Rencontre avec La Fève, la “new wave” du rap français
“Neutron comme Jimmy, La Fèvе jeune chimiste/Entrе moi et la prod’, t’as capté l’alchimie.” En une punchline savamment distillée, La Fève vient cristalliser l’essence de sa musique et de ses obsessions. Extrait de Kolaf, sa 1ère tape entièrement...
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“Neutron comme Jimmy, La Fèvе jeune chimiste/Entrе moi et la prod’, t’as capté l’alchimie.” En une punchline savamment distillée, La Fève vient cristalliser l’essence de sa musique et de ses obsessions. Extrait de Kolaf, sa 1ère tape entièrement produite par le beatmaker Kosei, le morceau Alchimie capte, à la fois, son sens scientifique pour le rap technique et sa manière de le fondre symbiotiquement dans les productions de son acolyte.
Habitué des freestyles depuis sa prime adolescence, le jeune rappeur de Fontenay-sous-Bois (94) a raffiné sa formule sur cette mixtape publiée en septembre 2020 : 9 titres qui puisent leur inspiration dans les productions aquatiques de l’Américain Pi’erre Bourne et le rap expressionniste de Young Nudy ou Playboi Carti. Issu de la nébuleuse composée des rappeurs Khali, Dundy et S-Tee et une cohorte de producteurs dans leur sillage, l’artiste de 21 ans est la 1ère secousse sismique d’une nouvelle vague qui s’apprête à déferler sur la France. Entre influences, considérations esthétiques et écriture nocturne, rencontre avec le jeune alchimiste du rap français.
Comment as-tu commencé le rap ?
La Fève – J’ai un ami qui s’appelle Dundy qui fait du rap depuis la sixième. C’était mon meilleur ami, on traînait tout le temps ensemble. On avait pris l’habitude de freestyler, de rapper depuis l’âge de 13-14 ans.
C’était quoi tes 1ères influences au départ ?
En tout 1er, c’était le rap qui passait à la télé : La Fouine, Booba, Diam’s, Youssoupha, Sefyu. Après, quand j’ai écouté du rap plus sérieusement, je me suis tourné vers du plus underground parisien : Le Gouffre, Sëar Lui-Même, Saké des Zakariens, etc.
Tu t’es rapidement placé dans une scène émergente avec Khali, S-Tee ou Dundy. Comment votre équipe s’est-elle formée ?
Au départ, je ne connaissais personne à part Dundy. Puis j’ai rencontré Kosei (son producteur sur Kolaf, ndlr), qui m’a présenté Khali, et j’ai découvert qu’il y avait plein de gens qui taffaient la musique comme moi, en mode geek. On enregistrait tous au même endroit aussi : le 99 studio, où va aussi Chanceko.
Qu’est-ce qui vous a réuni ?
Je pense qu’on n’est pas beaucoup à aimer les prods comme nous. On cherche à avoir notre propre identité musicale et je pense que c’est ce que cherchent les gens maintenant. Ils en ont un peu marre des sonorités classiques et ils cherchent des identités fortes.
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Tu penses que le rap francophone avait besoin de cette esthétique et ces sonorités que vous ramenez ?
Oui, de fou. Je pense que, moi, je n’ai pas énormément de talent mais comme j’ai aimé le rap français en 1er, je sais l’analyser, je sais ce qui lui manque. Donc le but c’est de ramener des sonorités qui peuvent mettre d’accord plein de monde. Les gens pourraient danser sur le rap qu’on fait, mais ils ne le savent pas encore. On va essayer de les éduquer. C’est ça notre rôle.
Dans ton morceau La Foudre, tu dis : “Toi tu es un copieur/Du coup tous les rappeurs tu les imites.” Est-ce que tu crois que le rap français n’est pas assez original ?
Dans tous les milieux artistiques, j’ai l’impression qu’il y a toujours des leaders. Pour le rap, je sais qu’il n’y aura jamais un rap game où tout le monde a sa vibe, il y aura toujours des suiveurs. En France, on n’est pas des flemmards, mais on cherche trop la facilité. On s’accroche trop aux recettes de projets qui marchent. Mais ces recettes sont dépassées ! Il faut changer l’air, c’est comme ça l’art. C’est toujours des choses qui se détruisent et qui recommencent. Chaque fois que je cause de rap français avec des gens, ils ont tous le même constat : ils sont tous saoulés.
Est-ce qu’il y a des rappeurs qui t’ont amené vers cette trajectoire ?
Je ne les ai pas cités dans mes influences mais je suis à fond sur Ateyaba et 3010. Avec Ateyaba et d’autres, ça a commencé à se décomplexer. Avant, quand j’écoutais du rap en 2010-2011, c’était des boucles, du boom-bap. Quand des gens comme Ateyaba et Hamza sont arrivés avec des producteurs tels que Ponko, Ikaz Boi… les gens ont commencé à se rendre compte du potentiel des prods.
Est-ce que les récents succès de rappeurs indépendants t’influencent ?
Oui, parce que je sais que c’est ça la recette pour faire de bons morceaux. Il faut juste être vrai. Mais celui que j’admire le plus, c’est Jul. Si tu veux garder ta musique pure, c’est bizarre d’avoir des gens qui te disent quoi en faire.
Tu penses que ça peut inspirer d’autres gens ?
Je l’espère. Je ne dis pas que c’est un travail facile, mais personnellement je trouve ça passionnant. Mais il y a trop de rappeurs qui ne cherchent pas assez alors que c’est devant leurs yeux. Moi, j’ai tout fait chez moi. Dans 10 ans, je pourrais encore faire de la musique chez moi. Jul fait encore de la musique dans sa cabane. Ça veut dire que tu peux faire des trucs de fou de chez toi, tranquillement.
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T’as rencontré un succès d’estime sur Soundcloud, vers 2018. Qu’est-ce que tu aimes sur cette plateforme ?
Soundcloud, c’est bien parce que c’est lowkey, c’est entre musiciens. Tu n’as pas directement, comme sur YouTube, des tacles dans les commentaires si t’es mauvais. Je n’ai jamais eu de complexe à balancer des trucs sur Soundcloud. C’est comme si c’était un journal intime pour moi. Et voir tous les rappeurs qui commencent sur la plateforme, tu vois l’esthétique de chacun et ça te donne envie de créer la tienne.
Tu fais partie d’une génération qui a percé sur Internet pendant le confinement, et notamment sur Twitter où tu as une importante communauté. Qu’est-ce que tu penses de cet engouement ?
C’est particulier de fou. Je pense qu’on est la 1ère génération à prendre ça. Je ne me rends même pas compte. On a fait de gros chiffres sur Kolaf, mais je ne peux même pas visualiser le nombre de personnes que ça représente. Après, pour te causer de succès, ce n’est pas que je n’aime pas ma musique, mais je pourrais te dire que les gens, ils abusent (rires). Je trouve que ça ne méritait pas tout ça encore. Mon succès, il traduit une espèce de manque chez les gens. J’ai compris que tout le monde en avait marre du rap français. J’ai bien aimé Kolaf, mais je trouve ce succès injustifié et je vais essayer de le justifier.
Sur l’EP Nocturnes 1, tu écris : “Si t’écoutes c’est que tu fais partie des vrais, de ceux qu’ont quelque chose dans la tête.” Tu penses que tu fais un truc pas forcément accessible ?
Avant, je pensais ça. Parce que c’était le cas. Ma musique n’était pas forcément hyper accessible avant Kolaf. Avant, je kickais, je kickais, et c’est depuis peu que je me suis mis à chanter, faire des mélodies à l’Auto-Tune. Et je pense que, par la mélodie, je peux toucher plus de gens. Je pense que je fais exprès de ne pas faire de la musique trop underground – je peux en faire, mais je vais la laisser sur Soundcloud. Je préfère essayer de faire aimer ma vision au public mais avec leurs codes. J’aime bien la musique ouverte donc ce n’est pas un problème pour moi de rentrer dans l’accessibilité. C’est la meilleure manière de faire bouger les choses, en vrai.
Lala&ce disait récemment en entrevue : “Je veux que ma musique de niche devienne un standard.” Tu te retrouves là-dedans ?
C’est vraiment ça. Il y a des milliards de codes qu’on ne connaît pas parce qu’ici, en France, on te dit que pour percer, il faut faire de la zumba, etc. Mais aux States, ils dansent sur de la bonne musique en boîte. Nous aussi on pourrait faire ça, pas besoin de travestir sa musique.
Revenons sur la trilogie des Nocturnes sur ton Soundcloud. Comment est-ce que ça a débuté ?
Franchement, il n’y avait personne qui m’écoutait. Je faisais ça pour moi. Il y en a 3 sur Soundcloud mais j’avais prévu d’aller jusqu’à 50. Les Nocturnes, c’est vraiment ce que je voulais faire au début : de la musique de nuit.
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C’est quoi de la “musique de nuit” ?
Avant Nocturnes, j’étais chez mes parents donc je ne pouvais pas enregistrer de nuit. Comme je te disais, moi j’ai appris à rapper avec des mecs old school, donc avant, je criais de fou. Je profitais quand mes parents n’étaient pas là, je me libérais. Finalement, je suis parti habiter chez mon ami Sticko, à Fontenay, et c’était la 1ère fois que j’avais des voisins. Donc quand je rappais trop fort, ça commençait à toquer à la porte. Je me suis alors mis à rapper en parlant, en mode nonchalant, et c’est comme ça que j’ai trouvé ma manière de rapper. Maintenant je bosse tout le temps la nuit. J’aime bien le silence.
Ça s’entend dans le fait que ta musique respire beaucoup ?
C’est ce que je te disais. Avant, je criais et je rappais vite. Et je me suis dit : “Calme, calme.” Au début, tu as trop envie de mettre des mots, des mots, des mots, mais les vrais rappeurs, ils savent mettre les espaces qu’il faut.
Comment s’est fait la rencontre avec ton producteur de Kolaf, Kosei ?
On s’est rencontrés bêtement sur Instagram. J’avais écouté le projet de Khali et j’avais vraiment kiffé les prods. Il m’a envoyé un message et on a commencé à faire du son. J’ai vraiment l’impression que le ciel me l’a envoyé (rires). C’est exactement ce que je cherche dans la musique : les mélodies et la 808, ce sont mes prérequis. Au départ, j’avais peur. Je trouvais ses prods trop belles et j’avais l’impression que j’étais trop nul pour elles. Je venais juste de commencer l’Auto-Tune, j’avais peur de les saccager.
Les albums rappeur/producteur sont assez peu répandus en France, qu’est-ce qui a pris auprès du public ?
Les gens aiment bien les projets originaux. Les projets rappeur/beatmaker je trouve que c’est parfait pour créer un univers. J’aimais bien les Nocturnes parce que ça faisait comme des capsules d’univers. J’aime bien mettre play, et que ça change l’atmosphère. C’est pour ça que je trouve que c’est important d’être cohérent du début à la fin. C’est plus dur de garder une cohérence avec des musiciens ou des producteurs qui ne se connaissent pas. Avec Kosei, c’était logique, ça marche.
Je voulais aussi te causer de la couverture qui donne une direction artistique à la tape.
C’est vrai qu’elle va trop bien au projet. Je n’arrive plus à dissocier les deux maintenant. C’est un projet pas trop joyeux mais lumineux quand même, donc j’aimais ce côté sombre avec des couleurs vives. J’avais en tête la peinture et le tableau American Gothic de Grant Wood. J’ai envoyé deux photos, et après c’est Pablo Prada qui s’en est occupé. La cover c’est sa patte, je n’y ai rien apporté.
Même si l’album cause beaucoup de réussite matérielle et financière, j’ai l’impression que ton ambition est avant tout artistique ?
Les deux quand même. Je te cause comme si j’étais passionné par ça, mais l’amour que j’ai maintenant, ça fait seulement deux ans que je l’ai. J’ai appris à être passionné, et maintenant ça me matrixe de fou. Mais, justement, je crois que ce qui m’obsède, c’est ce truc pervers de me dire “il y a de l’argent derrière”. Au final, je ne sais même pas si j’en veux vraiment, si c’est ça mon but, mais c’est une motivation. Mon cerveau m’a donné ça comme motivation, j’y pense tout le temps. Et quand j’aurai de l’argent, j’aurai d’autres motivations.
Sur ce côté obsessionnel, tu as une punchline où tu dis que c’est ton “devoir de poser sur les prods”.
Depuis 2 ans, je me suis mis dans un truc où, si je veux vraiment percer, je dois faire de la musique tous les jours. Même si ça met 10 ans. Mais je pense que je ne suis pas le seul, tous les rappeurs sont piqués. Ma vie tourne autour de ça, il n’y a rien de plus important. Je pense vraiment qu’à ça.
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Tu fais ce qu’on pourrait appeler du “rap de sensations” où la musique dépasse le texte. Tu te retrouves dans cette dénomination ?
C’est américain. Quand on était petits, on se disait : “Tu prends un morceau américain, tu le traduis, et tu verras, ça ne veut rien dire.” Mais en fait, ils avaient tout compris. La musique, ce n’est pas un livre. Moi, je crois vraiment en la beauté des mots plus qu’en leur sens. Je suis plus intéressé par une rime qui passe bien à l’oreille plutôt qu’un truc sensé. Il faut mêler les deux, mais au début j’étais dans un complexe où je me disais : “Je n’ai pas de punchlines, j’écris pas comme les autres.” Au final, c’est ce que les gens aiment. Tu rentres plus facilement dans leur oreille en disant des trucs plus simples. Je ne veux pas tomber dans les mots compliqués. De toute façon, je pense que je n’ai pas assez de vocabulaire pour ça.
Au niveau des thèmes, tu utilises pourtant les mêmes que les rappeurs en place.
Je pense que c’est toujours comme ça. Pour moi, il y a 10 grands sujets et tu t’amuses avec ça. Ils sont tellement vastes et il y a tellement de manières de les appréhender, de faire des rimes que moi ça me va. Même quand j’essaye de causer d’autres sujets, ça me paraît hors sujet, en fait.
T’as déjà conscience de la manière dont tu vas gérer ta carrière ?
Je suis trop stressé. J’ai une image précise, mais ce n’est pas bien de voir la vie comme ça. Dès que j’ai une idée précise, il arrive quelque chose que je ne contrôle pas, et puis ça m’emmène à un endroit insoupçonné et, en fait, c’est bien aussi. C’est-à-dire que j’ai une vision, j’ai de l’ambition – je me vois vraiment futur Roddy Rich, futur grand – et cette image, je garde ça comme un but.
Quels sont tes projets prochainement ?
Une grosse tape. Je pense que ce sera le seul grand format de ma carrière, où je vais montrer toute ma palette. Je veux réunir plein de beatmakers et j’ai trop hâte. J’y pense tous les jours.
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