Rone, un stakhanoviste bien entouré

Dans la discographie de Rone, il y a désormais un avant et un après-confinement. En maintenant envers et contre tout la parution de Room with a View au printemps 2020, Erwan Castex a choisi d’offrir son cinquième album dans un pays sous cloche....

Rone, un stakhanoviste bien entouré

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Dans la discographie de Rone, il y a désormais un avant et un après-confinement. En maintenant envers et contre tout la parution de Room with a View au printemps 2020, Erwan Castex a choisi d’offrir son cinquième album dans un pays sous cloche. Résonnant étrangement avec la situation pandémique depuis nos “chambres avec vue”, la musique de Rone trouvait même, jusque dans l’intitulé des morceaux, quelques échos prémonitoires : Nouveau Monde, Human, Esperanza, Raverie, Solastalgia

Pourtant échaudé par l’interruption soudaine du spectacle Room with a View avec (La)Horde, le producteur électronique vit une sortie d’album en pleine science-fiction. Au point aussi de tomber malade, sans savoir si le Covid-19 ou une grosse fatigue l’a touché au sortir des sept 1ères représentations au Théâtre du Châtelet. “J’ai la sensation que l’actualité nous a rattrapés à une vitesse folle, nous explique-t-il par Zoom un jour confiné d’avril 2020, deux semaines avant la sortie numérique de l’album puisque les disquaires n’étaient pas encore considérés comme des commerces ‘essentiels’.

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“Dans le spectacle, il y a un moment où les personnages ont des masques sur scène, il y a une pluie de poissons, et ils les balaient. Lors des dernières représentations, des gens dans la salle commençaient à porter eux-mêmes des masques, car le Covid arrivait. Je me souviens être sur scène en train de jouer, lever la tête et voir plein de personnes avec des masques. Il y avait un effet miroir entre la scène et la salle, c’était vraiment troublant.”

Quelque chose se joue pendant ce printemps historique et confiné

Le collectif de (La)Horde se rappellera, quelques mois plus tard dans ces colonnes, l’expérience inédite traversée : “Avec Rone, on parlait des effondrements et, d’un seul coup, le monde s’est effondré. La fiction qu’on avait mise en scène a été rattrapée par la réalité. La salle était complète et on s’est retrouvés à jouer pour des moitiés de salle avant la fermeture totale des théâtres et l’annulation de nos trois dernières dates.”

A l’époque, Erwan habite à Montreuil avec sa dulcinée et leurs deux enfants. Il n’a pas encore “quitté la ville”, comme dans la chanson visionnaire interprétée par Frànçois Marry sur l’album Creatures (2015). Et pourtant, quelque chose se joue pendant ce printemps historique et confiné sans que l’intéressé ne sache encore très bien quoi. “Le Nouveau Monde de l’album, je l’attends, je l’espère, nous révèle-t-il alors.

“Parfois, je suis très optimiste, je me dis qu’il y a une prise de conscience générale, que le monde ne sera plus jamais le même après cette épidémie. Et, d’autres fois, je me dis qu’il est carrément possible et probable qu’en fait tout soit absorbé, qu’il n’y ait quasiment aucun changement, qu’on ne mette que des petites rustines.”

Onze mois improbables sont passés et l’on retrouve Rone au… Théâtre du Châtelet pour une captation filmée de son nouvel album Rone and Friends, quelques jours seulement après avoir reçu le César de la meilleure musique originale pour La Nuit venue, le 1er long métrage de Frédéric Farrucci. Hyperbolique, La Nuit venue pourrait ainsi résumer l’année écoulée, autant pour la suspension prolongée de la vie culturelle que pour l’arrêt brutal du spectacle vivant.

Douze titres pour quatorze voix

Dans cette ambiance un peu surréaliste de retour vers le futur au Théâtre du Châtelet, le professeur Tournesol de l’electro française semble presque incrédule. “C’est dingue de revenir encore dans ce lieu magique ; à force, j’ai l’impression d’être comme à la maison, j’en connais les moindres recoins, s’enthousiasme-t-il. Dans le contexte actuel, c’est inespéré de pouvoir réunir presque tous les invités du disque.”

Il cause d’ailleurs de son sixième album, exclusivement collaboratif (douze titres pour quatorze voix), comme d’un “enfant non désiré”. Sans le confinement, ce projet vocal n’aurait sans doute jamais vu le jour. Depuis Bora Vocal avec l’écrivain Alain Damasio à Mortelle avec Etienne Daho, en passant par Let’s Go avec High Priest d’Antipop Consortium, les voix ont souvent pimenté les textures électroniques de Rone. “On sent chez lui l’envie d’interaction humaine, pointe Frànçois Marry. C’est un garçon sensible et ouvert, amateur d’hybridité.”

Des amitiés fidèles , des rencontres hasardeuses et des opportunités heureuses

C’est depuis Cancale, où il vit désormais en famille dans une maison face à la mer (“le meilleur moyen pour se ressourcer en cas de panne d’inspiration”), qu’Erwan a initié son nouveau disque à l’automne dernier.

Faute d’être en tournée avec le ballet et en solo pour Room with a View, Rone part donc d’un morceau interprété par Alain Damasio et Mood, le bien nommé Un, point de départ d’une collection de chansons, dont le générique dessine à la fois des amitiés fidèles (Alain Damasio, Flavien Berger, Laura Etchegoyen), des rencontres hasardeuses (Jehnny Beth, Dominique A, Camélia Jordana) et des opportunités heureuses (Georgia, Roya Arab, Casper Clausen d’Efterklang). Procédant par échanges de fichiers entre confiné·es, le compositeur cherche autant à revisiter certains instrumentaux déjà parus qu’à retravailler des maquettes abandonnées.

Des vertus de sérénité dans ce fonctionnement dématérialisé

“Dans ma discographie, je fonctionne souvent par contrepoint. Après un album épuré et principalement instrumental, conçu pour des danseurs, j’avais envie d’entendre des voix sur mes musiques. Le titre provisoire était d’ailleurs Vox.” A l’invitation amicale d’Erwan Castex, Dominique A se retrouve ainsi au menu de Rone and Friends. D’abord hésitant par crainte de “marcher sur ses propres plates-bandes” – lui qui démultiplie les featurings depuis le début de sa carrière (“Appelez-moi feat, j’adore répondre au désir des autres”) –, le chanteur majuscule est inspiré par l’idée d’errance dans la composition de Rone.

“Il y a quelque chose d’onirique dans sa musique, avec beaucoup d’espaces. Erwan parvient à créer une atmosphère qui court tout au long de l’album, avec un déroulé extrêmement fluide. C’est surprenant de voir à quel point un artiste peut homogénéiser un disque avec autant d’intervenants, de voix et de tempéraments différents, sans que les uns et les autres ne se soient concertés. Erwan avait son plan de vol dont il était le seul à détenir la carte. Rone and Friends est comme un cadavre exquis musical.”

Si chaque interprète communique à distance avec Rone, ce dernier trouve, malgré tout, des vertus de sérénité dans ce fonctionnement dématérialisé, s’immergeant dans son home studio breton sans jamais être dérangé par une tierce personne. “Dans son livre Qu’est-ce que la musique ?, David Byrne fait une analogie pertinente entre les collaborations et le ping-pong. Comme il l’explique fort justement, avec les échanges par internet, on peut attendre une ou deux nuits avant d’effectuer son retour gagnant sur un service.

“Au détriment de l’excitation collective, j’y ai puisé une douceur très agréable. Dans la même journée, je pouvais recevoir un mail de Dominique A et un autre de Roya Arab, qui ont deux manières distinctes de travailler. A travers nos correspondances, j’ai reçu des mots tellement touchants des interprètes que je me sentais moins seul dans mon studio.”

Le chaînon manquant entre Four Tet et Caribou

Autrefois maladivement timide jusque dans son cercle privé, Rone se frotte encore les yeux durant cette période où il croule sous les sollicitations, comme cette commande récente de Jacques Audiard pour composer la bande-son de son prochain film, Les Olympiades (une adaptation de la bande dessinée Les Intrus de l’auteur américain Adrian Tomine). “Il y avait vingt-cinq scènes à mettre en musique en un mois ! Je n’ai jamais autant bossé de ma vie, mais Jacques Audiard fait partie de mes trois cinéastes fétiches avec Terry Gilliam et Akira Kurosawa, dont Rêves est mon film préféré”, confesse cet ancien étudiant en cinéma.

“Les confinements successifs ont permis à Rone de réaliser des projets qu’il n’aurait pu faire en étant en tournée depuis un an”, souligne Alexandre Cazac, cofondateur d’InFiné, le label historique de Rone depuis 2008. “Je considère d’ailleurs que Room with a View est la 1ère œuvre post-Covid, qui communique une énergie réconfortante et qui donne envie de se relever collectivement. Cela m’a encore plus frappé en revoyant le spectacle filmé avec les danseurs de (La)Horde.”

“La grande leçon de la pandémie, c’est que l’on s’en sortira tous ensemble, pas séparément ! Rone est un artiste avec qui on peut avoir des rêves communs. C’est une chance de l’accompagner depuis ses débuts. Il fait partie de cette génération qui prend la parole et qui obtient enfin une reconnaissance critique et publique – son César est une vraie Victoire de la musique. A sa façon, il fait bouger les lignes et possède aujourd’hui un son immédiatement reconnaissable.”

Pour résumer, Rone pourrait être le chaînon manquant entre le Britannique Four Tet et le Canadien Caribou. Il se souvient encore du jour où il a mixé pour la 1ère fois au Rex Club, un soir de 2008.

Une illustration superbe par la dessinatrice Coco

“Malgré les années qui passent, Erwan a gardé sa fraîcheur et une légèreté très gracieuse dans son approche artistique. Sa musique n’est jamais pesante. Avec le succès, certains artistes ont tendance à charger et à complexifier leur univers, soulève Alain Damasio, qui le connaît depuis une quinzaine d’années. La frontière est pourtant mince entre la légèreté et la superficialité, mais Erwan tient sa ligne et il est l’un des rares producteurs électroniques à proposer une musique aussi aérienne et ascendante.

“C’est un musicien très féminin dans sa capacité de réceptivité et d’écoute de l’époque, d’absorption des atmosphères, qui se traduit dans ses morceaux. Rone est photosensible à son environnement. Il a pris la vague écologique depuis longtemps, il n’est pas décalé par rapport au monde qui l’entoure.” Si Jehnny Beth a pleuré devant le spectacle Room with a View, elle pointe justement chez Rone son “côté dystopiste et chaleureux” qui résonne avec le monde et la pandémie.

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Après lui avoir demandé un remix de son single French Countryside, elle chante pour la 1ère fois en français sur Rone & Friends, à travers un morceau inspiré par des déambulations nocturnes dans une capitale déserte pendant le 1er confinement (Et le jour commence). Illustrée superbement par la dessinatrice Coco, la pochette de Rone and Friends donne à voir une farandole humaine qui s’enlace dans les nuages, comme un symbole charnel du monde d’avant.

Album Rone and Friends (InFiné/Bigwax)

Diffusion de Rone and Friends sur Arte Concert le 13 avril à 21 h