“Showgirl”, de l’écran à la scène
C’est l’un des traits les plus frappants du théâtre contemporain récent : le cinéma l’obsède. Ces six dernières années, on a vu se succéder des adaptations théâtrales de La Maman et la Putain, À nos amours, Fanny et Alexandre, Un conte de Noël, La...
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C’est l’un des traits les plus frappants du théâtre contemporain récent : le cinéma l’obsède. Ces six dernières années, on a vu se succéder des adaptations théâtrales de La Maman et la Putain, À nos amours, Fanny et Alexandre, Un conte de Noël, La Règle du jeu, Dogville… Il y a presque cent ans, lorsque le cinéma est devenu parlant, la critique a inventé un terme pour stigmatiser les films qui, profitant des nouvelles ressources techniques sonores, se reposaient un peu trop sur la séduction de leurs dialogues et d’intrigues empruntées au répertoire de la scène. Ce terme, c’était le “théâtre filmé”. Il faudrait forger aujourd’hui une nouvelle locution pour décrire cette inclination massive du théâtre à adapter des films sur scène : le cinéma théâtralisé ? le film, non plus mis en scène, mais mis sur scène ?
Toute tentative de qualification paraît de toute façon bien restrictive pour décrire ce qu’accomplit l’incroyable spectacle de Marlène Saldana et Jonathan Drillet, Showgirl, montré la semaine dernière au palais de Chaillot. Saldana et Drillet rapatrient sur scène un film, Showgirls de Paul Verhoeven (1995), qui métamorphosait un spectacle scénique (un show de strip-tease à Las Vegas) en éblouissant moment de cinéma. En remettant le film sur scène, ils le remettent aussi considérablement en scène, interrogeant avec beaucoup d’à-propos ses soubassements idéologiques et ses conclusions morales. L’ironie critique de Verhoeven est elle-même prise dans un dispositif critique implacable. Un élan d’amour pour l’univers du film, son imagerie kitsch et ses héroïnes over the top, s’y double d’une remise en cause plus large du cinéma, ses mythologies au miroitement trompeur, sa voracité anthropophage, l’implacable démolition qu’il accomplit sur les êtres (et tout particulièrement les jeunes femmes belles) dont il se nourrit.
Un grand film maudit
Le spectacle agite le film dans tous les sens, le tourne et le retourne. Par moments, Marlène Saldana, au top de sa présence déchaînée, rejoue toute seule des scènes entières du film : ses ballets, ses séances d’entraînement… À d’autres, c’est le tournage qui est campé, Marlène se glissant de la peau de la strip-teaseuse Nomi Malone à celle d’Elizabeth Berkley qui l’interprète, jeune comédienne qui pensait devenir la nouvelle Sharon Stone et dont le film a carbonisé la carrière. Et à d’autres moments encore, l’histoire du film et celle de son tournage sont toutes les deux chantées, micro en main, par Marlène, dans un esprit de cabaret techno scandé par les comptines obsédantes et les beats frénétiques de Rebeka Warrior.
La vie du Showgirls de Paul Verhoeven n’en finit pas de connaître des rebonds. Lancé comme le nouveau blockbuster super hot de l’auteur de Basic Instinct, le film a été à sa sortie non seulement le bide commercial de l’année, mais aussi traité comme l’un des plus mauvais films du monde selon une critique U.S. unanimement assassine. Puis, au fil de son exploitation vidéo fructueuse et de diverses réhabilitations (celle initiée par Jacques Rivette dans Les Inrocks, le culte qu’ont voué au film des figures de la French Touch…), il a acquis le prestige des grands films maudits. Le spectacle Showgirl (le passage du pluriel au singulier mériterait à lui seul un texte) ouvre un troisième temps à la réception du film. Toutes les perceptions du film y miroitent, le navet et le chef-d’œuvre, le cynisme racoleur et la satire féroce, le sexisme violent et le féminisme offensif, dans un éblouissant carrousel d’images et d’idées.
Édito initialement paru dans la newsletter Cinéma du 15 mars. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !