Ronnie Spector, Bye My Baby

Bien avant Amy Winehouse, avant Beth Ditto, avant les Riot Grrrl et Janis Joplin, il y eut Ronnie Spector. Les puristes citeront sans doute Wanda Jackson en tête de rubrique “rock stars féminines”. Pourtant, chipotages paléontologiques mis...

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Bien avant Amy Winehouse, avant Beth Ditto, avant les Riot Grrrl et Janis Joplin, il y eut Ronnie Spector. Les puristes citeront sans doute Wanda Jackson en tête de rubrique “rock stars féminines”. Pourtant, chipotages paléontologiques mis à part, la toute 1ère ce fut elle. Elle qui conjuguait innocence et lasciveté. Elle qui d’une voix savoureusement acide nous faisait presque rêver d’Eve croquant la pomme de la Genèse. Fruit défendu, délice et damnation : c’est donc bien à elle que revient le 1er frisson. 

Aussi doit on à ce bout de femme, que beaucoup ont admiré, désiré, qui a fendu des cœurs comme autant de bûches, excité des tentations charnelles plus ou moins avouées (John Lennon, Mick Jagger, Keith Richards compris), rendu un génie (Phil Spector) encore plus génial et un dingue (le même) encore plus dingue, et qui vient de s’éteindre à l’âge de 78 ans des suites d’un cancer, un hommage tout particulier. Pour son sex appeal certainement, pour ses chignons géants et ses mini-jupes accessoirement, mais surtout parce qu’elle annonçait la montée en puissance de toutes ces filles dans un enclos outrageusement dominé par les mâles et qu’elle en a payé un prix trop cruel. Et aussi, surtout, parce que sans elle, la bande son des années 1960 n’auraient pas été aussi grandiose. Demandez donc à Martin Scorsese pourquoi il a choisi Be My Baby en intro à Mean Streets (et, plus anecdotique, Frosty The Snowman dans Les Affranchis) ? 

Melting pop à l’américaine

En 1962, Phil Spector invente le Wall of Sound, soit l’exagération wagnérienne de cette pop conçue entre les murs du Brill Building, ruche new-yorkaise d’où s’écoule le miel qu’étalent à longueur d’ondes les radios locales et nationales. Mais c’est en tombant sur un single de Ronnie & The Relatives, trio new-yorkais originaire de Spanish Harlem composé de Veronica (Ronnie) Bennett, de sa sœur Estelle et de sa cousine Nedra Talley, que le Mogol du mono se dit qu’il a enfin trouvé ce qu’il cherchait : cette voix, mélange d’innocence et de sensualité, comme une promesse de luxure sous l’organdis du romantisme. 

Veronica, née le 10 août 1943, et donc âgée de 19 ans à l’époque, est un peu l’incarnation la plus aboutie du melting pop à l’américaine avec une mère moitié cherokee et noire et un père blanc. Spector en devient instantanément mordu, lui fait chanter ses meilleures compositions, en l’occurrence des déclarations d’amour inspirées par elle. Ainsi Be My Baby devient elle le prototype de la pop song spectorienne, une micro-symphonie pour carnet de bal adolescent (un bal s’achevant de la manière la plus moite à l’arrière d’une Chevrolet). La chanson enregistrée sous le nom The Ronettes devient aussitôt un énorme tube, bientôt suivi par Baby I Love (soit la réponse de Ronnie à la déclaration de Phil). Une idylle nait dans l’illégalité, Phil étant marié à Annette Spector (le divorce du couple n’interviendra qu’en 1965 et 100 000$ de pension alimentaire). Les Ronettes deviennent dès lors la meilleure réponse à la British Invasion. Et font d’ailleurs la 1ère partie des Beatles lors de la tournée US en 1966. Mais peu à peu la flamme que déclarait Phil à Ronnie se change en feu de l’enfer. Sa jalousie n’a plus de limite. Lorsque Ronnie est en tournée, il l’appelle le soir et lui cause des heures jusqu’à ce que la jeune femme s’endorme, de manière à être sûr qu’elle ne passera pas la nuit avec un autre (et parfois au matin, elle se réveille en entendant la voix de Phil toujours en ligne). 

Trois gosses, cinq chiens, vingt-trois chambres

Devenu propriétaire d’un immense manoir à Los Angeles, Spector s’empresse d’enfermer sa belle qui devient la prisonnière de cette Bastille de luxe et de la paranoïa de son propriétaire. Lorsqu’il l’épouse en 1968, il a déjà sabordé la carrière des Ronettes. Ronnie se retrouve donc enfermée, sans compte bancaire, sans cash, avec des caméras qui surveillent le moindre de ses faits et gestes dans l’immense manoir entouré de murs surmontés de fils barbelés. Comble du délire, Spector enlève à son épouse jusqu’à ses pairs de chaussures de manière à ce qu’elle ne puisse prendre la fuite. Ronnie sombre dans l’alcool, au point de devoir être internée dans un sanatorium, tout en essayant d’obtenir le divorce. Spector tente bien de lui trouver quelques distractions. Par exemple : des enfants. Il adopte un fils, Donte, puis deux autres, Gary et Louis. Dans ses mémoires Be My Baby: How I Survived Mascara, Miniskirts and Madness, elle résume son existence de la sorte : “J’ai trois gosses, cinq chiens et vingt-trois chambres”. 

Elle fera également état, auprès de la cour de justice de Californie, de maltraitance et de menaces à l’aide d’un revolver. Depuis Spector s’est fait connaître pour des faits similaires, notamment après la mort de l’actrice Lana Clarskon en 2003, pour lequel il a été  condamné à 19 ans de prison, peine que le producteur n’a pu purger jusqu’à à son terme. Il est décédé en prison en janvier 2021 des suites du Covid. Lors de leur divorce, enfin prononcé en 1974, Spector enverra à celle pour laquelle il avait écrit Be My Baby un chèque de 2500$, solde de tout compte d’une union cauchemardesque de quatre ans, avec ce dernier mot d’amour écrit au dos : “FUCK YOU”. 

“You’re a doll”

Ronnie tentera à plusieurs reprises de reprendre le fil de sa carrière. Avec des résultats jamais vraiment à la hauteur de ses espérances. En 1971, George Harrison lui soumet Try Some Buy Some qu’elle enregistre au studio Abbey Road. Produit par celui qui est encore son époux, la chanson, écrite sous emprise hindouiste, échoue irrémédiablement, ne faisant qu’ajouter du désarroi à la détresse. En 1976, elle tente à nouveau un come back, cette fois en duo avec Southside Johnny et Steve Van Zandt du E Street band (la chanson I Don’t Want To Go Home figure sur le 1er album des Asbury Jukes). D’autres collaborations suivront, avec Billy Joel, Eddie Money, Joey Ramone, The Raveonettes. En 1980, elle enregistrait enfin un 1er album solo, Siren, produit par la chanteuse et productrice Genya Ravan, sur lequel on trouve une smala punk allant du  bassiste des Heartbreakers Billy Rath au guitariste des Dead Boys, Cheetah Chrome. De passage à Paris pour la promotion du disque, nous l’avions rencontrée et étions assez vite tombé sous le charme de la dame. Charme pour le moins nature : dans l’entrevue elle n’hésitait pas à nous causer de ses règles douloureuses avant de nous dédicacer une photo avec ces mots, “you’re a doll”, que l’on traduirait aujourd’hui par “t’es un sextoy, mec !”   

En 2006, elle accaparait de nouveau l’attention avec The Last of The Rock Stars album sur lequel Patti Smith, Keith Richards, The Raconteurs, entre autres stars, prêtaient main forte. Avant de disparaître à nouveau. Il y a cinq ans nous la retrouvions à Paris pour un concert au New Morning des plus digne, accompagnée par des choristes et un répertoire emprunté en partie à un ultime album English Heart, où elle reprend un florilège de classiques du rock anglais, Beatles, Stones, Zombies, Animals… Même exécuté le plus souvent assis sur un tabouret, le set tenait la route. Sa voix n’avait pas subi les outrages du temps et elle portait toujours ce nom, Spector, à jamais sa couronne et sa flétrissure