Rencontre avec Cheval de Frise, précurseur du math-rock à la française

Cheval de Frise, le duo bordelais de Thomas Bonvalet et Vincent Beysselance, est une merveilleuse anomalie musicale : des compositions guitare-batterie, capturées juste avant l’émergence du mouvement math-rock au sein de trois disques sortis...

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Cheval de Frise, le duo bordelais de Thomas Bonvalet et Vincent Beysselance, est une merveilleuse anomalie musicale : des compositions guitare-batterie, capturées juste avant l’émergence du mouvement math-rock au sein de trois disques sortis entre 2000 et 2005. Membre de Powerdove, collaborateur d’Arlt, Thomas Bonvalet construit méticuleusement à la guitare les morceaux du groupe. Après trois disques devenus mythiques, il a observé l’éclosion de la musique qu’il avait lui-même initiée. 

Peux-tu nous expliquer comment tu t’es mis à faire de la musique ? 
Thomas Bonvalet – J’ai fait du violoncelle enfant, mais sans réel goût pour cela, puis de la musique de mon propre élan à 16 ans dans un contexte punk hardcore. Malgré moi, j’ai débuté avec une singularité : j’avais une basse fretless pour gaucher, alors que je suis droitier (rires). Je chantais et jouais dans un petit groupe, avec des amis d’enfance, qui s’appelait Amble. 

À quel moment as-tu fondé Cheval de Frise ? 
J’ai rencontré Vincent Beysselance à mon arrivée en 1998, à 21 ans, à Bordeaux. Il était batteur dans le groupe de punk rock mélodique Tomy. Ensemble, on a fondé Cheval de Frise. Au départ, on s’est concentré sur un duo basse-batterie, mais je me suis très rapidement senti limité. Certains groupes dans la lignée du hardcore et post-hardcore comme Gastr del Sol ou Swell intégraient la guitare acoustique dans leur musique. J’étais très attiré par ces sons-là. J’ai donc tenté d’amplifier une vieille guitare classique. 

Avec un microcontact ? 
Avec n’importe quoi. Puis, j’ai acheté une guitare électroacoustique. Même si ce n’est pas tout à fait un choix, je pense que cela a déterminé la couleur du groupe. Les guitares cordes nylon amplifiées n’étaient quasiment pas utilisées dans un contexte rock. Le fait de jouer de cet instrument avec une certaine intensité et tension liées à la culture hardcore peut assez rapidement évoquer des choses qui m’ont complètement échappées, comme le flamenco que l’on a souvent rapproché de notre musique, sans que ce soit notre influence. 

Conscientises-tu la déconstruction des mouvements et des mélodies de Cheval de Frise ou est-ce purement empirique ?  
C’est purement empirique. Il y avait beaucoup d’immédiateté. Le 1er disque (Cheval de Frise, chez Sonore, 2000) contient une urgence, et une grande évidence dans les formes. Dans le second disque (Fresques sur les parois secrètes du crâne, 2003), nous avons eu un besoin de complexifier les couleurs et les possibilités d’évocations avec les mêmes instruments. C’est un disque plus laborieux, davantage chargé de doutes et de questionnements, même si nous étions plus préparés pour ce deuxième disque, il reste inconfortable. Contrairement à Vincent Beysselance, qui avait de l’expérience avec son groupe Tomy, tout était nouveau pour moi. Techniquement, je n’étais pas au niveau de ce que je construisais, et cela créait une sorte de tension.  

As-tu eu l’impression de clarifier cette tension avec la sortie d’un troisième disque, La Lame du mat, en 2005 ? 
Oui, tout à fait. Deux ans après notre séparation, on a sorti ce troisième petit disque, qui nous a permis d’arriver à une forme pleine et accomplie, et de résoudre la tension qui habitait le second disque.  

As-tu construit ta gamme d’instruments autour d’éléments remodelés ou fabriques-tu les tiens ? 
J’utilise surtout du scotch. Bien que je sois devenu expert en différents types et emplacements de scotchs (rires), je ne suis pas véritablement bricoleur. Chaque morceau est constitué d’un agencement spécifique, et le dispositif lui-même devient une espèce d’instrument. Je me sers d’instruments pré-existants, mais je les réajuste à mes projections. Par exemple, je joue sur un banjo avec des cordes nylon de gros diamètre pour obtenir des sons de basse. C’est la réappropriation d’un instrument pré-existant. Sur scène, j’étais continuellement en train de changer d’agencement, il y avait une sorte de construction en temps réel.  

Vous organisiez aussi vos propres concerts ? 
Oui, il n’y avait pas tellement de structures à l’époque pour accueillir des musiques comme la nôtre. Je travaillais avec Franck Stofer, fondateur du label bordelais Sonore, qui a sorti notre 1er album, notamment sur l’organisation de la tournée européenne et scandinave de Ruins, un groupe japonais. J’ai repris exactement le parcours de cette tournée pour organiser la nôtre ensuite. À l’époque, on pouvait facilement organiser des concerts dans toute l’Europe. J’avais envie du romantisme des distances absurdes, des longues tournées, et des salles exiguës. 

Avais-tu, à ce moment-là, l’impression de faire partie d’un mouvement ou d’une esthétique particulière ? 
Les courants dominants de la fin des années 1980 jusqu’à l’explosion du grunge n’étaient finalement pas si éloignés de certains groupes de noise-punk, même s’il pouvait y avoir des sous-genres plus obscurs et plus complexes. Notre musique n’était pas tant marginale. Au tournant des années 2000, il y a eu peu à peu un abandon des instruments, et du rock à guitare, pour la popularisation de la musique électronique et je ne suis pas du tout allé dans cette direction. Lors des 1ers concerts de Cheval de Frise, le public était surpris d’apprécier à nouveau une musique à guitare. C’était en quelque sorte une scène vierge. Je me suis beaucoup investi en organisant des ateliers d’improvisation dans un lieu qui s’appelait Zoo Bizarre, et des concerts de groupes de ce qu’on a appelé math-rock ou noise, qui ne tournaient pas encore en France, comme Sinistri ou Gorge Trio. Cette scène s’est formalisée plus tard sous le nom de math-rock, après la sortie de notre deuxième disque. Je n’aurais probablement pas fait cette musique si elle était déjà en place, car j’avais ce goût des formes neuves, et même si notre musique fait référence à plein de groupes, il y avait tout de même un vide. 

As-tu apprécié cette émergence du math-rock ? Comment l’as-tu regardée ? 
Pas tellement. À la fin du groupe, j’ai éprouvé une sorte de rejet pour l’émergence très démonstrative et euphorique de cette musique. Il y avait des groupes énergiques et musculeux, comme Lighting Bolt. Mes nécessités expressives de construction me semblaient très éloignées de ça. La musique de Cheval de Frise est organique. Un morceau comme Lundi deux mars me rappelle un disque de Daniel Johnston et Jad Fair, It’s Spooky. Il y a une atmosphère commune : deux présences, comme deux bulles, radicalement différentes, mais qui pourtant donnent lieu à une cohésion très forte. J’étais assez attaché à cette idée : mettre deux objets en confrontation. Des lignes se tracent, un dialogue se fait. Cela donne aussi la possibilité à des formes vraiment singulières et inouïes d’émerger. Il peut y avoir déjà beaucoup de richesse et de complexité dans les individualités, car nous sommes pleins de paradoxes et d’équilibres précaires. Mais si on préserve cette étrangeté et qu’on la met en association avec d’autres éléments, cela peut créer des choses précaires et belles. Mes pures intentions musicales sont toujours beaucoup plus pauvres que ce que peuvent provoquer des situations qui m’échappent. 

Pourquoi as-tu décidé de rééditer le disque Fresques ? 
C’est une proposition de Julien Fernandez du label. J’ai beaucoup aimé travailler sur les objets avec lui. Il porte un soin méticuleux aux détails. Aujourd’hui, je me demande comment a vieilli cette musique. Certains genres ont une seconde vie ou sont revenus sans jamais partir. Avec Cheval de Frise, on sentait qu’il y avait une place pour exister, car dans le contexte de l’époque, notre musique était bizarre, et peut-être plus audacieuse que ce que l’on entendait. Le XXe siècle s’est développé à partir des avant-gardes et des phénomènes de ruptures qui stimulent la créativité, j’ai été bercé par ce renouvellement permanent et par l’émerveillement de voir des choses apparaître. 

La réédition de Fresques sur les parois secrètes du crâne, sortie le 17 novembre chez Computer Students, est disponible ici.