Roubaix, une lumière/ un film d’Arnaud Desplechin
Reflets satellites d’une ville en faillite, ils ont l’énergie de centrifugeuses qui répètent les crimes et les délits. Car il vaut mieux ça que de se laisser débiter par l’ombre et l’immobilité. On vit mal à Roubaix, « ville industrielle prospère...
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Reflets satellites d’une ville en faillite, ils ont l’énergie de centrifugeuses qui répètent les crimes et les délits. Car il vaut mieux ça que de se laisser débiter par l’ombre et l’immobilité.
On vit mal à Roubaix, « ville industrielle prospère il y a mille ans » qui a encore « le souvenir d’avoir compté ». Mais on peut s’y établir quand on a presque rien.
Dans cet ilot sans boulot où les billets ont été remplacés par le billot, l’acteur Roschdy Zem incarne un commissaire (Daoud) qui connaît bien les lieux pour y avoir grandi. C’est un petit pas vers Dieu : un prêtre qui se faufile entre les uns et les autres, flics ou misérables, qui, eux, sont poussifs ou récessifs.
« Trouve-toi une fille. Sans fille tu tiendras pas » disent ses collègues à Louis (l’acteur Antoine Reinartz) qui vient d’arriver dans la région. Mais ces collègues oublient ou ont oublié que la profession policière est très touchée par les séparations et les divorces. Et puis, le « patron », Daoud, lui, vit seul avec ses chats. Et dort peu sans que cela lui pèse. Louis semble léviter entre Daoud et les autres flics. Quelques fois, il prie et écrit à ses parents.
Desplechin s’est inspiré du documentaire Roubaix, commissariat central, affaires courantes (2008) du réalisateur Mosco Boucault pour ce nouveau film réalisé en 2019. Dans son documentaire porté par des témoignages face caméra, Boucault parlait d’un fait divers où une vieille dame avait été tuée. Je n’ai pas encore vu ce documentaire mais j’ai vu le film de Desplechin– dont j’aime généralement les films- ainsi que son interview d’une heure dans le bonus du dvd.
On y apprend que Desplechin a grandi à Roubaix en étant fermé à sa vie extérieure et qu’il le regrette : il était occupé à lire ou à partir patrouiller en cinéphile dans la ville de Lille puis dans celle de Paris. Soit une certaine façon de prier et de se recueillir. Desplechin se sent plus proche du personnage de Louis (l’acteur Antoine Reinartz), idéaliste mais aussi aveugle que pataud, que de Daoud qui a frayé corporellement avec la brique de Roubaix.
Je suis passé à Roubaix il y a deux ou trois ans, en allant à Lille, mais aussi au musée de la piscine de Roubaix. En sortant du métro, j’avais été marqué par son atmosphère désolée. Ça m’avait fait penser au peu que j’ai lu de la ville de Detroit dans certaines proportions. Car il y aurait des coins privilégiés dans Roubaix.
Roubaix, une lumière a pu être présenté comme un polar. Mais il ne faut s’attendre ni à des courses-poursuites avec gyrophare et ni à des cascades. Par délicatesse sans doute, l’interviewer a évité de parler à Desplechin du film L’Humanité ( 1999) de Bruno Dumont comme du film Elle est des nôtres de Siegrid Alnoy ( 2003). Mais je suis un bourrin prétentieux.
Même si Desplechin et Roschdy Zem ont suffisamment de bagage pour créer par eux-mêmes, on pourra facilement trouver des sensibilités proches avec ces deux films dans Roubaix, une lumière.
Dans chacun de ces deux films cités, les inspecteurs de police (joués par Emmanuel Schotté et Carlo Brandt) lisent les êtres, ne les jugent pas et les accouchent patiemment d’eux-mêmes.
Cela fait des années que j’aime le jeu de l’acteur Roschdy Zem. Depuis la première fois que je l’avais vu dans N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, réalisé en 1995. Dans Roubaix, une lumière, je constate que lentement mais sûrement, Zem a fini par accéder au statut d’acteur principal d’un film. Et ce film de Desplechin stipule cette évolution avec, d’une part, son rôle de commissaire. Et, d’autre part, dans le film, l’oncle d’une jeune fugueuse en colère contre ses parents mais aussi en quête identitaire. Car l’oncle de cette jeune fugueuse ressemble à tous ces « chibanis » qui ont plus croisé le mépris que la reconnaissance lors de leur vie en France. Et qui ont tout fait pour se faire oublier au contraire d’une partie de leur descendance plus vindicative, acculée et également accusée.
Daoud-Zem, lui, a réussi et n’est ni vindicatif, ni acculé. Sauf que cette promotion sociale a un coût : son isolement affectif et social. Sauf au cours de son travail.
Du côté des autres vedettes du film, je continue d’avoir du mal avec l’image de Léa Seydoux. Je suis incapable de savoir si cela a quelque chose à voir avec son nom, son statut social d’origine de jeune privilégiée (même si je sais que cela n’est pas passible de la loi). Ou avec des propos qui lui avaient été attribués lors de la polémique avec le réalisateur Abdelatif Kechiche suite au tournage de La Vie d’Adèle (2013).
Le jeu de Léa Seydoux comme la lumière qu’elle dégagerait étourdirait bien des réalisateurs tels Yorgos Lanthimos pour le film Lobster dans lequel elle a joué ( 2015) et que j’avais bien aimé. J’ai néanmoins encore un peu de mal à la voir en fille paumée comme lorsque je la vois au début dans Roubaix, une lumière. Elle a un peu l’air de s’ennuyer ou c’est peut-être moi qui la trouve toc au début. J’ai par moments plus l’impression qu’elle « fait l’actrice » qu’elle ne l’est. Je la trouve aussi toujours aussi froide ou, d’une certaine façon, un peu trop cérébrale comme actrice.
Tandis que l’actrice Sara Forestier, découverte par son rôle dans L’Esquive (2003) de Kechiche -et que j’ai revue ensuite dans plusieurs films- réussit à disparaître dans son rôle. Il y a bien-sûr le maquillage et le « travail » sur ses dents. Mais il y a aussi à mon avis une composition plus dense que du côté de Seydoux. J’aurais peut-être été plus conquis par Seydoux si elle avait eu le rôle de la dominée dans le tandem qu’elle forme avec Forestier dans Roubaix, une lumière. Evidemment, on m’expliquera que ce n’est pas elle qui a décidé toute seule de cette répartition des rôles.
Cependant, en voyant ce film, que j’ai aimé voir, j’ai à nouveau pensé à celles et ceux qui décident d’être flics aujourd’hui. Métier qui consiste à rester à la lisière d’une misère et d’une violence continues comme de les laisser se répercuter tels des marteaux sur la tôle. Daoud-Zem (Daoud comme le journaliste et écrivain Kamel Daoud ?), tout cela le frôle comme s’il s’agissait pour lui de simples jeux de rôles.
Mais dans la vraie vie…..
L’article Roubaix, une lumière/ un film d’Arnaud Desplechin via @ Urban Tracks.