Retour à Pete the Monkey : notre déambulation avec les artistes du festival

Paris – Dieppe, Dieppe – Saint-Aubin-sur-Mer. Avec escale à Rouen. Dans le Rouen – Dieppe, c’est la cohue et les wagons sont pleins à craquer : chaque volte-face du type qui nous précède est l’occasion de se prendre sa tente Quechua en pleine...

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Paris – Dieppe, Dieppe – Saint-Aubin-sur-Mer. Avec escale à Rouen. Dans le Rouen – Dieppe, c’est la cohue et les wagons sont pleins à craquer : chaque volte-face du type qui nous précède est l’occasion de se prendre sa tente Quechua en pleine tronche. La jeunesse s’entasse dans les trains NOMAD, direction le festival Pete the Monkey. D’autres ont préféré suivre le convoi supersonique de l’association événementielle écoresponsable et solidaire Gogo Green, qui proposait à une trentaine de festivalier·ères de faire une partie du trajet en bicyclette. Pete est un rendez-vous d’habitué·es, sorte d’extension de la programmation de la salle parisienne du POPUP! (Paris XIIe), monté en 2012 à l’issue d’un voyage de ses fondateurs en Amérique du Sud, au sein de la Comunidad Inti Wara Yassi (CIWY), qui lutte contre la déforestation et vient en aide aux animaux victimes de trafics en tous genres. Les recettes de l’événement simiesque continue de venir en aide à cette communauté. 

En plus d’être résolument écolo (les organisateurs évoquent une baisse constante du volume des déchets et de la consommation d’énergie sur les trois dernières éditions, malgré une jauge en augmentation de 5000 personnes par jour), Pete the Monkey s’emploie donc à défricher les musiques actuelles, dans un cadre aux allures de parenthèse enchantée, peuplé de méduses qui virevoltent au gré de déambulations sur un site à l’horizon duquel s’étend la Manche. Comme dans une bande dessinée, il se passe toujours un truc au second plan de la vignette : fausses cérémonies de mariage sur Dancing Queen d’Abba, parades, performances, attroupements de foules à paillettes devant la caravane bruyante des copains dissipés de Radio Nova. 

Jeudi 13 juillet

Au 1er plan, il y a les concerts. La journée du jeudi a ainsi commencé pour nous avec Astral Bakers, à l’aune d’une éclaircie venue chasser la flotte, invitée récurrente cette année, alors que la miss météo du festival nous promettait du soleil pour tout le week-end (la fameuse météo des agriculteurs). Il s’agit là seulement du troisième gig de ce quartet formé par Sage, Théodora, Nico Lockhart et Zoé Hochberg. “Ces musiciens sont des brutes”, nous dévoile une connaissance commune. Croisé sur la scène de la Petite Halle de la Villette début juillet en formation assise façon MTV Unplugged de Nirvana, Astral Bakers est debout à Pete the Monkey, façon Big Thief. Un show éclairé à la bougie dans une veine folk-rock, même si le groupe se qualifie plutôt lui-même de soft-grunge lorsqu’on le retrouve backstage pour évoquer un 1er album qui devrait arriver d’ici janvier. 

SageCe n’est pas notre 1er projet individuellement, mais c’est notre 1er groupe ensemble. On en rêve depuis longtemps, c’est comme une envie de 1er groupe de lycée. 

Théodora Comme un état de 1ère fois, on voulait retrouver des sensations brutes.

Nico – Sans fard. 

Théodora – Et avec le moins d’intermédiaires possibles.

Zoé – Il y a eu un gros laps de temps où on n’enregistrait pas. On était juste dans une pièce ensemble et le but était de tous s’entendre jouer les uns et les autres. On voulait entendre tous les instruments, sans que l’un prenne le dessus sur l’autre. C’était intéressant d’avoir cet équilibre soft-grunge. Avec des sons saturés et en même temps un truc très doux. Le fait d’avoir attendu longtemps avant d’enregistrer, ça a débloqué des choses pour ne pas être que dans un registre folk ou un registre rock. 

Sage – Ou dans un truc trop produit. 

Tandis que l’on discute avec Astral Bakers à l’ombre d’un carbet, Vonfelt égrène au loin son set sur la petite scène Jibou, celle surmontée d’un sous-marin cartoonesque (les abysses aquatiques sont le thème cette année). Arthur Vonfelt a seulement onze concerts au compteur, dont un passage sur la scène de la Boule Noire en mai, dans le cadre des Inrocks Super Club, et trois 1ères parties de Bertrand Belin, dont un Olympia. Le Strasbourgeois, batteur de formation, constitue un one-man band et allie performance (il faut tenir une scène en solo en jouant soi-même de tous les instruments) et chansons pop d’obédience synthétique. Il sortira son 1er EP le 6 octobre 2023. On le croise à l’entrée du Sauna deux jours plus tard.

Il paraît que la date la moins stressante pour toi, c’était la 1ère partie de Bertrand Belin à l’Olympia ? 

VonfeltOui, c’est vrai. Vu que j’étais passé là-bas avec Jacques quelques mois avant, je ne découvrais pas les lieux. Le show avec Jacques était particulièrement stressant, parce que c’est quelqu’un qui foisonne d’idées. Et qui dit idées, dit technique, parce qu’il faut les exécuter. Et qui dit technique, dit problèmes potentiels. J’étais investi d’une certaine responsabilité en tant que musicien accompagnateur, il fallait assurer. Là, comme je suis en solo, je suis le seul garant de moi-même. La question qui se pose alors, c’est d’être stressé à l’idée de ne pas être stressé. C’est un autre problème. “Est-ce que je ne devrais pas stresser davantage un peu plus, là ?”

Pourquoi tu accompagnais Jacques ?

Jacques est un ami d’enfance, on a commencé la musique ensemble. On apprenait la guitare en même temps, on faisait des battles en reprenant du Jimi Hendrix dans la cave de chez mes parents. On avait un groupe qui s’appelait The Rural Serial Killers (à prononcer avec un accent anglais approximatif). On faisait du funk rock.

Et aujourd’hui, tu roules en solo.

Ce n’était pas prémédité. À côté des groupes que j’accompagnais, j’ai toujours fait de la musique pour moi. Pendant la pandémie, j’ai passé plus de temps à faire de la musique tout seul et puis, naturellement, j’ai commencé à faire des chansons. J’ai chanté en français parce que je n’ai pas un super accent anglais, et j’avais envie d’être dans une démarche sincère. Et comme je pense en français… Je n’avais pas de plan précis. Au début, je faisais ça sur mon temps libre, et aujourd’hui c’est devenu mon activité principale. 

Un musicien sort du sauna notre rencard avec Vonfelt à peine terminé. C’est Tino Gelli, du groupe Polycool. Le trio basé à Paris jouait d’ailleurs le même jour que Vonfelt, sur la scène du Château, la plus grande du festival. Avec deux albums dans le jukebox, Polycool évolue en total indépendance depuis des lustres. Alors que Lovoscope, qui la joue pop et groovy, avec un fond de soul synthétique, est sorti cette année, on a posé trois questions à Tino. 

C’est quoi la définition de l’indépendance en musique ?

TinoC’est être courageux et vraiment aimer la musique que tu fais. C’est presque sacrificiel, tu es prêt à tout pour faire naître tes chansons. En ce sens, Lovoscope a été une grosse aventure et on a tenu le choc. C’est merveilleux d’avoir pu faire ça.

Quelle sera la suite pour Polycool ?

On a déjà écrit un micro-EP, sorte de truc concept très rock. On finit souvent nos lives avec ces chansons-là. Ça fera chanson-concept qui durera une vingtaine, trentaine de minutes. Comme quatre chansons, mais tout d’un coup. Le 1er morceau s’appelle Jazz 3. Ça va être la saga des Jazz.

Un peu à la manière de King Gizzard ?

C’est une ambiance très Kinggizzaresque, en effet. 

Retour sur la scène Jibou, en ce 1er jour de festival. Les Londoniens de Deadletter (ils sont six sur scène) sont en train de livrer un set dans la grande tradition post-punk avec, notamment, un saxo éraillé et une attitude de crieur public. Un pont reliant A Certain Ratio, The Fall, Fat White Family et The Lounge Society. Le band avait déjà fait forte impression à Brighton cette année, dans le cadre du festival The Great Escape, rendez-vous incontournable de la cité balnéaire du sud de l’Angleterre. Une affaire à suivre, d’autant que le groupe n’a encore rien sorti à part une poignée de singles. Le meilleur est donc à venir. 

Plus loin, sur la scène de La Folie de Pete, qui n’ouvre qu’à partir de 21 H, se succèdent des DJ (Clara the Devil, Corrine, Aymeric Bergada du Cadet, Fishbach), entrecoupés de shows drag entre burlesque et cabaret, avec chansons grivoises à la clef. 

Vendredi 14 juillet

Vendredi, flotte le matin. Puis éclaircie et temps radieux pour le concert de Gaétan Nonchalant, sur la scène Amphi, là où Astral Bakers jouait la veille. En arrière-plan, la campagne. Au loin, des vaches broutent paisiblement l’herbe normande, aussi normande que peut l’être Nonchalant, natif des environs. Révélé en 2020 avec le single La Berezina, pierre angulaire d’un 1er EP intitulé Tout ça pour ça, Gaétan Nonchalant fait son bonhomme de chemin et sortira son 1er album le 29 septembre 2023chez Objet Disque.

Sur scène, il est accompagné par Julian Belle (Batterie), Alexis Croisé (claviers) et Thomas Subiranin (basse) : tous les quatre on mis en boîte l’essentiel de ce disque dans les conditions du live. “Un vieux fantasme”, nous dévoilera-t-il à l’issue de ce set perdu dans un espace-temps late 30 Glorieuses. Parenthèse enchantée dans la parenthèse enchantée, le concert de Gaétan Nonchalant a le goût du vintage et l’odeur des vieilles banquettes en cuir, et exalte une certaine idée d’une pop folk à mi-chemin entre les Byrds et Pierre Vassiliu (voire Louis Chedid, dont il a repris l’inénarrable Ainsi soit-il). Autour d’un bon cidre local, il nous explique.

À quoi va ressembler le 1er album de Gaétan Nonchalant ? 

Gaétan Nonchalant – L’album qui arrive a été enregistré en partie live, un vieux fantasme. Il est plus folk/rock, disons anglo-saxon, que l’EP. Du coup, c’est comme ça que j’envisageais les morceaux : vivants, organiques, joués. Et puis les gars jouent super bien, c’était donc une évidence. C’est une bande de copains et des musiciens que j’admire beaucoup. 

Le 1er extrait de ce disque s’appelle Plages du Nord. Il dénote un peu des morceaux plus laid back qui caractérise ton style. 

C’est le morceau le plus rock du disque, avec quand même cette dimension chanson. J’étais un peu tiraillé avant l’enregistrement : la prendre comme ça, rock, un peu Beach Boys, ou presque Étienne Daho dans le refrain. C’est un morceau qui date de 2018, que j’avais écrit en vacances sur ma guitare folk. Il est uptempo, et c’est vrai que j’en n’ai pas tant que ça, des morceaux uptempo. 

Tu as repris Louis Chedid, c’est une figure qui compte pour toi ?

Ado, je n’aimais pas trop la variété. J’écoutais que de l’anglais et puis Bashung, les disques un peu plus rock, Roulette russe (1979), tout ça. Quand j’ai découvert Louis Chedid, j’ai eu la sensation de trouver quelqu’un qui me ressemblait dans sa sensibilité. Et les textes sont magnifiques. C’était avant que je découvre Pierre Vassiliu et Pierre Barouh. C’est le 1er Français en qui j’ai trouvé un frère. 

Merde, on rate une bonne moitié du concert de Paul Prier. Le Français est un habitué des scènes de concert hexagonales, qu’il sillonne depuis plus de dix ans avec tout un tas de stars de la chanson made in France (dont Charlotte Gainsbourg). Récemment, il s’est mis en tête de sortir sa propre musique. Le résultat s’appelle Punctual Problems, un six-titres sorti en mars 2023. Le genre très produit, avec un enchevêtrement de synthés, des incursions électroniques et des mélodies évolutives façon soul interstellaire. Sur scène, planqué derrière ses lunettes noires, hirsute, il a la dégaine d’un Strokes. Pour l’instant, le groupe de Paul compte trois musiciens. Mais son ambition est ailleurs. Il nous en cause. 

On a plutôt l’habitude de te voir accompagner d’autres musiciens. Il s’agit de ta 1ère escapade solo ? 

Paul Prier – Quand j’ai commencé à faire de la musique, j’avais vraiment l’ambition de composer pour moi. La vie a fait que je me suis retrouvé embarqué sur d’autres trucs, sur scène avec certains, en studio à composer et arranger pour d’autres. Ce sont des choses que j’adore faire, mais qui prennent du temps et peuvent te détourner des choses que tu voulais en 1er lieu. À un moment, je me suis dit qu’il était temps que je sorte ma musique. 

Tu appréhendais la scène ? De jouer au frontman ?

J’avais un groupe qui s’appelait Toys avant, un duo électronique. On avait bossé sérieusement la musique, mais je me rappelle d’une date à la Flèche d’or, j’ai pris le micro pour dire simplement bonjour et la voix n’est pas sortie. Depuis, j’ai fait dix ans de tournée en tant que musicien. J’étais derrière le groupe et je n’ai jamais eu à prendre le micro. J’appréhendais un peu, mais je crois que j’avais plus peur encore de monter sur scène en front. Et en fait, ça va. Je n’ai pas peut d’incarner un personnage qui n’est pas exactement ce que tu es dans la réalité, mais qui peut être une extension de qui tu es, que tu surlignes et surjoues. C’est pas pour tout le monde pareil, mais ça peut être important pour certains. 

Tu savais d’emblée que tu voulais emmener cet EP sur scène ?

J’ai toujours pensé à la scène, notamment parce que j’ai écrit ce disque quand j’étais en tournée. Je suis très exigeant. C’est une musique très produite et je me suis vraiment pris la tête pour essayer d’avoir un truc qui rende en concert… J’aurais pu jouer avec plein de bandes, mais c’était important d’imposer qu’on soit au moins trois sur scène et qu’il y ait un peu de liveness. On est encore tributaire des bandes, mais si on pouvait être quinze sur scène, dans une formule 100 % live, je signe directement. 

Pas loin de nous, tandis qu’on termine de discuter avec Paul, une bande de zozos taciturnes débarque. L’un d’eux a un t-shirt sur lequel on peut lire : “Je fume des clopes dans un blockhaus noir parce que je suis déprimé.” C’est Les Clopes ! Un groupe à géométrie variable, dont le slogan sur le t-shirt du dénommé Daniel Brumeux n’est autre que le titre de leur chanson phare. Fondé dans la roue de Lescop, comme un pastiche des clichés déprimés de la new wave, Les Clopes n’est néanmoins ni un cartoon band ni un geste situationniste, mais juste un groupe de new wave qui a l’humour. Ça n’empêche pas le monde d’être triste à pleurer. On rencontre Guillaume Patrick (le légendaire Kim Giani), Laurence Inutile (la cathartique, pas la schlague, absente ce jour), Gerda Glockenspiel, Alain Chambreforte et Daniel Brumeux, préposé à la guitare à la vente de t-shirts. 

Bonjour, Les Clopes. Votre 1er album s’appelle Les Clopes (2019), le deuxième Deu (2021), le troisième Troa (2022) et le quatrième Qatr (2023). Quel sera le titre du cinquième album des clopes ?

Guillaume Patrick – On n’a pas encore réfléchi, mais il est déjà enregistré. Il est hyperdépressif, mais enregistré uniquement avec des instruments électriques et quelques instruments électroniques. Il n’y a pas de boîtes à rythmes, il y a de la batterie.

C’était une contrainte imposée ?

Guillaume Patrick – C’était pas une contrainte, c’est juste que quelqu’un nous a dit : “Oh lala, ça serait bien que vous alliez en studio enregistrer vos chansons les plus dépressives tous ensemble comme ça.” Alors une journée du mois de janvier, on a tout enregistré. On a fait en live douze chansons qui sont extraites de nos trois 1ers albums et ensuite, la personne en question a mis tellement de temps à mixer qu’on a sorti le quatrième album entretemps. Cet album sera mixé bientôt. On est déprimé, on va le mixer nous-mêmes. Mais de toute façon, on était déprimé avant. Il sera peut-être un peu plus garage, mais c’est qui est sûr c’est qu’on ne peut pas te dire comment il va s’appeler, sinon il n’y aura plus de surprise.

Gerda Glockenspiel On n’arrive pas à avoir de continuité, nos albums sont tous si différents. Ne serait-ce qu’au niveau des thématiques des chansons.

Guillaume Patrick La dépression.

Spacemen 3 disait : “Taking Drugs to Make Music to Take Drugs To.” Est-ce que, à votre tour, vous dites : “Être déprimé pour faire de la musique déprimante qui déprime”

Daniel Brumeux – C’est très difficile de répondre. Est-ce qu’on peut faire de la bonne musique dépressive si on n’est pas déprimé ?

Laurence Inutile – Moi, quand je fais de la musique cathartique, ça me fait du bien. Et puis j’entends les chansons des autres et puis elles me dépriment. Ça se mord la queue.

La musique pop française n’est-elle pas trop vendue comme étant cathartique, justement ? C’est chiant à force. 

Laurence Inutile – C’est familier la dépression, à un moment c’est quelque chose qu’on connaît et avec quoi on vit. Mais je ne peux causer qu’en mon nom, même si je partage mon nom avec une autre Laurence Inutile, la schlague, qui n’est pas là aujourd’hui. 

Sur la petite scène Jibou, sous la flotte (encore), Les Clopes donnent à voir un show new wave qui tient autant du punk que de la parodie si bien exécutée qu’il faut être un vrai baby new wave pour en fournir un fac-similé de si bonne facture. Mais voilà le pote Yuksek qui débarque. Le Rémois, la clope (sic) au bec, accompagne Radio Nova et délocalise sur la scène Underworld son show du samedi soir, Dance’o’drome, émission phare de la station qui fait danser sur tous les continents, avec la musique de tous les continents. On lui touche deux mots.

Hello, Yuksek ! Tu vas faire quoi à Pete the Monkey ? 

Yuksek Je vais traîner, aller écouter de la musique à droite et à gauche, boire des coups, causer avec des gens que j’aime bien et jouer un peu. Et avec Radio Nova, on va faire un Dance’o’drome délocalisé, avec comme invitée Money Penny. Et puis je joue sur la scène.

Il y a beaucoup d’invités sur ton dernier album, Dance’o’Drome (2023). Tu as pensé à rassembler tout le monde sur scène un jour ?

La question ne s’est pas posée, je ne voulais pas le défendre sur scène. Je voulais assumer le truc DJ. Pour les quelques grosses dates de cet été, on a monté un concept vidéo, avec plein d’écrans. J’y croyais moyen au début, parce que je n’aime pas trop le côté spectacle, c’est un truc que j’ai toujours un peu fui. Quand on faisait des lives, on avait un mec aux lumières et c’est tout. Pour moi, c’est la musique avant tout et le décor, je m’en branle un peu. Et puis là, ça marche vachement bien. On réfléchit peut-être à monter une vraie tournée, en dehors de cette tournée d’été des festivals. Le truc est très axé DJ, mais dans l’idée j’aimerais beaucoup que des copains me rejoignent sur scène.

C’est la fin de la saison chez Radio Nova, quel bilan tu tires de ton émission ?

J’adore être en radio et beaucoup de gens me causent de cette émission, y compris à l’étranger. J’ai joué à New York et vraiment, deux, trois gars sont venus me dire qu’ils écoutaient Dance’o’drome ! En y réfléchissant, il n’y a plus vraiment d’émission comme ça en radio, de mix pendant deux heures, qui ne soit pas mainstream, avec des invités variés, allant de la techno au disco, en passant par l’abstract.

Quelle chance on a, nous Français, de rayonner dans le monde par l’entremise des intuitions d’une poignée de passionné·es. On quitte Yuksek pour se rendre scène du Château, où Zaho de Sagazan est en train de faire danser la foule (sous forme d’injonctions “dansez dansez”, expurge-t-elle). En très peu de temps, Zaho est devenue la coqueluche des programmateur·rices et du public, au point de remplir prochainement l’Olympia et le Zénith de Paris au cours d’une tournée comptant plus de dates que celle de Beyoncé. Super enthousiaste, Zaho nous cause de ces derniers mois, marqués par un nombre incalculable de concert et la sortie d’un 1er album en mars, La Symphonie des éclairs (2023), sur la pochette duquel elle apparaît en Éliane Radigue futuriste, derrière des synthétiseurs modulaires. 

Tu as beaucoup de dates dans les jambes depuis la sortie de ton album, et ce n’est pas près de s’arrêter. Comment te sens-tu ?

Zaho de Sagazan – Effectivement, on a beaucoup, beaucoup de dates, mais ça se passe très bien. On voit plein de festivals différents, on voit plein de gens différents, de lieux différents. On joue sur des grandes scènes et des plus petites, c’est trop bien. Et là, en plus, on a la chance depuis hier d’avoir notre tour bus, ce qui va tout changer ! On a fait 130 dates en van, donc ce tour bus, on le chérit. 

130 dates depuis quand ?

Depuis octobre 2021.

Aux yeux du public, tout semble être allé très vite pour toi. Tu dois voir cela différemment de l’intérieur ?

C’est vrai que c’est un peu ouf. On a fait ces dates avant la sortie de l’album, personne ne nous connaissait. Donc on a eu le temps de découvrir tout ce milieu en n’étant personne. On a vu l’évolution depuis les 1ères parties avec un public qui te regarde en se demandant qui tu es. On se persuadait que tout se passerait bien pour nous motiver. Et là, petit à petit, on voit que les gens commencent à connaître de mieux en mieux en mieux les chansons, les salles se remplissent, donc c’est trop cool. Mais tout va dans un rythme agréable pour nous : c’est rapide, donc c’est excitant, mais ce n’est pas non plus la tornade. Typiquement, il y a un truc qui nous sidère, c’est qu’on fait un Zénith en mars, on n’aurait jamais imaginé ça. Mais on a quand même le temps de le préparer et de faire bien les choses.

L’album est sorti fin mars. Le fait de l’emmener sur scène, maintenant que les gens connaissent les chansons, ça te permet toi aussi de le découvrir autrement ?

Quand tu as passé plus de trois ans sur un disque, tu le détestes, au bout d’un moment. Passer trois ans sur treize chansons, en soi, ce n’est pas normal. Une fois que tu le sors et que tu l’emmènes en concert, c’est là que tu réapprends à l’aimer et que tu le trouves beau. C’est la force du public que de te faire aimer ce que tu as fait. Je crois que je n’avais pas réalisé qu’une fois ce disque sorti, les gens allaient peut-être connaître les chansons, alors que je suis la 1ère à écouter des disques en boucle et à aller voir les artistes en concert après. Ça m’a fait du bien d’écrire ces chansons et je n’avais pas encore imaginé que ce qui te fait du bien, peut aussi faire du bien à d’autres gens. Je commence à prendre conscience de ce pouvoir. C’est un métier de ouf.

La pochette du disque fait référence aux pionnières des synthétiseurs modulaires. C’est aussi une sorte d’invitation au voyage. 

J’ai toujours vu les modulaires comme des petits boutons qui brillent, ça me fait penser à des étoiles et je trouvais ça très joli. On touche des boutons et ça se transforme en univers. Je voulais proposer des nouveaux endroits où rêver.

Samedi 15 juillet

La nuit a été courte, surtout qu’un bon paquet de copains ont fait le déplacement. On cligne les yeux, il est déjà 5 h 30 du mat. Pas une raison pour trop traîner. La gueule en biais, on retourne sur le site du festival après un bon brunch. Plusieurs artistes se disputent la tête d’affiche : Eddy de Pretto, en invité surprise, Flavien Berger, Miel de Montagne, ou encore le collectif Microclimat. En parlant de Miel de Montagne, on avait déjà pu vérifier l’énorme cote de popularité dont jouit Milan auprès de la jeunesse. Popularité qui ne se démentira pas cette fois encore sur la scène de Pete the Monkey.

Mais c’est vers Flavien Berger aka Flavor Flav que va notre préférence ce jour-là, lui qui remplissait récemment deux Olympia, à l’occasion de la sortie de son album Dans cent ans (2023) chez Pan European Recordings. Flavien a quelque chose de méta et d’absurde (au sens camusien du terme) à la fois, et ne peut s’empêcher de se poser des questions que d’autres ne se sont jamais posé ou on simplement décidé de ne pas résoudre et d’occulter. Qui sont ces gens face à lui pendant qu’il joue (nous, le public) ? Où va cette musique ? Pourquoi ? Et si les disques de Flavien étaient le fruit de ces questions qui ne trouveront jamais de réponse ? Dans un high five éclatant, il nous invite à nous poser sur un canapé de fortune dans les backstage. 

Comment se passe cette tournée, Flavien ? 

Flavien BergerOn a fait Musilac, Fribourg, mais ça a été annulé à cause de la pluie, les Franco de La Rochelle, Dour et Pete the Monkey. C’est drôle, parce qu’on fait toujours ces festivals à la même période de l’année, pas toujours dans le même ordre. Dour, par exemple, c’était la quatrième fois et la troisième fois sur la scène de la petite maison dans la prairie. Il y a quelque chose de doux dans les festivals, un côté “le public est l’entité festival, et on te reçoit toi, l’artiste”. 

Ton dernier album est sorti en mars. C’est important pour toi qu’il puisse exister sur scène ?

Trop bien, même si avec moi ce n’est jamais une tournée de disque à proprement causer, puisque je joue un tiers du dernier album, et le reste vient de ceux d’avant. J’ai fait un medley entre Pamplemousse et Océan rouge, qui est sorti avant mon 1er album. Pour ceux qui connaissent, c’est cool, et pour les autres c’est une occasion de découvrir. Les 1ers concerts étaient un peu stressant, parce que j’ai changé de set-up. J’ai fait fabriquer un contrôleur, ça implique un rééquilibrage : à quel point je joue sur des bandes, à quel point je joue avec des boucles. C’est du mix, en fait. De l’équilibrage de fréquences entre les différents instruments. Ça fait que je peux aussi un peu plus aller dans la manipulation, faire des effets un peu plus recherchés. C’est mon set-up de rêve, je crois. Ma liberté à moi n’est pas dans le fait de faire le meilleur show possible, mais de faire un show différent à chaque fois et tirer une substance qui me fasse sentir de l’adrénaline derrière les oreilles.

Avec Dans cent ans, ton dernier album, tu as bouclé une trilogie. Fonctionner ainsi te permet d’aller au bout d’un concert et de te réinventer, justement ? 

Je prépare un contre-album, comme je fais tout le temps. Après ça, j’ai des pistes. Je suis attiré par la musique avec groupe, si elle est faite avec le groupe. En gros, réarranger les morceaux avec un groupe, je comprends que ça puisse être intéressant, mais moi ça ne m’intéresse pas trop. Parce que je crois que j’ai encore des choses à faire en jouant avec des boucles. Maintenant, si j’ai envie de jouer avec un groupe, je voudrais qu’il soit à la genèse de la composition des morceaux et que ce soit un truc collégial. Je ne sais pas si la musique que je vais faire plus tard sera différente mais, en tout cas, le fait d’avoir circonscrit ça dans une trilogie, ça me permet de mettre en cohérence “mes périodes”. C’est pas un truc de peintre, c’est plus pour dire : de telle année à telle année, c’était ça. La musique va peut-être se ressembler, mais ça écrira une autre page, dans laquelle je vais pouvoir rentrer dans d’autres subtilités. J’essaye de mettre des règles du jeu pour naviguer dans tout le bordel que je fais.

La trilogie est d’ailleurs le format pop par excellence !

D’où cette intuition ! C’est le monomythe ! Des carcans assez lisibles. Si tu veux épouser des formes populaires musicales, pourquoi ne pas les circonscrire dans un système de classification qui serait lui-même populaire.

Où sera-t-on dans 100 ans ?

Ça serait drôle que dans 100 ans, quelqu’un mette play et écoute le morceau Dans cent ans, mais ce n’est pas la seule ambition. Il y a quelque temps, je suis passé à côté du Lieu unique, à Nantes. En 1999, des objets ont été encapsulés par des habitants, et cette capsule ne sera ouverte que 100 ans plus tard. Les gens qui ont mis tous ces objets ne verront jamais l’ouverture de cette capsule temporelle. Ça m’a mis dans un mindset assez frisson. Tu lances une action qui te survivra et dont tu ne verras jamais l’issue ! C’est un peu une métaphore de faire de la musique. 

Un peu comme les sondes Voyager qui traversent l’univers avec des morceaux de musique, des photos et autres, à destination d’une hypothétique civilisation extraterrestre ?

Exactement. Sauf que là, tu l’envoies dans le temps, comme un frisbee temporel. Pfffffioooou !

2023, l’Odyssée de Flavien. Peu de temps après son départ vers une autre entrevue, on croise Charlie, de Tentative, duo synth-punk à suivre qu’elle forme avec sa pote Alexia. Un album, Statue moi (2023), est sorti cette année et à l’instar du titre du morceau d’ouverture, la paire nous offre un Récit bancal. Quoique, pas si bancal, derrière ses faux-airs lunaires. Le discours a le mérite de fournir quelques outils de réflexion pour survivre dans ce monde un peu à chier et pas très franc du collier. Comme sur la pochette de l’album, Charlie entre dans la discussion avec une botte de céleri dans les bras, comme on tient un bébé. Pourquoi du céleri ? “Bah, c’est le céleri totem.” 

Vous êtes arrivées hier sur le site du festival, après une 1ère performance au casque, avant d’enchaîner ce soir avec un vrai concert sur la scène du cabaret. 

Charlie – Oui, c’est vrai. Je suis allée au sauna. Il y a pas mal de gens à poil, certains se font même fouetter avec des branches. J’ai le sentiment que ça fait concurrence à mon céleri. 

Comment s’est déroulée la 1ère représentation, hier ? 

Charlie Les gens ont mis leur casque et sont allés chercher des hot dog. Nous, on aime bien manger, mais pas pendant le show. Sinon, on organise des dinner shows. J’aurais préféré faire un cache-cache. On est cachées quelque part, le public ne sait pas où on est et doit nous trouver. Ça aurait très drôle.

Alexia On aurait été cachées derrière le grand singe du festival.

Vous êtes deux sur scène, mais Tentative a le potentiel de déployer beaucoup plus de moyens au service du show, non ?

Charlie À terme, j’aimerais qu’on soit plusieurs sur scène, que ça ressemble à un vrai show à part entière, une comédie musicale, quelque chose comme ça.

Alexia  Le cirque, le punk, le post-punk. Ce qui est bien avec Tentative, c’est qu’il s’adapte à toutes les scènes. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre.

Quelle est la différence entre un essai et une tentative ?

Charlie – C’est synonyme, mais ça n’a pas le même sens. Sinon il n’y aurait pas plusieurs mots, tu ne crois pas ? j’ai pris Tentative quand j’ai commencé à faire de la musique, je lisais beaucoup Marina Tsvetaïeva, une poétesse russe. J’avais plein de livres remplis de plein de poèmes, avec plein de tentatives partout, c’est un peu un hommage à elle, à ce qu’elle écrit.

Alexia C’est trop beau comme mot, parce que tu sens le risque. À la fois beau et créateur, il y a un côté périlleux.

Charlie C’est périlleux, oui. 

Alexia Alors que l’essai, c’est scolaire.

Charlie La tentative, elle, est engagée. 

Et si on laissait à Charlie le mot de la fin ? Une façon assez éloquente de caractériser Pete the Monkey.