Rencontre avec Kira Kovalenka, nouveau prodige du cinéma russe

Dès les 1ères minutes, quelque chose tremble dans Les Poings desserrés. Est-ce l’écran qui devine les passions à l’œuvre en son sein ? Est-ce l’héroïne vénère qui sort de l’adolescence et vit dans un monde obstrué par les hommes ? Ou bien nos...

Rencontre avec Kira Kovalenka, nouveau prodige du cinéma russe

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Dès les 1ères minutes, quelque chose tremble dans Les Poings desserrés. Est-ce l’écran qui devine les passions à l’œuvre en son sein ? Est-ce l’héroïne vénère qui sort de l’adolescence et vit dans un monde obstrué par les hommes ? Ou bien nos yeux affolés par la force tellurique du film, sa puissance d’incarnation hors du commun ?

Repéré à Cannes, où sa réalisatrice Kira Kovalenko a remporté haut la main le prix Un certain regard en juillet dernier, ce deuxième long métrage russe a tout d’une divine surprise, alors que les révélations peinent à émerger dans le cinéma mondial. D’une certaine manière, l’épopée intime dessinée ici dans une petite ville d’Ossétie du Nord se place dans une lignée contemporaine faite de naturalisme et de plans surcadrés.

Mais c’est pour dépasser constamment ce rigorisme, l’alléger et l’approfondir, suivre un corps qui insiste et trace des lignes de fuite dans la contrainte. Ce film nous cause de l’intérieur de la mêlée, depuis les pores furax d’une peau qui déchire ses chaînes et les embrasse parfois.

Un 1er film sorti nulle part

On ne savait rien d’elle quand le nom de Kira Kovalenko est apparu au générique. Celle qui arrive face à nous un jour de juillet 2021, chevelure rousse, grande allure, regard ancré, ne nous en dira pas beaucoup plus, si ce n’est le récit chuchoté d’une enfance passée dans la république autonome russe de Kabardino-Balkarie, au nord de la Géorgie, et cette idée que “le cinéma était loin” dans une famille étrangère aux pratiques artistiques : “Je n’étais pas une jeune femme heureuse.”

Il se trouve que le grand cinéaste Alexandre Sokourov (Mère et Fils, L’Arche Russe) a installé dans sa ville de Naltchik un atelier de cinéma. Après une timide avancée dans le domaine du web design, Kira Kovalenko s’y inscrit selon elle par hasard en 2010. Elle a 20 ans.

“À l’époque, je ne savais pas du tout ce qu’était le métier de metteuse en scène, je n’allais même pas au cinéma. Mais le désir de faire des films a grandi peu à peu et j’ai réalisé un 1er long métrage à la sortie de l’école.” Ce 1er film, Sofitchka (2016), n’est sorti nulle part.

On repassera pour le roman d’une vocation.“J’ai mis du temps à mûrir le suivant”, dit cette proche de l’autre prodige récent du cinéma russe, Kantemir Balagov (Une grande fille), rencontré auprès de Sokourov.

Une héroïne butant contre les masses de mecs qui l’entourent

Le film suivant, le voilà avec son titre en hommage au 1er essai rageur de Marco Bellocchio (Les Poings dans les poches, 1965), son héroïne prénommée Ada (impressionnante Milana Aguzarova) brutalement étouffée par sa famille, et son inspiration venue d’une phrase de William Faulkner dans L’Intrus : “La plupart des gens ne peuvent supporter l’esclavage, mais aucun homme ne peut manifestement assumer sa liberté.”

Kira Kovalenko filme à la lisière de cette idée, montrant comment la communauté largement masculine d’une ancienne petite ville minière semble souffrir d’un radical manque d’horizon, regardant son personnage principal buter contre les masses de mecs qui l’entourent – incroyable scène de bain nocturne, digne de Claire Denis – en trouvant simultanément un chemin d’échappée.

“Protéger, préserver, pour moi c’est l’idée même du cinéma.”

Le format 2:35 (proche du Scope) donne aux cadres de Kovalenko un rôle d’enfermement et d’écrin, comme un balancement d’où naîtrait l’intensité de l’expérience. “Avec ce format, on ne voit presque jamais le ciel. Mais il permet d’avoir comme des ailes sur les côtés de l’image. Or, mon héroïne est toujours entourée d’hommes. On sent qu’il y a quelque chose derrière les hommes, mais je la filme au sein du groupe, quasiment jamais seule. Elle vient se cogner, se confronter aux parois de ce cadre. Finalement, je cherche aussi à la protéger. Protéger, préserver, pour moi c’est l’idée même du cinéma.”

Tourné en Ossétie du Nord dans des paysages rudes et avec des acteur·trices du coin pour les rôles secondaires, Les Poings desserrés évite la complaisance que la situation d’Ada et la misère à l’œuvre – sociale, psychologique – pourraient laisser supposer. Il y a quelque chose de très brut mais aussi d’une rare finesse dans le regard de cette cinéaste en éclosion, une attention décisive aux détails (les mains du père, crispées par la maladie et par l’obsession) qui donne le sentiment d’une possession par l’art.

“Pour moi, le cinéma induit des images très précises”, dit-elle, à la fois candide et mystérieuse. Elle cite alors deux films qui l’ont marquée, deux phares : Close Up d’Abbas Kiarostami (1990) et Wanda de Barbara Loden (1970). Kira Kovalenko a beau apparaître au moment où les réalisatrices semblent enfin tenir une place centrale, elle vient aussi de loin, d’un absolu du cinéma qu’elle rend à nouveau désirable.

Les Poings desserrés de Kira Kovalenko, avec Milana Aguzarova, Alik Karaev, Soslan Khugaev (Ru., 2021, 1 h 37). En salle le 9 février.