Rencontre avec Turner Cody, cowboy du macadam
Turner Cody est pile à l’heure au rendez-vous Zoom, prêt à répondre aux questions du journaliste. “Je suis chez moi, à St. Louis, Missouri”, nous rencarde-t-il. Voilà deux ans que le cowboy est établi dans cette bourgade du Midwest, loin du...
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Turner Cody est pile à l’heure au rendez-vous Zoom, prêt à répondre aux questions du journaliste. “Je suis chez moi, à St. Louis, Missouri”, nous rencarde-t-il. Voilà deux ans que le cowboy est établi dans cette bourgade du Midwest, loin du brouhaha new-yorkais. On se hasarde à lui demander s’il connait cette rime du rappeur Murphy Lee, qui tenait un couplet sur le remix du Welcome to Atlanta de Jermaine Dupri et Ludacris : “I’m so Saint-Louis / Ask my tattooist.” Turner se marre et préfère citer Time, de Tom Waits. “When you’re east of East Saint Louis…” Le voilà qu’il chantonne. “Pas mal de morceaux causent de Saint Louis, poursuit-il. La chanson de Tom Waits, c’est sacrément beau. East Saint Louis, c’est de l’autre côté du Mississippi, dans l’Illinois. Ce n’est pas un coin très bien famé. Mile Davis vient de là. The other side of the tracks, mec.”
Si Turner Cody a bien voulu nous causer, c’est parce qu’il vient de sortir Friends in High Places, un nouvel album mis en boîte avec ses amis belges de The Soldiers of Love, bande de mercenaires menée par Nicolas Michaux. Le plus européen des cowboys américains en a profité pour nous causer de ce disque, du retour de la country music et du New York des années 2000. Cadeau bonus : la playlist de Turner Cody pour Les Inrocks, à retrouver à la fin du papier. Rencontre.
>>> A lire aussi : La critique du nouvel album de Turner Cody
Comment as-tu rencontré Nicolas Michaux et les Soldiers of Love, avec qui tu as enregistré ce nouvel album ?
Turner Cody : J’avais quelques chansons de côté que j’avais prévu de sortir comme je l’ai toujours fait. Et puis j’ai rencontré Nico par l’entremise d’un ami de Bruxelles, Greg (Grégoire Maus, co-fondateur de Capitane Records, ndlr). Il pensait qu’on avait des choses à se expliquer lui et moi. Ce qui fut le cas. On a fini par tourner ensemble. A la fin de cette tournée, en 2018, j’allais rentrer à New York pour bosser sur mon nouvel album. Et c’est là que Greg et Nico m’ont dit : “Hey, au lieu de rentrer mettre en boîte ton disque comme tu as l’habitude de le faire, pourquoi tu ne resterais pas ici, à Bruxelles, pour l’enregistrer avec nous ?” Pour moi, cette proposition sonnait comme une idée complètement nouvelle.
Je n’étais pas très sûr au début, et puis j’ai fini par me lancer. J’avais donc ces démos avec moi, que nous avons commencé à bosser avec Nico. Ma musique n’avait jamais sonné comme cela avant. Je ne suis qu’un musicien country-folk-indie, tu sais. Je fais des disques en rameutant une poignée de musiciens, à l’américaine, on joue ensuite les morceaux et l’album est instantanément prêt à sortir. Je suis fan de Nico et des Soldiers of Love, mais à l’époque, je ne me rendais pas compte à quel point Nico était un bon producteur et la vision qu’il pouvait avoir de ma musique. Il a créé quelque chose de plus grand, que je ne soupçonnais pas pour ma musique.
Il t’a fallu du temps pour t’adapter à cette nouvelle manière de bosser ?
Tu sais, cela fait maintenant plus de 20 ans que je fais de la musique, et ces dix dernières années, je dois dire que je faisais tout dans mon coin, à New York : je prenais à mon compte le temps passé en studio, j’engageais des musiciens, je m’organisais pour sortir un disque tous les un ou deux ans. Au début, il m’a donc fallu un peu de temps pour m’habituer à l’idée que ce disque allait sonner différemment. Nico changeait les arrangements de mes morceaux, le tempo, les progressions d’accords, et à chaque fois qu’il modifiait quelque chose, je me rendais compte qu’il avait raison. Contrairement à depuis toujours, je n’étais pas celui qui prenait toutes les décisions. Et c’était super. J’ai pu me concentrer sur l’écriture, ma performance vocale. Je me suis focalisé sur le songwriting. Ce disque témoigne de ce qu’un vrai producteur peut faire de votre musique.
Tu n’aurais pas pu renoncer à tout contrôler comme tu l’as fait sur cet album il y a 10 ans ?
Je pense que j’ai toujours été ouvert, c’est juste que l’opportunité ne s’était pas vraiment présentée avant. Les choses se passent comme les choses se passent, tu sais. Parfois, il faut savoir attendre le bon moment. J’ai fait quelques disques avec Herman Dune au début des années 2000, on travaillait bien ensemble, mais on a fini par partir chacun de notre côté. J’ai littéralement passé plus de 10 ans à faire des disques seul. Si quelqu’un était passé par là en me disant qu’il voulait s’impliquer dans l’un de mes disques, je ne l’aurais pas repoussé. Je suis un songwriter, mec. Mon intérêt ne se porte pas vraiment sur l’enregistrement ou les détails d’ingénierie, comme d’autres musiciens peuvent le faire.
Sur ce disque, on a pu faire une trentaine de prises pour une chanson, un truc que je ne n’avais jamais fait avant. On pouvait faire 5 ou 6 prises pour un autre morceau, écouter le tout, jusqu’à ce que Nico me dise que ça sonne trop rapide, qu’il faut ralentir la cadence. Ce genre d’attention aux détails qui m’était complètement étrangère avant.
Penses-tu que ce travail de studio a influencé d’une manière ou d’une autre ton travail d’écriture ?
Non. Et c’est justement pour cela que ce disque fonctionne si bien. Parce qu’il y a cette tension entre le travail méticuleux de production, très précis, et ma façon d’écrire, un peu grossière, d’inspiration country-folk. Je n’écris pas pour un disque en particulier, je pioche dans un catalogue d’ébauche de centaines de morceaux. Certaines des chansons que tu peux écouter sont relativement anciennes et n’avaient pas forcément vocation à atterrir sur ce disque. Le prochain album sera d’ailleurs encore plus country. Enfin, disons que cela dépendra de la façon que Nico aura de les faire sonner, en tant que producteur.
Tu causes d’avoir un catalogue de chansons dans lequel tu pioches, cela veut dire que tu écris constamment ?
Plus ou moins. Je dirais que j’écris quelque chose comme une vingtaine de chansons par an, parmi lesquelles une petite dizaine peuvent finir sur un disque. Mais depuis le temps que j’écris, tu imagines bien que je me retrouve aujourd’hui avec un gros catalogue. Certains des morceaux sur ce disque ont 10 ans, c’est juste qu’ils n’ont pas fini plus tôt sur un disque.
Quelle est la plus vieille chanson de ce disque ?
What I Tell You, de 2010. Lonely Days in Hollywood date de 2014, par exemple. J’avais écrit ce morceau chez les parents de David, de Herman Dune, à Paris. J’avais cette mélodie dans la tête et les mots ont suivi. Je n’avais jamais mis les pieds à Los Angeles à cette époque.
Le 1er single de ce nouvel album, c’était Boozing and Losing, sorte de ballade outlaw, avec ce côté outsider que tu sembles cultiver depuis tes 1ères chansons.
Je pense que depuis plus de 20 ans, j’ai porté, disons, différents masques. Et une partie de ce que je fais depuis le début, c’est ce genre de morceau, avec cette image de cowboy de grande ville. Je ne fais pas que cela, mais c’est l’un des personas que j’ai développés, oui. C’est un truc traditionnel de la musique country, ce genre musical se prête bien à la mise en scène de ce genre de personnage. Ces 5 dernières années, je n’écoutais plus que de la country, il y a donc plus de titres dans le genre dans mes disques, avec plus de “drinking songs”.
A propos de folk et de musique country, il y avait dans la scène anti-folk (Adam Green, Jeffrey Lewis) du début des années 2000 – dont tu as fait partie – une vision décalée de cet héritage. Aujourd’hui, tu sembles le prendre plus pour argent comptant.
Nous n’avions à l’époque pas en tête l’idée de nous moquer. Il s’agissait plutôt d’une approche post-moderne de ces courants. La vérité, c’est que parmi les gens de l’anti-folk, j’ai toujours été le plus “traditionnel” de tous, si l’on peut dire. Surtout comparé à Adam et Jeff. Ils venaient plus de l’indie rock, d’ailleurs. Mes tous 1ers disques étaient plus dans une veine indie-folk-DIY, mais dès 2005, quand j’ai commencé à collaborer avec Herman Dune, j’ai dépassé cette sensibilité pour prendre une direction plus traditionnelle. Et j’ai persévéré dans cette voie. Dans le genre country à la Bob Dylan, Leonard Cohen ou Hank Williams. En fait, j’essaye juste d’écrire de bonnes chansons.
Tu disais n’écouter plus que de la country ces 5 dernières années. Quelles raisons t’ont poussé à y revenir autant ?
J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose dans le monde de la country, aux Etats-Unis. Et plus spécifiquement dans les sphères indépendantes. Quelque chose de neuf. J’ai grandi dans les nineties, tu sais, et en ce temps-là, la musique country était épouvantable. J’écoutais plutôt le Velvet Underground. Et puis, je ne sais pas, le genre a évolué, de nouveaux artistes ont émergé récemment, supplantant l’indie rock. Je ne sais pas si tu connais un type comme Colter Wall ? C’est un kid et pourtant je me suis plongé dans les différents personnages dont il chante la vie. Il est cool, en fait. D’une certaine façon, je m’inscris là-dedans.
Les jeunes générations de musicien·ne·s citent beaucoup des figures comme Townes Van Zandt, ou Terry Allen. Tu penses que l’écoute de leurs disques a, d’une manière ou d’une autre, contribué à ce renouveau dont tu causes ?
Absolument. La musique de Townes est la porte que tu dois franchir pour découvrir le monde de la musique country. D’ailleurs, c’est moins de la country, en tant que forme musicale, c’est plus quelque chose de l’ordre de l’écriture. En grandissant, j’ai été marqué par l’exercice du songwriting à travers Lou Reed, Townes, tous ces gens. L’indie rock, il y a 20 ans, se caractérisait par cette approche de l’écriture. Et puis la country s’est réappropriée cette approche. Je pense que le regain d’intérêt pour la country s’explique par le fait que l’indie-rock ne remplissait plus cette fonction de expliquer des histoires. D’une manière générale, l’industrie ne génère plus beaucoup de genres musicaux. Avant, tu avais l’indie-rock, l’indie-folk, DIY, rock, aujourd’hui, t’as la country d’un côté et le hip-hop de l’autre (rires).
Bill Callahan m’expliquait qu’il ne trouvait plus suffisamment d’inspiration dans les livres, et que c’est pour cela qu’il a voulu expliquer davantage d’histoires dans ses chansons. Pour donner aux gens ce que les livres lui ont donné à lui. Tu penses que l’époque manque de sources d’inspiration ?
Quand on cause d’écriture, il y a une différence entre écrire une chanson dans le genre de celles de Bob Dylan ou Leonard Cohen, ou bien écrire une chanson country. Il y a une dichotomie : symbolisme vs réalisme. C’est un mode différent. Tu n’utilises pas le langage de la même façon. J’écris des chansons depuis plus de 20 ans, et plus j’écris, plus mes morceaux sont simples. C’est un processus de simplification, tu retires tout ce qui pourrait brouiller la compréhension du morceau, comme sa charge symbolique, pour te concentrer sur des images concrètes. L’ironie de l’histoire, c’est que plus tu veux simplifier, plus tu te rends compte qu’il est difficile d’écrire des choses simples. Il y a un équilibre à trouver entre poésie, storytelling et images concrètes, pour que ton morceau soit aussi évocateur de quelques chose. Hank Williams, par exemple, au fur et à mesure de sa carrière, y arrivait à merveille, il ne laissait rien d’ambivalent. C’est un but à atteindre pour un musicien comme moi.
Tu as écouté Rough and Rowdy Ways (2020), le dernier album de Bob Dylan ?
Oui. Je suis un gros fan de Dylan, donc j’aime tout ce qu’il fait. On a beaucoup parlé de ce disque, mais je ne suis pas certain qu’il soit meilleur que Time Out of Mind (1997).
Tu es de Boston et à la fin des années 1990, tu as débarqué à New York. Tu repenses souvent à cette période de ta vie ? A l’ambiance qu’il régnait alors en ville ?
Oh oui. Ces sont les souvenirs les plus intenses de ma vie. La 1ère année à New York était si puissante, tout était parfait. Le genre de truc que tu ne vis qu’une fois dans ta vie, peut-être, cette impression que la réalité est plus forte encore que les fantasmes que tu projetais alors. La réalité dépassait toutes mes attentes. J’ai débarqué là-bas pour continuer à être un musicien et j’ai découvert le Sidewalk Cafe (haut lieu de la scène anti-folk de l’époque, ndlr), où la poignée de gens qui le fréquentait avait la même vision, les mêmes rêves que moi. C’est là-bas que j’ai rencontré Adam Green, Jeffrey Lewis et les autres. C’était avant les attentats du 11 septembre. Evidemment, les choses avaient évolué, mais l’esprit de la fin des années 1970 était encore là. C’était là, dans l’air. Il y avait le Sidewalk Cafe, mais si tu descendais quelques blocs, dans le Lower East Side, tu avais ces clubs arty d’avant-garde, et tu pouvais croiser les Strokes dans les clubs rock. C’était merveilleux.
Tout a changé après les attentats, même si la ville restait cool.
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L’espace d’un instant, as-tu pensé que toute la clique du Sidewalk Cafe pourrait être la génération qui reprendrait le flambeau de Bob Dylan ?
(rires) Oui, complètement ! Je n’avais aucun doute !
C’est peut-être le cas, mais les gens ne le savent pas encore.
Oui, sauf que ça ne l’est pas (rires). Tout ne se passe pas comme tu voudrais, mais j’étais sûr qu’Adam Green serait le Bob Dylan du 21e siècle. Et puis il y a eu les Moldy Peaches, les Strokes et pendant un moment, j’ai cru que tout cela pouvait être possible. Mais comme je viens de te le dire, cela ne s’est pas passé comme prévu.
Il y aura une suite à cette collaboration avec les Soldiers of Love ?
Bien sûr. J’ai assez de chansons sous le coude pour faire 2 albums. J’ai envie de faire autant d’albums que possibles avec ces mecs. J’espère qu’ils ne deviendront pas trop célèbres, histoire que tout le monde ne se les arrache pas d’ici là (rires).
Propos recueillis par François Moreau
Album : Friends in High Places (Capitane Records/Believe)
Concert : En tournée en France en 2022, avec Adam Green (toutes les dates par ici)