Rodrigo Amarante : “Sans mémoire, on n’existe pas. Je me rappelle, donc je suis.”

On se cause par WhatsApp, un beau matin parisien. Obéissant aux clichés latins, Rodrigo Amarante se couche tard et c’est à minuit, heure de la Californie où il réside, qu’on échange longuement autour de son nouvel album, Drama. Mais pas que....

Rodrigo Amarante : “Sans mémoire, on n’existe pas. Je me rappelle, donc je suis.”

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On se cause par WhatsApp, un beau matin parisien. Obéissant aux clichés latins, Rodrigo Amarante se couche tard et c’est à minuit, heure de la Californie où il réside, qu’on échange longuement autour de son nouvel album, Drama. Mais pas que. Les digressions se font rapidement, les références fusent, et on s’amuse beaucoup, malgré la mélancolie qui imprègne toujours la musique d’Amarante.

Quand on le félicite pour le bel ouvrage qu’est Drama, il respire un grand coup : “Ouf ! J’ai beaucoup travaillé et j’en ai oublié à quel point c’était une vraie responsabilité que de faire un album. Il ne s’agit pas uniquement de musique.” Non, en effet, il est aussi question de expliquer son âme pour percer un peu de lumière dans celle des autres. 

L’enregistrement de Drama a été finalisé pendant le confinement de mars 2020. En quoi la crise sanitaire a-t-elle eu un impact sur l’album ? 

Rodrigo Amarante – Difficile à dire. En écrivant ces chansons, je n’avais qu’une envie : que le monde s’arrête un instant. Sans que rien ne se passe, et que je reste au fond de mon trou. Ce qui s’est passé est allé dans ce sens, et j’ai réalisé que j’étais déjà isolé. Beaucoup trop isolé. Aujourd’hui, je chéris ces moments entre amis où on cuisine, on discute et on boit ensemble. Mais pour répondre à votre question, la crise a en revanche affecté très directement le projet sur lequel je travaillais. On m’avait fait une proposition assez folle, réalisateur pour Netflix. J’avais reçu la moitié de mon salaire, j’avais le script, l’équipe était prête, je suis allé à Mexico… Mais tout a péréclité. Du jour au lendemain, on a dû remballer. Et je suis redevenu musicien. Ce n’est pas plus mal !

C’est suite au générique de la série Narcos, Tuyo, que Netflix vous a contacté pour ce projet ? 

Oui, parce que durant des entrevues, j’avais expliqué comment j’avais écrit cette chanson. J’imaginais ces criminels enfants, les retrouver dans les années 1960, parlant avec leur mère… Les équipes de Netflix voulaient que je creuse un peu plus.

Mais ce projet peut-il repartir, non ?

Rien de moins sûr. Trop de temps a passé, pour eux comme pour moi. C’est l’histoire de ma vie, ça. Drama ! Avec moi, les concepts deviennent des idées posthumes.

La douce mélancolie de la bossa, le minimalisme d’un folk lo-fi. La formule Amarante fonctionne toujours…

Même si à l’origine, Drama devait être plus sec que Cavalo, il avait moins d’harmonies, de percussions. Jusqu’à ce que je réalise que je reproduisais un schéma de l’enfance : comment un petit garçon devient un homme, un vrai. J’étais trop émotif et, quand je me battais, c’était bien malgré moi. Pensant œuvrer pour mon bien, mon père m’a rasé la tête pour me rendre plus menaçant. Cela m’a libéré quelque part d’être changé. Mais en travaillant sur Drama, j’ai compris que les compromissions ne servaient pas à grand-chose. 

Et la musique, encore une fois, tient son rôle thérapeutique !

C’est son boulot de l’être ! Une bonne chanson est un outil de survie, mais aussi un miroir imprédictible. En écrivant, ce que je pense savoir est remis en question, c’est là que la vérité m’apparaît, progressivement. 

Point commun de Cavalo et Drama : la mémoire, au centre de tout. Le souvenir est-il votre 1ère source d’inspiration ?

Ceux qui la perdent le savent : sans mémoire, on n’existe pas. Je me rappelle donc je suis. On se base sur cette mémoire. Étymologiquement, le vocabulaire qui s’y apparente est passionnant. Il y a le mot “membre” dans “remembering” ; ce qui signifie bien que nos souvenirs s’apparentent à des morceaux désassemblés qui, cependant, ont été un jour unis, fusionnés. On doit donc se protéger, et c’est pour cela qu’on fuit ses propres cauchemars. Avec Cavalo, j’ai réalisé que j’étais un étranger qui l’avait toujours été et c’est ce que reflètent mes paroles. Mon personnage a avancé depuis, fait face à des obstacles. Finalement, j’ai réalisé tout l’intérêt de mon bagage. J’aime l’idée du destin, que des faits soient inscrits ou qu’ils se répètent, aussi. Ce qui s’entend également dans ma musique.

Donc, pour paraphraser Paul Verlaine, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre ? 

C’est très vrai, car je suis différent aussi de celui qui a écrit Cavalo. Dans le clip de Mare, je reprends d’ailleurs le personnage de cet album… Cette chanson évoque le rituel de l’écriture, ce double de moi qui critique ma façon de faire. Il n’empêche qu’il y a de la beauté à porter un masque ou un costume, qui permettent d’extérioriser quelque chose qui est en toi. On finit par se révéler à soi-même tout en jouant, néanmoins, le rôle donné par ses propres chansons. On n’y trouve pas de véritable expression de mon âme, car je veux contrôler ce que l’on pense de moi.

D’un point de vue sociopolitique, la période est assez sombre – c’est ce que vous expliquez dans Um Milhão. Comment la vivez-vous, en tant que Brésilien vivant aux États-Unis ? 

C’est un sentiment très triste. Um Milhão cause de l’humiliation provoquée par l’inégalité sociale, du développement de l’immobilier, de la concentration des pouvoirs et de l’argent. La situation au Brésil est déprimante. J’ai cru en Lula, car je suis un vrai démocrate, mais nous voyons aujourd’hui la puissance de la propagande de droite qui diffuse des fausses informations. Aujourd’hui, le président brésilien est un parfait idiot, et rappelle le fait que les Américains ont élu un fasciste que tout le monde considérait comme un clown quelques années auparavant. Comment peut-on en arriver là ? Bolsonaro détruit la structure culturelle brésilienne, l’une des rares sources de revenus pour les plus pauvres. 

Avez-vous hâte de revenir tourner en Europe, particulièrement en France où vous êtes particulièrement apprécié ?

Ça, c’est la meilleure partie de mon boulot ! Mon français est très rouillé (dit-il en français, ndlr). Les Français aiment râler, mais les salles de spectacle sont belles, il y a du vin et du fromage servis avant les balances… C’est un rêve éveillé. Ce pays a été mon meilleur souvenir sur la tournée de Cavalo, et je compte bien y revenir dès que je le pourrais.

Drama (Polyvinyl Records/Bigwax). Sortie le 16 juillet