Rétrospective Douglas Sirk : replonger dans l’œuvre sublime du prince du mélodrame
Contrairement aux grands auteurs classiques hollywoodiens adulés par Les Cahiers du cinéma (Hitchcock, Ford, Hawks, Lubitsch, Lang, Ray, Preminger), le cinéaste américain Douglas Sirk obtient une célébration plus tardive de son œuvre. “Ce ne...
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Contrairement aux grands auteurs classiques hollywoodiens adulés par Les Cahiers du cinéma (Hitchcock, Ford, Hawks, Lubitsch, Lang, Ray, Preminger), le cinéaste américain Douglas Sirk obtient une célébration plus tardive de son œuvre. “Ce ne sont pas des grands films, mais tant pis puisqu’ils sont beaux.” Voilà la 1ère grande déclaration d’amour, et pas encore tout à fait absolue, lancée par Godard dans sa critique sur Le Temps d’aimer et le Temps de mourir en avril 1959, soit le même mois que la sortie aux États-Unis du Mirage de la vie. Ce sera l’ultime long métrage en forme de testament de son auteur, à la fois désespéré par le fonctionnement du système hollywoodien et diminué par les 1ers signes de la maladie. Une célébration qui intervient injustement à contre-temps, alors que le cinéaste vient de marquer coup sur coup une suite de chefs-d’œuvre flamboyants dans les années 1950. Il faudra attendre les hommages du réalisateur allemand Rainer Werner Fassbinder, qui réalisera une transposition en 1974 de Tout ce que le ciel permet dans Tous les autres s’appellent Ali, puis Todd Haynes en 2002 avec Loin du Paradis, mais aussi Godard, qui ne cessera de réaffirmer son adulation pour l’auteur, pour que s’entame une véritable réévaluation critique de l’œuvre de Sirk.
La formule magique
Mais revenons-en aux années 1950. Si, à l’entrée de cette décennie, le metteur en scène a déjà derrière lui plusieurs grandes réussites, d’abord en Allemagne (Paramatta, bagne de femme ; La Habanera) dont il est originaire, puis aux États-Unis après sa fuite du nazisme, sa filmographie se déploie encore au sein de genres hétérogènes : le film policier (Des filles disparaissent), d’espionnage (La Première Légion) ou la comédie conjugale (Eve paie sa dette, Les Parents apprivoisés). En 1953, Désir de femmes marque les 1ers pas du cinéaste dans le mélodrame, mais c’est surtout un an plus tard, avec Le secret magnifique, que Sirk semble trouver la formule magique de son cinéma, son cristal parfait et devient le maître indétrônable du genre. Hormis un film d’aventures (Capitaine Mystère, réalisé en 1955), il ne produira que des mélodrames qui s’écrivent sous le signe de la fatalité : Tout ce que le ciel permet (1955), Demain est un autre jour et Écrit sur du vent (1956), Les Ailes de l’espérance et Les Amants de Salzbourg (1957), La Ronde de l’aube et Le Temps d’aimer et le Temps de mourir (1958), puis Mirage de la vie (1959).
Autant de chefs-d’œuvre que de titres éblouissants (y a-t-il plus beaux titres de films que chez Sirk ?), qu’il tourne à un rythme effréné (huit films en cinq ans), comme touché par la grâce. Si l’on peut véritablement causer de formule, au sens chimique du terme – et non de système -, c’est qu’au-delà de leur appartenance au même genre, ces films communiquent dans un langage qui leur est propre.
Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre
On se souvient de l’énoncé de Truffaut selon lequel un·e cinéaste produit toujours un nouveau film en réaction au précédent. Les films de Sirk, eux, se répondent non comme un phénomène de négation, mais plutôt comme une variation, une reformulation de figures proches, si ce n’est semblables.
Deux exemples paraissent particulièrement frappants de cette reformulation d’un même film, agissant comme un miroir à peine déformant l’un de l’autre : Tout ce le ciel permet et Demain est un autre jour d’une part, et Écrit sur du vent et La ronde de l’aube d’autre part. Dans les deux cas, Sirk installe le même dispositif : un canevas très proche (un amour rendu impossible par les normes sociales dans les deux 1ers, un triangle amoureux dans les seconds), un film en couleur (Tout ce que le ciel permet, Écrit sur du vent) suivi de sa transposition en noir et blanc (Demain est un autre jour, La ronde de l’aube). Si Sirk a été célébré, à l’instar de Minnelli, comme le grand cinéaste de la couleur, c’est précisément parce que celle-ci agit par contraste dans son œuvre. Au Technicolor très fifties d’Écrit sur du vent, au bichromatique baroque écartelé entre la neige immaculée et le rouge écarlate de Tout ce que le ciel permet, s’opposent les noir et blanc sobres, presque austères de Demain est un autre jour et de La ronde de l’aube.
Ce choix de désaturation d’un modèle initial pourtant proche n’est pas anodin. La version noir et blanc se définit comme la face noire du précédent, elle le complexifie et le peint d’un vernie hautement plus amer. Aux deux fins heureuses de Tout ce que le ciel permet et Écrit sur du vent, qui s’achèvent sur une brûlante célébration de l’amour et de l’union d’un couple tant espéré, personne ne croit (et Sirk encore moins) aux happy end de Demain est un autre jour et de La ronde de l’aube. Les violons sont un leurre. Les amoureux·euses, interprété·es par Rock Hudson et Dorothy Lane, se promettent de futures retrouvailles qui n’arriveront très certainement jamais dans l’épilogue de La ronde de l’aube, tandis que le marié et père de famille Clifford (Fred MacMurray), bien qu’encore follement amoureux de Norma (Barbara Stanwyck), devra, à défaut, se résoudre à rejoindre le cocon familial, rongé de mélancolie et de regrets.
L’enfant, ce flic
Au sein même de ce double remake, Sirk s’amuse à faire communiquer deux autres films prétendument absents de l’équation – Tout ce que le ciel permet et Écrit sur du vent -, faisant naître une nouvelle combinaison. À la figure œdipienne incarnée par le fils dans Tout ce que le ciel permet, s’étonnant du décolleté de sa mère qui risquerait d’effrayer le prétendant amoureux de celle-ci, Sirk dresse en miroir son Électre dans Écrit sur du vent à travers le personnage de Marylee (Dorothy Malone), dont il exacerbe la fonction symbolique dans un dernier plan on ne peut plus claire : alors que Mitch (Rock Hudson), qu’elle aime éperdument, choisit d’aimer Lucy (Lauren Bacall), Marylee (Doroty Malone) s’assied sur le bureau de son père défunt dont elle reprend désormais les responsabilités puis, s’effondrant de tristesse, elle empoigne une tour de forage miniature à la forme outrageusement phallique, reproduisant précisément le tableau de son paternel qui se trouve derrière elle.
Car chez Sirk, toute quête, que ce soit le désir (Tout ce que le ciel permet, Demain est un autre jour, Écrit sur du vent) ou le succès (Mirage de la vie, La ronde de l’aube), entraîne implacablement le sacrifice de la stabilité émotionnelle ou du modèle familial. L’intuition assez géniale de son cinéma étant de dévoiler à la figure de l’enfant, non pas l’habituelle innocence réformatrice, mais le rôle du censeur. Dans Tout ce que le ciel permet, Demain est un autre jour, mais aussi Mirage de la vie, il intervient comme un acteur cruellement conservateur, qui verrouille le libre-arbitre de l’adulte pour que celui-ci se conforme aux normes sociales même les plus surannées. Finalement, Sirk n’aura attendu ni Fassbinder ni Todd Haynes pour remaker ses propres films.
Rétrospective Douglas Sirk, du 31 août au 26 octobre 2022 à la Cinémathèque française, à Paris.
À lire : Douglas Sirk, né Detlef Sierck, de Bernard Eisenschitz, Éditions de l’œil, paru en août 2022, 35 euros.