Salim Kechiouche, hier acteur fétiche, aujourd’hui cinéaste
Il a tout juste dépassé la quarantaine, et pourtant, ça fait déjà plus de vingt-cinq ans qu’on peut le voir au cinéma. Salim Kechiouche avait 16 ans lorsque le cinéaste Gaël Morel (qui n’en avait que 23) l’a engagé pour jouer dans son 1er long...
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Il a tout juste dépassé la quarantaine, et pourtant, ça fait déjà plus de vingt-cinq ans qu’on peut le voir au cinéma. Salim Kechiouche avait 16 ans lorsque le cinéaste Gaël Morel (qui n’en avait que 23) l’a engagé pour jouer dans son 1er long métrage, À toute vitesse (1996). C’est à son tour son 1er long métrage, que l’acteur présente aujourd’hui, L’Enfant du paradis, le portrait touchant d’un acteur qui a traversé des orages (addictions, problèmes familiaux, conjugaux), tente de se redresser, mais reste en lutte avec son passé.
Une vocation originelle
Lorsqu’on lui demande si ce désir de passer à la réalisation le travaillait depuis longtemps, il répond “depuis le début”. Dès sa 1ère rencontre avec Gaël Morel, quelque temps avant le tournage d’À toute vitesse, l’adolescent lui dit effrontément : “Moi aussi je suis réalisateur.” En effet, dès l’âge de 12 ans, Salim, originaire de Vaulx-en-Velin s’emparait du caméscope familial pour écrire des micro-histoires et les filmer avec ses copains. “Mes petits films étaient un peu débiles. Mon père les a d’ailleurs tous effacés. J’étais un peu dégoûté. Il disait qu’il fallait filmer des trucs sérieux : à savoir, la famille. Fixer des images de nous dans le quotidien.”
Certains de ses plans sont utilisés dans L’Enfant du paradis. Ils campent l’enfance du personnage, opèrent comme des entailles du passé qui ressurgissent fugitivement à la surface. Ces images de l’enfance, Salim a toujours gardé une relation avec elles. Il explique qu’elles lui ont permis régulièrement de retrouver la présence de sa mère, décédée lorsqu’il avait 14 ans. “Oui, je les regardais pour retrouver ma maman, entendre sa voix, parce que les souvenirs s’effacent. Adulte, je les ai fait numériser et j’ai offert un exemplaire du DVD à toute ma famille. C’est pendant le montage de L’Enfant du paradis que l’idée de les utiliser dans le film s’est imposée. J’avais depuis le début envie que des images évoquent le passé du personnage. Mais j’avais peur qu’exposer ces traces de mon enfance soit trop impudique. J’ai même envisagé de mettre des images en animation. Mais tout à coup, c’est devenu évident que cette matière devait prendre place dans le film.”
Lorsqu’on interroge le réalisateur sur ce désir très ancien de expliquer des histoires, il revient sur la douleur de ce deuil maternel. “Ma mère est tombée très malade quand j’avais 7 ans. Je crois que j’avais absolument besoin de développer un truc dans l’imaginaire pour endurer ça. Dès le CE2, j’ai gagné un concours d’écriture. Je me réfugiais un peu dans les histoires que j’inventais.” Après son bac, le jeune homme, qui a pourtant déjà un peu tourné, s’inscrit néanmoins en fac de lettres à Lyon. “Mon père voulait que je poursuive des études. Il me disait : ‘Le cinéma, on verra après’. Mais assez vite, je me suis inscrit dans une école de théâtre. À 18 ans, j’ai même écrit un projet de long métrage avec un ami, qu’on a déposé au CNC.”
Parcours initiatique et cinématographique
Trois ans après À toute vitesse, Salim Kechiouche est choisi par François Ozon pour un rôle, secondaire, mais assez marquant, pour son deuxième long, Les Amants criminels (1999). Sur le tournage, il se lie d’amitié avec un autre jeune comédien d’origine maghrebine, Yasmine Belmadi. “Ce qui est drôle, c’est que Yasmine avait débuté un an plus tôt dans un film que je n’avais pas voulu faire, Les corps ouverts de Sébastien Lifshitz. Le rôle m’avait fait peur.” On lui demande si cette peur était liée à l’homosexualité du personnage. “Disons plutôt la façon assez crue dont était montrée sa sexualité. À cet âge, je ne me sentais pas assez construit, assez armé, pour affronter le regard des autres sur cette question, pour répondre aux sarcasmes.”
Quelques années plus tard, Salim jouera néanmoins des rôles de garçons homosexuels (Le Clan de Gaël Morel – avec qui il tourne cinq fois et devient très ami, Grande École de Robert Salis). Dans L’Enfant du paradis, une scène traite de l’homophobie à laquelle a pu être confronté le jeune comédien pour avoir incarné ce type de rôle. Un gars de sa cité l’agresse verbalement pour l’avoir vu jouer une scène de sexe entre hommes dans un film. “On pourrait imaginer que le fait d’avoir joué, Yasmine et moi, des rôles de gays, nous a posé des problèmes dans nos milieux d’origine. Mais ça a aussi été le cas dans le milieu bourgeois et cultivé du cinéma. J’ai pu ressentir une forme de condescendance, des réflexions sur la figure du petit rebeu qui fait fantasmer les gays, des sous-entendus sur le fait que si je le jouais, c’est que peut-être j’aimais ça… Heureusement pour Yasmine ou moi, nous avions des modèles comme Sami Bouajila ou Roschdy Zem, deux immenses acteurs, dont la liberté et la capacité à entrer dans des univers très éclectiques ont été vraiment inspirantes.”
Interprète de plusieurs films de Sébastien Lifshitz, Yasmine Belmadi a été un ami très proche de Salim Kechiouche. En 2009, à l’âge de 33 ans, il meurt dans un accident de scooter alors qu’il venait de quitter la fête de fin de tournage d’une série dans laquelle il jouait, Pigalle la nuit. Sa disparition est un nouveau deuil violent pour Salim et L’Enfant du paradis lui est dédié. Le personnage principal est même une figure composite des biographies de deux comédiens. “Yasmine, son tempérament, sa disparition sont le point de départ de mon film. Mais j’y ai mêlé beaucoup de moi. Il n’avait pas d’enfant, il est mort beaucoup plus jeune que l’âge de mon personnage…”.
Quatorze ans après la disparition tragique du jeune comédien, Yasmine explique qu’il vit encore très fortement avec son souvenir, pense à lui souvent. Il se remémore le début des années 2000, lorsqu’avec une bande de jeunes comédiens, formée aussi par Jalil Lespert ou Jérémie Renier, ils sortaient énormément. “On s’est vraiment beaucoup amusé. On a beaucoup fait la fête. J’ai l’impression d’avoir passé ma jeunesse au Folies Pigalle (rires). Je ne crois pas néanmoins m’être vraiment mis en danger. Peut-être que ma pratique assez intensive du sport dans ma jeunesse m’a inculqué un certain sens de la discipline, une structure, qui m’a freiné quand j’aurais pu aller trop loin. La boxe m’a appris de faire quand même attention à mon corps (il a été champion de France de kick-boxing en 1998, vice-champion de France en boxe thaï en 2002, ndlr).”
Le passage à la réalisation
En évoquant ces années de jeunesse, il cause aussi d’une certaine impatience, des moments un peu angoissants à attendre des propositions. “Tu te demandes pourquoi Benoît Magimel ou Guillaume Canet n’arrêtent pas de bosser, et pourquoi pas toi (rires).” C’est une série télé qui lui a apporté une stabilité et une notoriété nouvelle, Fortunes de Stéphane Meunier sur Arte (d’abord un unitaire en 2009 puis une série en 2011). “Ça a été mon 1er 1er rôle. J’ai senti qu’on me faisait confiance. Et puis c’était de la télé de qualité. Je suis devenu très copain avec mon partenaire Arnaud Ducret. Et ce succès m’a permis d’arriver ensuite aux castings plus en confiance.”
Parmi ces castings, il y a celui de La Vie d’Adèle, dans lequel Salim interprète le jeune homme que rencontre Adèle à la fin du film. Il qualifie la rencontre avec Kechiche comme une des plus décisives de sa vie d’acteur. “Tous ceux et celles qui ont travaillé avec lui vous diront à quel point c’est une aventure. Dès le casting, ça ne ressemble à rien d’autre. Il peut vous demander de causer de votre dernière lecture, il cherche à connaître la personne plus que l’acteur. J’étais fan de son cinéma depuis La Faute à Voltaire (2000). Je considère L’Esquive comme le plus grand film français sur la banlieue, une sorte de contre-pied à La Haine. Il explique la banlieue avec de la poésie et de l’amour. Et aussi de l’espoir et surtout cette idée que la culture peut nous sauver. Je suis resté quinze jours sur le tournage de La Vie d’Adèle. Puis des mois sur celui de Mektoub My Love (dans lequel il interprète le cousin du personnage principal, ndrl).”
Mais c’est aussi dans son passage à la réalisation qu’il considère que le contact du cinéma de Kechiche a été décisif. “Je ne pense pas que ce soit un hasard si Sara Forestier (L’esquive) a réalisé un film, si Hafsia Hersi (La graine et le mulet) a réalisé un film, si Rachid Hami (L’esquive) a réalisé un film… Tourner avec lui suscite des vocations.”
Lorsqu’on lui demande ce dont il s’est servi dans la méthode Kechiche pour le tournage de L’Enfant du paradis, il décrit une certaine façon de partir d’éléments très écrits, une construction de scène à respecter, tout en se donnant une certaine liberté dans le texte pour trouver des choses au tournage. “Les films de Kechiche sont inspirants pour ça, mais aussi Pialat, Cassavetes… C’est qui est important, c’est d’avoir l’impression de fabriquer un truc ensemble avec l’acteur et de ne pas le considérer comme un automate qui exécute.”
Pour ce qui est du mouvement général du film, Salim dit avoir pensé à un de ses films préférés, L’impasse de Brian DePalma : “C’est vraiment un chef-d’œuvre absolu. Un des plus beaux rôles d’Al Pacino. Et un film bouleversant sur l’impossibilité d’échapper au passé, ce sentiment que même si on se démène comme un fou pour aller de l’avant, il s’accroche à nous et nous lâche pas les basques.” Le primo-réalisateur est néanmoins très déterminé à aller de l’avant. Il travaille déjà à l’écriture de son deuxième et son troisième long métrage.
L’Enfant du paradis de et avec Salim Kechiouche (France 2023) avec Nora Arzeneder, Hassan Alili.