Renommer une rue? Ces élus locaux expliquent pourquoi ce n'est pas si simple
MÉMOIRE - “Qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages?” Le 15 août 2019, au cimetière militaire de Boulouris (Var), Emmanuel Macron tente un électrochoc. Sortir de l’anonymat des combattants venus d’ailleurs pour...
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MÉMOIRE - “Qui d’entre nous se souvient aujourd’hui de leurs noms, de leurs visages?” Le 15 août 2019, au cimetière militaire de Boulouris (Var), Emmanuel Macron tente un électrochoc. Sortir de l’anonymat des combattants venus d’ailleurs pour libérer la France, 75 ans après le débarquement de Provence, dont 70 % des troupes étaient alors originaires des colonies.
Devant plusieurs élus locaux, le président de la République saisit l’occasion: “Je lance aujourd’hui un appel aux maires de France pour qu’ils fassent vivre par le nom de nos rues et de nos places, par nos monuments et nos cérémonies la mémoire de ces hommes.”
fait partie de notre dossier “La mémoire en mouvement”. Alors qu’Emmanuel Macron appelle à la création d’une liste de personnalités pour mieux représenter “la diversité de notre identité nationale”, Le HuffPost se plonge dans l’histoire de France et dans l’actualité pour interroger notre mémoire collective.
“J’ai trouvé que l’appel était louable”, se rappelle Jean-Paul Joseph, maire de Bandol (Var), présent à cette commémoration. Ce dernier sera le premier élu à saisir la perche tendue par Emmanuel Macron en inaugurant dans sa commune, en janvier 2020, une “Place des Libérateurs africains”, en hommage à cinq combattants originaires d’Algérie morts en août 1944 pour libérer la ville.
C’est une fierté pour moi d’avoir vaincu ces quelques réticences.Jean-Paul Joseph, maire de Bandol (Var)
Un hommage qui a d’abord nécessité concertation et courage politique. “Disons que c’était lié à des personnes qui ont peur de ce qui vient de l’extérieur”, explique-t-il aujourd’hui, sous-entendant quelques crispations identitaires ou xénophobes. “Et puis le contexte n’était pas très propice. Les élections municipales se rapprochaient. Certains (au sein de la majorité municipale) n’avaient pas envie de faire de vague.”
Des travaux de voirie et la création d’une nouvelle place au centre de Bandol, ce qui évitait de débaptiser un lieu, ont finalement permis au maire de trouver un terrain d’entente pour concrétiser l’idée. “C’est une fierté pour moi d’avoir vaincu ces quelques réticences. Ça fera partie de mes réussites personnelles, des choses dont je serai fier à la fin de mon mandat”, se réjouit Jean-Paul Joseph, dont le père fut médecin militaire en Afrique du Nord.
“Un gros travail de pédagogie”
Plus d’un an après cet appel, la ville de Bandol constitue cependant un cas plutôt isolé. Selon l’Office national des anciens combattants interrogé par Public Sénat, seulement une dizaine de démarches avaient été enclenchées en août 2020 pour baptiser des rues au nom de combattants africains morts pour la France.
Après l’appel du chef de l’État, une liste de 8000 combattants africains a pourtant été transmise par l’État aux communes, après la signature d’une convention entre le ministère des Armées et l’association de maires de France.
Frilosité, prudence ou indifférence? Quoiqu’il en soit, tout porte à croire que la liste de 300 à 500 personnalités voulue par Emmanuel Macron pour mieux “représenter la diversité” ne se concrétisera pas dans l’espace en public avec un coup de baguette magique. Au cas par cas, il faudra concerter, trouver des figures qui font consensus (au moins en partie) et associer chacune d’elles à un lieu public pertinent.
“Il faut faire un gros travail de pédagogie en créant des commissions et des audits sur le sujet dans les communes. C’est un travail long”, explique Aïssata Seck, conseillère municipale à Bondy (Seine-Saint-Denis), présidente de l’Association pour la mémoire et l’histoire des tirailleurs sénégalais et membre du comité scientifique chargé de constituer la liste initiée par le président de la République.
Oser rebaptiser au cœur des villes
À Rouen, ce long travail de concertation prend tout son sens. L’été dernier, la nouvelle mairie profitait de la restauration de l’imposante statue de Napoléon devant l’hôtel de ville pour jeter un pavé dans la mare. Et si une figure féminine choisie par les Rouennais prenait la place de l’empereur? À titre personnel, le maire Nicolas Mayer-Rossignol (PS) suggère Gisèle Halimi.
À peine évoquée, l’idée a provoqué une pétition de 7000 contestataires, des accusations d’“opportunisme politique” dans une tribune publiée par Le Figaro et le collage de 250 reproductions de plaques de rues à la gloire de Napoléon Ier par un collectif local.
Pourtant, le projet n’implique pas d’envoyer le mastodonte de bronze à la fonderie, mais de le déplacer éventuellement à un autre endroit de la ville et de réfléchir collectivement sur l’effigie à privilégier pour ce lieu névralgique.
“C’est justement parce que c’est une place symbolique que l’on veut lancer ce débat. Il n’y a pas beaucoup de places qui appartiennent autant aux habitants de la ville et qui représentent à ce point la démocratie”, explique Laura Slimani, adjointe chargée notamment de la démocratie participative et de la lutte contre les discriminations.
Pour l’élue, pas question de faire les choses à moitié. Baptiser une nouvelle rue dans une zone prioritaire à la marge de la ville? Trop facile. “Je trouve quand même terrible que des femmes reléguées de la mémoire se retrouvent aussi reléguées dans des espaces très peu passants”, justifie-t-elle.
Aux accusations d’“opportunisme politique”, Laura Slimani rétorque que l’inauguration de la statue en 1865 par le maréchal Vaillant ne l’était pas moins. “La différence, c’est qu’aujourd’hui notre méthode ne vise pas à être verticale”, explique-t-elle. “Cette mémoire nous appartient à tous, mais l’espace public a été façonné à une époque où ce n’était pas fait de manière démocratique.”
Faire confiance à “l’intelligence collective”
En décembre, après ces premières secousses, Laura Slimani est tout de même parvenue à faire voter à l’unanimité au Conseil municipal un ambitieux projet de “Débats des mémoires”. Ces prochaines années, la Ville s’engage ainsi à “faire travailler ensemble les spécialistes (historiens, sociologues, archivistes, etc.) et les Rouennais” sur leur histoire et leur mémoire, une “matière qui ne demande qu’à être exploitée”.
Le programme comporte notamment un ”état des lieux” scientifique des mémoires rouennaises, un “travail d’analyse des sources populaires” et une mobilisation des citoyens lors de débats publics. Pour Napoléon comme pour d’autres projets de modifications, l’adjointe promet un vote de la population (où le statu quo figurera toujours parmi les options).
“Par des processus plus volontaristes et participatifs, je crois que l’on pourra échapper aux levées de boucliers”, assure Laura Slimani, qui fait confiance à “l’intelligence collective”.
Je suis heureux qu'on se réveille pour ces oubliés de l'histoire.Régis Sinoquet, maire de Crouy-Saint-Pierre (Somme)
En la matière, le village de Crouy-Saint-Pierre, 336 habitants dans la Somme, est un exemple de cette intelligence collective. Encouragée par le travail de mémoire de l’amicale des anciens combattants de la commune, la mairie a décidé, bien avant les appels d’Emmanuel Macron, de rendre hommage aux tirailleurs sénégalais du 44ème Régiment d’Infanterie Coloniale, massacrés sur le territoire de la commune, les 5 et 6 juin 1940.
Une souscription publique, qui a engrangé les petits dons de 5 à 100 euros, a permis de financer un budget de 10.000 euros pour une statue à taille humaine. Celle-ci devrait être inaugurée en juin prochain.
“Il y a eu un consensus dans la commune. Ici, tout le monde est concerné. Ces gens ont été là pour protéger le territoire”, explique le maire, Régis Sinoquet, “bien heureux qu’on se réveille pour ces oubliés de l’Histoire”.
Comme ce dernier, les élus qui ont mis le pied à l’étrier de ce sujet sensible ne regrettent pas leur choix. “J’espère que le mouvement se poursuivra car c’est une cause noble”, soutient Jean-Paul Joseph, maire de Bandol. Pour la Rouennaise Laura Slimani, la mémoire, au contraire de l’histoire, est une matière “vivante” qui peut ”évoluer”. Selon elle, “il faut s’emparer de ces débats et non les subir”.
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