Rock en Seine 2024 : The Psychotic Monks, histoire d’une émancipation rock

Première édition de Rock en Seine, 27 août 2003. Massive Attack, PJ Harvey, Beck… Le festival francilien n’est pas encore au diapason de la révolution rock en cours, initiée par The Strokes et consorts, mais le timing est le bon et l’époque...

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Première édition de Rock en Seine, 27 août 2003. Massive Attack, PJ Harvey, Beck… Le festival francilien n’est pas encore au diapason de la révolution rock en cours, initiée par The Strokes et consorts, mais le timing est le bon et l’époque propice à la déflagration à venir. Les têtes d’affiche sont les icônes des nineties et vont participer à ancrer durablement l’événement dans le paysage, au point d’en faire un rendez-vous incontournable pour les amateurs de guitares, d’amplis saturés et de coups de semonce. Depuis, Rock en Seine a été le témoin précieux des bouleversements formels d’une scène rock protéiforme et en constante évolution autant qu’une plateforme d’expression privilégiée pour cette dernière.

Dès l’édition suivante, en 2004, la machine était donc lancée et n’a jamais renié ses racines. De The White Stripes à Arcade Fire, en passant par MGMT, Franz Ferdinand, Vampire Weekend ou encore Arctic Monkeys, Wu Lyf, Snail Mail ou Boygenius, le festival a quadrillé les soubresauts du rock, et l’édition 2024, avec ses têtes émergentes (The Last Dinner Party, Bar Italia) ou bien installées (The Smile, Sleater-Kinney, The Kills), s’inscrira tout naturellement dans cette lignée. L’une de nos marottes cette année s’appelle d’ailleurs The Psychotic Monks, elle est française et dit quelque chose du rock en 2024.

Monté par Clément Caillierez, Artie Dussaux et Martin Bejuy en 2012, scellé en 2015 avec l’arrivée de Paul Dussaux, le quatuor a écumé les scènes de tous les rades de France en Renault Espace avant de voir son nom à l’affiche des plus grands festivals européens. Particulièrement celle de Rock en Seine, puisque le groupe s’y est déjà produit à deux reprises, en 2016 et en 2018. Le festival suit ainsi un parcours discographique exemplaire, débuté avec Silence Slowly and Madly Shines (2017), avant d’embrayer sur Private Meaning First (2019) et de conclure en beauté cette trilogie avec Pink Colour Surgery l’année dernière.

En 2019, la bande des quatre confiait aux Inrocks : “Notre album est une 1ère pierre posée à la discussion.” Une façon de marteler que rien, et surtout pas leur musique, ne restera figé dans l’éther ou dans un quelconque cliché rock – rien qui briderait une trajectoire tournée davantage vers le spirituel et le politique que le performatif, et ce, malgré l’énergie et l’intensité déployées sur scène autant que sur vinyle. Clément, aujourd’hui : “On cause beaucoup de cette année 2019 et de cette grande tournée qui, en quelque sorte, a été la réalisation d’un rêve. Un rêve que nous avions en tête depuis toujours, avec toute l’imagerie qui va avec. Mais on a aussi vu l’autre côté du rêve et on se souvient de l’état dans lequel nous en sommes sortis.”

Lessivés, les Monks profitent de la césure imposée par la pandémie pour se remettre d’équerre, revoyant leurs priorités et la façon de pratiquer leur art, en dehors des carcans dans lesquels la presse mais aussi le public s’échinaient à les faire entrer. Martin Bejuy : “C’était le bon moment pour nous réapproprier notre pratique. On s’est retrouvés confrontés à deux choses : la manière dont on voulait désormais aborder nos concerts et la manière dont on avait envie de causer aux gens. Dans cette frénésie, il est arrivé que la frontière entre ce que l’on performe et ce que l’on est dans la vie se brouille. À titre personnel, je peux dire aujourd’hui qu’il y a une séparation. La musique est un outil qui m’a permis de me demander qui j’étais et ce que j’avais envie de expliquer avec ça.”

Sur disque, le travail sur les sonorités et les atmosphères industrielles s’est fait plus pressant. Les guitares ne tracent pas des riffs de solistes machos mais strient la bande saturée de motifs électroniques. Les filiations sont à chercher du côté des expérimentations hybrides de l’après-punk plus que du côté de l’héritage blues, usé jusqu’à la corde par des groupes pastiches qui ne font que rabâcher des formules passéistes. “Musicalement, les frontières entre les genres et les esthétiques ne veulent plus dire grand-chose, analyse Artie Dussaux. Ça fait plus de dix ans qu’il y a des mouvements post-internet, hyperpop, très liés aux nouvelles technologies. À notre petite échelle, ça a commencé à se mettre en place.”

Dans la foulée de ces évolutions formelles progressives, que le groupe portait en lui dès ses balbutiements mais qui ont dû prendre le temps de mûrir, et en accord avec les propos de Martin d’utiliser la musique comme un outil d’émancipation, les Monks ont ainsi fait de leur formation une plateforme politique. Artie Dussaux : “Des questions ont été visibilisées, il y a eu des événements politiques, George Floyd, des basculements majeurs. Et ça s’est répercuté sur nous et la manière dont on s’exprime au sein d’une société qui évolue.” L’année dernière, avant le début de leur nouvelle tournée, un long message avait été posté en guise d’avertissement sur les réseaux sociaux, avec la mention “à lire avant de venir nous voir en concert”. Celui-ci avait pour but de prévenir tous les “comportements violents et sexistes qui ont lieu et qui peuvent décourager certains d’y accéder”. Presque simultanément, Artie faisait son coming out trans : “Je suis Artie, je suis une femme transgenre, et j’en suis fière.” C’est quoi alors, être rock en 2024 ? Les Psychotic Monks en proposent une définition rénovée.

En concert sur la scène Cascade, le 22 août.