH (2001) et tu as posé sur son 1er album, avec le titre I Spy (la piste étoilée). C’est quelqu’un qui a beaucoup compté pour vous ?

Mehdi, c’est un génie. Je l’ai connu quand il était enfant. J’ai le souvenir de le voir se changer au Palace, il avait 12 ans, il était avec Kery qui en avait deux de plus. Un petit que j’ai connu jeune. Musicalement, il était ouvert à tout. On voulait travailler davantage ensemble. Le jour de sa disparition, il s’est d’ailleurs passé un truc assez mystique. On était en concert à Bayonne, au festival Black and Basque, de Jules-Edouard Moustic. Le soir, on est au catering avec Buddah Kriss et tu as l’album Sweet Exorcist (1974) de Curtis Mayfield qui passe. Arrive le morceau Make Me Believe in You et le sample des Princes de la ville du 113. On était comme des fous, quel morceau de Curtis ! Et quel morceau dans l’histoire du rap français !

Là je cause de Mehdi, à quel point il est fort, éclectique, tout ça. Le lendemain, on est dans le bus et je me dis qu’il faut vraiment, vraiment que je l’appelle. Je ne l’ai pas fait. Il est mort le soir-même. C’est banal et stupide, mais je me demande parfois pourquoi je n’ai pas pris mon téléphone à ce moment précis. Peut-être que ça aurait changé ses mouvements. Je me souviens aller le voir dans son appart à New York, il me faisait écouter des sons sur sa MPC. Le morceau I Spy (La piste étoilée) a été enregistré avec Russell Elevado aux studios Electric Lady, sur la table de mixage de Jimi Hendrix. Je la revois, là, toute pourpre.

Philippe Zdar aussi était un proche collaborateur d’IAM à une époque.

Si tu regardes les crédits de nos 1ers disques, lui et Hubert en ont mixé quelques-uns. C’est la famille. Avec Zdar, on a travaillé sur tous les 1ers maxis d’IAM. Planète Mars, Tam tam de l’Afrique. Ils ont été parmi les 1ers ingé avec qui on a travaillé à Paris.

La géopolitique du rap a beaucoup évolué depuis les débuts d’IAM, mais à Marseille, comme il y avait les compilations Chroniques de Mars à l’époque, il y a des 13 Organisé aujourd’hui. Comment se fait la passation ici, chez toi ?

C’est bien que ce soit quelqu’un de l’envergure de JUL qui ait pris cette initiative, parce que même à Paris il est estimé et apprécié. Nous, je dois dire, qu’on s’entend bien avec les jeunes générations. On est facile d’accès, même si parfois les planning sont chargés. A Paris, il y a peut-être plus de compétition qu’à Marseille, où les scènes sont plus unifiées. Après, les jeunes avec qui on bosse ils le savent très bien : moi je ne suis pas pour la voix du robot. Ça ne me branche pas. Mais il y a un respect mutuel. Quand Jul me demande de faire un morceau, je lui dis : “Ecoute, l’instru d’abord et des couplets rappés, voilà”. Et lui me répond : “Grand frère, pas de souci, c’est comme ça, on comprend”. J’ai eu l’occasion de leur expliquer aux gamins. Quand j’étais petit, je passais par la rue d’Aix, où il y avait tous les vendeurs de cassettes de raï. J’ai l’impression que le rap a repris un truc que le raï faisait très bien depuis des années. Regarde, sur Je suis Marseille, Fahar il fait le refrain en auto-tune et tout s’est bien passé ! Je me rappelle, en studio, quand il a branché l’auto-tune, tout le monde s’est retourné vers Jo (Shurik’n, ndlr) et moi. Il y a un eu un énorme éclat de rire.

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Les ruptures esthétiques et sémantiques proposées par la trap et le son du dirty south, ce n’est pas quelque chose qui a inspiré IAM à un moment donné ?

Ce retour aux caisses qu’on utilisait quand on avait 15 ans – parce que, l’utilisation de la TR-808, ce n’est ni plus ni moins que ça -, ce n’est pas quelque chose qui m’a tenté musicalement. La disparition du sample au profit du clavier, tout ça, ce n’est pas notre truc. Après, nous aussi on a fait du ternaire, quand c’est bien fait, c’est super. The Alchemist, il te fait des programmes avec Boldy James et Freddie Gibbs qui tuent. Moi, c’est surtout une question de son, j’ai du mal avec la trap pure et dure. J’aime les musicalités plus souples et plus jazz. Je n’aime pas le côté dance music.

Comment tu expliques qu’IAM sortent encore des albums en 2021 quand d’autres ont raccroché les gants depuis un bail ?

C’est la passion. Là, tu es dans mon cabinet, mon antre, ma grotte ! Même quand on n’a pas de projet, tu me trouves ici. Tout en prenant du recul, j’ai arrêté de travailler 16h par jour. J’ai basculé au moment du décès de ma maman dans une sorte de frénésie d’enfermement en studio. En tant qu’artiste, je ne réglerai pas les problèmes du monde, donc calme. Je ne retrouverai pas ma maman non plus en me tuant au travail. Les gens nous demandent souvent quand est-ce qu’on compte arrêter la musique. Quelle question de merde, quand même. Ces gens n’aiment pas la musique, ils écoutent IAM comme ils écoutent La bande à Basile.

Propos recueillis par François Moreau

EPs : Première vague et Seconde vague (Côté Obscur/Virgin Record France)

En concert dans toutes la France (toutes les dates en suivant ce lien)