Se souvenir de Nicolas Ker : “Il avait la fureur de vivre”

Leader halluciné du groupe Poni Hoax, Nicolas Ker est mort le 17 mai à l’âge de 50 ans. Quatre jours après sa tragique disparition, Joakim, fondateur de Tigersushi et producteur des deux 1ers albums de Poni Hoax ; Arielle Dombasle ; Laurent...

Se souvenir de Nicolas Ker :  “Il avait la fureur de vivre”

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Leader halluciné du groupe Poni Hoax, Nicolas Ker est mort le 17 mai à l’âge de 50 ans. Quatre jours après sa tragique disparition, Joakim, fondateur de Tigersushi et producteur des deux 1ers albums de Poni Hoax ; Arielle Dombasle ; Laurent Bardainne de Poni Hoax ; Gilb’r, fondateur de Versatile et moitié du duo Aladdin ; et Arthur Peschaud, fondateur de Pan European Recording, se souviennent de lui. En écoute aussi, la playlist “Nicolas Ker Never Dies”, rassemblée par Arthur Peschaud, à retrouver en fin d’article.

Joakim : “Il a toujours été sa propre légende”

C’est un sentiment très bizarre parce qu’évidemment tout le monde savait que ça allait arriver un jour ou l’autre… C’est comme si sa disparition soudaine renforçait le choc annoncé. Quel sentiment d’impuissance ! Nicolas a toujours été sa propre légende. Depuis toujours, il était dans une espèce de mythologie de l’autodestruction et du rock’n’roll… Ses idoles s’appelaient Jeffrey Lee Pierce et Jim Morrison.

Dans Poni Hoax, j’avais d’abord rencontré Laurent (Bardainne, ndlr) et les autres musiciens. D’ailleurs, le groupe ne s’appelait pas encore Poni Hoax, mais Le Crépuscule des Dinosaures. Ils avaient une chanteuse, avant de s’en séparer, et ont cherché un·e remplaçant·e par petite annonce. C’est donc ainsi qu’on a rencontré Nicolas Ker et que le groupe s’est rebaptisé Poni Hoax. Nico était venu faire une audition dans mon appartement. Y avait déjà les démos du 1er album, mais pas encore de mélodies de voix… Quand on l’a vu débarquer chez moi, avec Laurent, on s’est dit : “Qu’est-ce que c’est que cet énergumène !”

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C’était impossible de rester indifférent, il avait vraiment un truc particulier. Ce dont je me souviens le mieux, ce sont nos longues discussions, à la fois très savantes et très profondes, ce qui est plutôt rare dans ce milieu. C’était quelqu’un de très brillant. L’écriture était quelque chose de très important pour lui. Ses paroles venaient toujours en 1er. Le deuxième album de Poni Hoax, Images of Sigrid, reflète bien ce qu’était le groupe avec Nicolas. C’est comme si Poni Hoax était devenu Poni Hoax avec ce disque.

Après la fin de Poni Hoax, Nicolas est resté le même, il ne pouvait pas être quelqu’un d’autre. C’était tout son problème justement. Quand tu te crées un personnage aussi fort, tu ne peux plus en sortir dans quelque circonstance que ce soit. Je le revois encore arriver chez moi un jour avec un sac plastique rempli de côtes de veau qui avaient l’air passablement avariées et qu’il tenait pourtant à cuisiner. Avec lui, c’était toujours des situations ubuesques.

Arielle Dombasle : “Il avait la fureur de vivre”

Vous savez, il avait la fureur de vivre. Un ange noir, mais un personnage si grand, si vaste, si fort. On s’est rencontré·e·s il y a longtemps, les Poni Hoax jouaient pour des chanteuses burlesques et je chantais Moon River accompagnée par eux. Et avec Nicolas, on a tout de suite commencé une conversation qui n’a jamais fini. On a commencé par Pasolini, dont il aimait tellement les écrits, la verve et l’intelligence aiguisée jusqu’à la mort. Pour nos disques, c’est lui qui écrivait tout. D’ailleurs, j’adorais ses lyrics, comme on dit. J’aimais beaucoup son langage totalement crypté, cette poésie de feu, c’était toujours très profond, très bouleversant.

Moi je suis américaine élevée au Mexique, lui cambodgien élevé au Caire, à Istanbul, on était deux oiseaux exotiques, tout de même. On avait ce côté venu d’ailleurs. Philippe Sollers dit : “Il n’y a qu’une guerre, la guerre du goût”, mais nous avions les mêmes goûts. On aimait les mêmes peintures, on aimait la littérature, on aimait les poètes. Et il m’a fait découvrir tellement de choses, comme tout l’univers de Philip K. Dick, la science-fiction. Il me faisait découvrir la physique quantique, des trucs terriblement complexes : les nanotechnologies, la biotechnologie, les milliardaires de la Silicon Valley et comment ils dépensent leur argent. Et pourquoi ? Pour l’élixir de l’éternité. Comme tout le monde. Dernièrement, nous étions en train d’écrire un nouveau film, Barbe bleue. Il était d’une exigence merveilleuse.

Il était solitaire, écorché vif, avec cette démence brillante d’intelligence, ce rire dionysiaque que j’adorais, ce vertige des excès, il y a si peu de gens qui ont cette attitude romantique à l’excès. La 1ère chose qu’il m’avait donné en cadeau, c’était un petit livre de Gérard de Nerval, il y avait mis 3 gouttes de son sang. On était tous les deux très, très baudelairien, dans le sens de cette beauté transcendante, qui est à la seule chose à prendre sur cette terre. Parce que la beauté, c’est la justesse. C’est le point d’équilibre. Et c’est si difficile à trouver.

C’était quelqu’un de tendrement généreux, avec tous les êtres. Mêmes les plus microscopiques, avec les vies les plus insignifiantes. Il était attentif. C’est si rare. On pleurait beaucoup ensemble. Je me rappelle qu’on pleurait sur l’album Skeleton, de Nick Cave. On pleurait sur Joy Division, on pleurait sur Morrissey, tous ces cœurs mis à nu des grands artistes. Je le pleure infiniment. Je crois que tous ceux qui l’ont connu resteront inconsolables.

Laurent Bardainne : “C’était un vrai un punk”

On s’en doutait malheureusement. On savait que Nicolas allait de moins en moins bien. J’étais souvent passé le voir à l’hôpital. Pourtant, il nous avait toujours dit qu’il vivrait jusqu’à 100 ans… Il s’était relevé tellement de fois de ses péripéties et de toutes ses conneries. Mine de rien, Nicolas était une force de la nature incroyable. Il va terriblement nous manquer.

Je me souviens encore de sa lettre manuscrite tellement touchante quand on recherchait un chanteur avant de former Poni Hoax : “Voici mes morceaux, j’aimerais bien participer à votre groupe…” On avait écouté et on avait trouvé ça assez bluffant : “Mais on dirait Jim Morrison !”

Lors de notre 1ère rencontre, on s’est aperçus que nous étions quasiment voisins dans le 18ème, et on s’est parlés instantanément comme des copains. Il fallait voir cette espèce d’hurluberlu avec son catogan, à la fois hyper speed et surdoué. C’est un souvenir très fort. Pour la 1ère répétition, on a halluciné d’entendre ce mec chanter de manière aussi énergique avec toutes ses coutures musicales. Et son côté rock’n’roll de la vie nous a aussitôt rassemblés dans le groupe. On a partagé tellement de souvenirs humains qui sont énormes et incomparables avec d’autres projets musicaux.

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Notre disque le plus abouti reste sans doute Images of Sigrid, même si je sais que Nico a toujours préféré le 1er album, par sa fraîcheur et son urgence. Avec Images of Sigrid, nous sommes rentrés dans le songwriting et la production en même temps, en travaillant au taquet avec Joakim. Mine de rien, Images of Sigrid racontait déjà les problèmes de l’hypercommunication et des réseaux sociaux qu’on connaît actuellement… En 2008, Nico était un peu en avance sur son temps, comme il l’a souvent été.

Son paradoxe, c’est qu’il était hyper actif tout étant une grosse feignasse (rires). Parce que c’était dur de le faire lever le matin et même de le faire travailler – il était en permanence sur de multiples projets ! Il a quand même réalisé à coécrire un film, Alien Crystal Palace, ce qui est un peu le fantasme d’un artiste… Nico a fini par le faire avec Arielle Dombasle. Sur le tournage, j’étais très impressionné quand je suis allé les voir sur le canal de la Villette dans un sous-marin avec des faux policiers en tenue SM. Je me suis dit : “Ah ouais, là il va au bout du truc !” Donc chapeau l’artiste.

Depuis l’annonce de sa mort lundi soir, on se rend compte à travers les commentaires sur les réseaux sociaux que Nicolas Ker était très aimé ! C’était un mec entier et si attachant. J’ai aussi beaucoup d’admiration pour Arielle qui ne l’a jamais lâché, alors qu’il fallait quand même le gérer à la fin… Ces deux hurluberlus s’étaient bien trouvés quand même ! Nico était un vrai punk.

Gilbr : ”De l’amitié et de l’amusement”

A lorigine, avec Nicolas, on faisait davantage de la musique pour le plaisir dêtre ensemble que par accointances artistiques. Sur le papier, l’album d’Aladdin aurait pu être un désastre, mais c’est d’abord notre amitié qui l’a provoqué.

Au total, on a fait une résidence au FGO-Barbara et 3 concerts avec Aladdin. A la fin de la résidence, je me suis fait voler mon ordinateur, idem après notre 1er concert à la Java. En frappant un flight-case de colère, je me suis cassé le pied. Et pour notre troisième et ultime concert à Berlin, Ker est descendu de scène pour chercher un verre au bar pendant que jétais en train denvoyer le morceau.

Dans la tristesse des jours écoulés depuis sa disparition, ces anecdotes résument à quel point Nicolas et moi avons pu nous amuser. Si on avait enregistré un deuxième album aujourdhui, ça aurait été un truc de dingue. On en parlait d’ailleurs encore récemment puisque le meilleur moyen de se retrouver était de faire de la musique ensemble.

Arthur Peschaud : “J’ai peur de la vie sans sa lumière”

La nouvelle est tombée, certains s’y attendaient… Pas moi… Je l’ai vu traverser tant de combats, rire de la “fucking death”, la duper tant de fois… que je n’y croyais pas, c’était impossible. Nicolas était plus fort, il allait s’en sortir. On allait faire ce prochain disque dont on parlait encore la semaine dernière en regardant un concert de Poni Hoax à Saint-Pétersbourg (incroyable d’intensité), exaltant les mérites de Nicolas Villebrun dont il voulait qu’il produise son prochain album devant s’intituler Farewell to Tragedy… Quel titre !

J’aurais tant voulu l’écouter, l’accompagner encore, faire de longues sessions, causer encore et encore, rire… Ce devait être, je cite l’un de ses SMS, “paradoxalement un album très tragique, funk rythmiquement, libérateur, un adieu à la guerre contre soi, avec de gros morceaux de mélancolie absolue à la moonlight sonata (c) Beethoven, le Mike Tyson de la mélancolie”.

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Et il s’y connaissait en tragédie… Nous venions aussi de retrouver son carnet dans le déménagement du bureau, avec tous ses textes, les ratures de Tropical Suite, il a haussé les épaules d’un air indifférent et m’a répondu : “Cool, je pourrais le vendre 80 euros sur Ebay.”

Et là, seul et triste, refusant de voir la réalité accrochée à sa voix sublime, je viens de terminer une sélection de morceaux pour une compilation posthume. Que les gens se rendent compte quel putain de génie il était. Incomparable et trop comparé. Tellement lucide à défaut d’avoir toujours était clair. Elle s’appelle bravachement Nicolas Ker Never Dies, et je ne peux me résoudre à arrêter de l’écouter. J’ai peur de la vie sans sa lumière, son intensité et son amitié si importante, si précieuse. Et une peur immense du silence assourdissant et du vide qui vont s’installer lorsqu’il va falloir éteindre la musique et me rendre compte qu’il est parti pour de bon… Alors je continue.