Rétrospective, ressortie et livre collectif : Paul Vecchiali est à l’honneur cet été
Après un mois de juin eustachien, le mois de juillet 2023 pourrait bien être vecchialien. Ce hasard de calendrier vient réunir dans les salles deux “amis inséparables” (selon les mots de Vecchiali lui-même), qui ont tous deux commencé par écrire...
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Après un mois de juin eustachien, le mois de juillet 2023 pourrait bien être vecchialien. Ce hasard de calendrier vient réunir dans les salles deux “amis inséparables” (selon les mots de Vecchiali lui-même), qui ont tous deux commencé par écrire aux Cahiers du Cinéma dans les années 1960.
Eustache sera le 1er à passer à la réalisation avec deux courts-métrages produits par Vecchiali (qui participera aussi à la production de La Maman et la Putain), puis ce dernier se lancera à son tour, avant de créer sa propre maison de production en 1976, Diagonale, qui réunira toute une famille de cinéma avec Jean-Claude Biette (Le Théâtre des matières), Jean-Claude Guiguet (Les Belles Manières), ou encore Marie-Claude Treilhou (Simone Barbès ou la vertu). Cette triple actualité offre un bel hommage à cette figure à la fois essentielle, marginale et secrète du cinéma français, qui nous a quitté·es le 18 janvier dernier.
Kaléidoscope critique
Paul Vecchiali – Once More est un ouvrage kaléidoscopique, qui multiplie les voix et approches pour appréhender une œuvre riche de plus de 70 films. Que ce soit en se consacrant à un film en particulier (Hervé Joubert-Laurencin sur Trous de mémoire), ou à l’ensemble de l’œuvre (Camille Nevers), en mettant en dialogue Femmes, Femmes avec Jeanne Dielman (Marianne Dautrey) ou avec un Soupçon d’amour (le cinéaste Pierre Creton), chacun de ces essais critiques vient exprimer une sensibilité personnelle pour éclairer la richesse de cette filmographie hétérogène.
À ces essais s’ajoutent des témoignages des proches collaborateur·rices du cinéaste, comme Marie-Claude Treilhou qui dresse un portrait émouvant du cinéaste, ou encore ses acteurs et actrices fétiches (Jean-Christophe Bouvet, Pascal Cervo et Françoise Lebrun) qui dialoguent au fil d’un long entretien animé par Damien Bertrand, Pascale Bodet et Gaël Teicher. Enfin, l’ouvrage nous donne également l’occasion de (re)lire les textes critiques de Vecchiali, qui dessinent les contours d’une cinéphilie très singulière, marquée par l’amour du cinéma des années 1930, des “génies américains” (Keaton, Ford ou Fuller) et par certaines prises de position tranchantes et véhémentes.
En diagonale du cinéma français
Pour mieux comprendre la place si particulière qu’occupe Paul Vecchiali dans le cinéma français, l’un de ses propres textes publiés dans ce nouvel ouvrage peut nous éclairer. Dans une lettre adressée au cinéaste italien Valerio Zurlini, Vecchiali lui déclare toute son admiration : “Tu es, pour moi, le plus grand cinéaste italien, parce que le plus secret, moins représentatif d’une école quelconque.” Il souligne la position marginale du réalisateur de Journal intime ou du Professeur, et ajoute : “Trop peu d’hommages t’ont été rendus. Je tâcherai, jusqu’à ma mort, d’y remédier, comme je l’ai fait, il y a des années, pour Jean Grémillon qui a plus d’un point commun avec toi.”
Comme Zurlini et Grémillon, Vecchiali est le contemporain d’illustres cinéastes, qui connaîtront bien plus d’honneur et de reconnaissance que lui. Sans aucune considération pour les effets de mode et d’école, il creusera sa propre voix et affirmera son indépendance d’esprit et son cinéma de franc-tireur (pour s’en convaincre, lire son monumentale Encinéclopédie). Lorsqu’on lui demandait en 2015 ce qui le distinguait des cinéastes de la Nouvelle Vague, il nous répondait : “Je crois que je réintroduisais le sentiment. Leur cinéma était plus cérébral, et je le dis sans que ce soit un reproche.”
Écriture lyrique
Si la modernité de la Nouvelle Vague consistait à casser le plan des émotions du cinéma classique (pour reprendre l’hypothèse du critique Pascal Bonitzer), Paul Vecchiali a poursuivi, à sa façon, l’écriture lyrique de Grémillon, Ophüls ou Renoir. Dans son portrait qui ouvre le livre, Marie-Claude Treilhou évoque “la virtuosité chatoyante à la Ophüls” avec laquelle Vecchiali filme ses personnages en méprisant toute hiérarchie sociale. Il y a là une dimension politique essentielle à son cinéma, qui adopte l’esthétique la plus flamboyante du mélodrame pour filmer des marginaux·ales, les sans-voix de la société invisibilisé·es dans le reste de la production cinématographique (des femmes âgées, des prostituées, des criminels, des prolétaires, des homosexuels et des séropositifs).
Comme le souligne Camille Nevers dans son texte, cette filmographie prend la forme d’une “comédie humaine au long cours”, où cet “univers choral et trivial” se déploie dans un “paysage fantasmagorique”. Sans jamais détourner le regard face au mal, la cruauté et la morbidité, Vecchiali se refuse pour autant à adopter une esthétique morne et grise, qui accablerait encore un peu plus le réel qu’il filme. Dans l’un de ses textes réédités, le cinéaste conspue ce qu’il appelle le néonaturalisme et écrit : “Pour être davantage dans le ‘vrai’, on banalise la notion de ‘plan’, l’atome de la matière filmique. Il n’exalte plus les comédiens ; il se refuse à toute idée poétique spontanée, aux ‘mouvements qui déplacent les lignes’, à cet élan passionnel qui va au-delà de l’anecdote et rend les images vibratiles.” Vecchiali nous offre ainsi une sorte de manifeste esthétique et moral de son propre cinéma.
Dialectik
Au cœur de la morale vecchialienne, il y a la notion de dialectique, qui lui inspire le nom de sa nouvelle société de production indépendante qu’il crée en 2010. À la lecture de ses textes critiques, on remarque que les cinéastes qu’il admire le plus semblent tous avoir un point en commun : par la mise en scène, ils sondent l’ambiguïté du monde et répudient tout manichéisme. Les quelques lignes dédiées à Samuel Fuller en sont exemplaires : “il choisit son écriture en fonction du sujet, bafoue l’homogénéité au profit du doute, balaie les scrupules au nom de ‘sa’ vérité qu’il n’impose d’ailleurs pas.”
Cette morale n’en reste pas à l’état de principes théoriques, mais elle innerve très concrètement ses méthodes de tournage. En s’entourant de collaborateur·rices régulier·ères, Vecchiali met à mal la figure démiurgique de l’auteur. Il cultive “cet esprit forain, collectiviste et familial de la troupe” (Camille Nevers). Le film doit éviter d’illustrer le discours préconçu du réalisateur, mais s’ouvre plutôt à la créativité des acteur·rices et de l’équipe technique, pour créer une délicate polyphonie qui accueille les sensibilités de chacun·e. À ce sujet, il nous expliquait que, pour lui, la musique ou le décor du film ne devaient jamais servir d’“explication de texte” qui “souligne les effets”. Le musicien comme le décorateur devaient pouvoir exprimer leurs points de vue sur un univers : le rôle du cinéaste est alors de faire dialoguer ces individualités.
Plus encore, cette dialectique s’incarne dans la direction d’acteur·rice si particulière de Vecchiali. L’entretien passionnant entre Jean-Christophe Bouvet, Pascal Cervo et Françoise Lebrun permet de rendre compte des dispositifs de tournage si particuliers que Vecchiali inventait pour chacun de ses films. À la manière de Jean Renoir, l’inattendu, l’ambiguïté et l’étrangeté naissent des écarts entre l’acteur·rice et le personnage. L’actrice et réalisatrice Pascale Bodet résume cela simplement : “L’idée, je crois, était que ce que vous faites en tant qu’acteur contredise ce que vous venez de faire en tant que personnage.” Chaque film invente son propre dispositif (plus ou moins pervers) et s’apparente à un prototype qui vise à extraire de cet écart un état ou une émotion particulière. À ce titre, Trous de mémoire, largement improvisé par Lebrun et Vecchiali, constitue un exemple particulièrement retors qu’Hervé Joubert-Laurencin s’emploie à déplier intelligemment.
Si cette plongée rétrospective dans les films de Vecchiali nous invite à reparcourir cette œuvre foisonnante à la découverte de pépites encore méconnues, l’ouvrage se clôt par des photogrammes émouvants de l’ultime film de Paul Vecchiali (et encore inédit) Bonjour, la langue – un titre en forme de dédicace à l’Adieu au langage de Godard. Comme l’explique Camille Nevers : “C’est un hommage à Jean-Luc Godard, décédé quelques semaines plus tôt, le 13 septembre 2022, disparition qui l’avait affecté au point de décider, par une de ces impulsions vitales qui chaque fois le jetait dans le prochain film (…), de tourner cette impro – improvisation et impromptu –, en l’espace d’une seule journée d’octobre.” Bonjour, la langue sera donc l’adieu définitif de Vecchiali au cinéma, comme l’ultime invitation à le retrouver prochainement, once more.
PAUL VECCHIALI — Once More, Sous la direction de Cyril Neyrat avec Damien Bertrand, Pascale Bodet, Jean-Christophe Bouvet, Pascal Cervo, Pierre Creton, Marianne Dautrey, Hervé Joubert-Laurencin, Françoise Lebrun, Emmanuel Levaufre, Camille Nevers, Gaël Teicher, Marie-Claude Treilhou, les éditions de l’œil & le FIDMarseille, 25 euros