Rencontre avec Nelson Beer, le musicien qui transforme l’incertitude en subversion

Qu’on le rencontre une 1ère fois de passage aux Trans Musicales en décembre 2018, à l’occasion d’un bien plus intime showcase aux Balades Sonores en janvier 2020, ou sur la scène de la Gaîté Lyrique dans le cadre du Prix Société Ricard Live...

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Qu’on le rencontre une 1ère fois de passage aux Trans Musicales en décembre 2018, à l’occasion d’un bien plus intime showcase aux Balades Sonores en janvier 2020, ou sur la scène de la Gaîté Lyrique dans le cadre du Prix Société Ricard Live Music quelques jours après, on a toujours senti que quelque chose tiraillait Nelson Beer.

Alternant hymnes pop aux (quasi) traitres sophistications sur une 1ère vague de titres (Raime, I Am A Woman et Nadya) et mixes réservés aux références moins conventionnelles (voyant par exemple s’y rencontrer M.E.S.H., Lee Gamble et Pharmakon) sur sa page Soundcloud, le musicien semble avoir décidé de ne pas choisir entre deux créneaux d’apparence opposés.

>> A lire aussi : Nelson Beer, l’artiste cyborg

Ce n’est pas tant que la coexistence de ces deux registres au sein d’une même carrière soit impossible, mais plutôt le fait que la façon dont le producteur les fait s’interférer dans sa musique semble autant traduire une volonté de décloisonnement des styles qu’une réponse à une frustration plus personnelle. Et ce n’est pas autre chose que semblait confirmer en début d’année la sortie d’Orlando, éponyme single d’un nouvel ep paru le 7 mai dernier, cristallisant à son meilleur la finesse qu’offre à la musique du musicien sa démarche.

L’occasion se voulait donc forcément rêvée pour rencontrer Nelson Beer et en avoir le cœur net : que sa musique traduit-elle ? Une approche inévitablement manichéenne à laquelle le Suisse d’origine a su répondre avec la subtilité qui caractérise sa position : “Je ne sais pas ce qu’elle traduit, je pense que c’est important de laisser une liberté d’interprétation dans la musique, attaque-t-il quand on le rencontre dans son appartement du XIe arrondissement de Paris. Le chant est quelque chose qui vient hyper naturellement pour moi, mais j’ai encore tendance à penser que c’est trop prendre les gens par la main que d’expliquer la musique avec des paroles. C’est évidemment une manière de rentrer dans un morceau, mais j’ai envie qu’on puisse aussi écouter ma musique pour créer une ambiance.”

Ecosystèmes individuels

Et si la musique de Nelson Beer répondait autant à ses propres obsessions qu’elle laissait place à celles de son public ? Multiformes, modulables autant qu’elles sont modulées, les productions du musicien pourraient être pensées dans une subversion de la pop (en ce qu’elle a d’égoïste) au profit d’un universel. Une interprétation qui ne se donne pas si simplement à voir, tant les thèmes que revêt cet Orlando sont multiples et mouvants. Orlando est nommé en référence au personnage du livre de Virginia Woolf, justifie Nelson. Ça explique l’histoire d’un jeune poète qui vit sur plusieurs siècles et qui voit tout un tas de trucs se passer. Il devient une sorte de témoin de l’évolution des choses et aussi de leur non-évolution, du fait que ce sont toujours les mêmes schémas qui se répètent.

Une source d’inspiration forcément idéale pour inviter à s’imprégner autant qu’à se libérer du propos de cet ep qui, par une esthétique sonore et visuelle du biologique (traduite dans un remarquable travail sur les textures, entre field recording et minutieux sound design, comme sur l’intro Forma, ou dans le clip de And the Thunder), nous enjoint à penser notre rapport aux écosystèmes, dont on porte la responsabilité de la destruction à échelle collective mais dont nous sommes aussi les individuels témoins de l’effondrement.

De quoi faire résonner ensemble les impossibles mais complémentaires échelles du personnel et du collectif, mais aussi de l’intime et de l’universel en proposant, pourquoi pas, de percevoir à travers la figure de l’écosystème celle de l’individu, dont les maux de la destruction s’apparentent à ceux de la biosphère en général. Le tout avec une approche viscérale de la pop, ici mobilisée comme un cadre dont l’intérêt n’est pas d’opposer une composition en-dedans ou en-dehors des limites qu’il fixe, mais plutôt d’établir un rapport moins dichotomique à elles. C’est pour composer toujours selon mais jamais vraiment avec ou contre les frontières du style que Nelson Beer semble le mobiliser, comme une frontière impensée, à l’image du significatif clip d’Orlando, tourné dans la vallée des Glaciers en Savoie, “entre les frontières suisses, italiennes et françaises. J’avais envie que ce soit dans un endroit d’entre-deux, où les limites sont naturelles”.

Cadre pop

Une posture qui confère à l’artiste une liberté de création primordiale, pour lui à qui le succès ferait presque peur : “Je crois que je préfère rester dans la niche dans laquelle je suis. C’est une décision que j’ai dû prendre ces deux dernières années quand j’ai commencé à faire de la musique, finit par avouer Nelson. J’ai peur que de rentrer dans le jeu du consommateur-producteur m’enlève cette liberté de faire ce que je veux : de passer d’un album pop à un album techno ou à un disque d’ambient… Du coup je suis en train d’essayer de reprendre le contrôle, et je me dis que ce qui m’intéresse vraiment aujourd’hui c’est le médium du son et son étude…”

On pense alors à Björk, Oneohtrix Point Never ou encore Nicolas Jaar (dans des registres bien différents), et la possibilité d’une célébrité sans entraves artistiques semble se dessiner, mais là n’est pas vraiment l’enjeu : “Je ne dirais pas que j’ai envie de tirer mon épingle du jeu, je suis juste un fanboy en fait. J’aime beaucoup de choses autour de moi et j’ai envie de les expliquer à ma manière. Mon but n’a jamais été de me situer dans une économie particulière par la musique, mais je suis pas non plus sûr qu’on puisse échapper totalement à cette question.”

C’est avec autant de finesse que dans le propos de son auteur que la musique de Nelson Beer s’ouvre et (se) donne à penser. En appelant aux questions des limites, de la violence et du traumatisme, Orlando apparaît finalement comme un objet mutant et modulable à s’approprier pour penser notre rapport à l’autre, à l’aune d’une période transitionnelle dont l’apprentissage du partage semble être l’enjeu.