“Si le vent tombe” : une réflexion acérée et contemplative sur les frontières

Le Haut-Karabagh. En pianotant son nom sur Google Earth, vous n’en saurez pas grand-chose. Au mieux, le logiciel effectuera un zoom dans la région du Caucase pour cadrer une zone non délimitée, située entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et L’Iran....

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Le Haut-Karabagh. En pianotant son nom sur Google Earth, vous n’en saurez pas grand-chose. Au mieux, le logiciel effectuera un zoom dans la région du Caucase pour cadrer une zone non délimitée, située entre l’Azerbaïdjan, l’Arménie et L’Iran. Un lieu sans frontières, c’est l’une des manières de pénétrer dans Si le vent tombe, le 1er long de la cinéaste d’origine arménienne Nora Martirosyan.

Un aéroport au cœur de tout

Pour expliquer son histoire, Si le vent tombe choisit comme catalyseur l’aéroport de Stepanakert, un lieu insolite qui reprend avec plus ou moins de réussite la forme d’un oiseau et dont le tarmac ne voit atterrir ni décoller aucun avion depuis le début de la guerre du Haut-Karabakh en 1990. Sérieusement endommagé pendant le conflit, il est rénové puis rouvert en mai 2011.

Si tout y est opérationnel depuis cette date, il est presque impossible pour l’aéroport de fonctionner en pratique : un avion volant en dehors des frontières du Haut-Karabagh a de fortes chances de se fait abattre par l’armée azerbaïdjanaise (après près de 30 ans de paix relative, les combats entre les deux pays ont de nouveau éclaté en 2020, avant qu’un cessez-le-feu ne soit déclaré en novembre).

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C’est avant 2020 que le film commence. Profitant de l’accalmie, un ingénieur français (interprété par Grégoire Colin) arrive pour effectuer l’audit de l’aéroport et éventuellement donner son accord pour sa future inauguration.

L’aéroport, ce temple

L’un des 1ers charmes du film tend à sa façon de regarder ce bâtiment flambant neuf, totalement démuni de sa fonction 1ère, lui éjectant un burlesque dont l’épure évoque Tati. Enclavé au milieu des montagnes rocheuses, il est autant un lieu dévitalisé qu’un temple qui occupe les prières des locaux : si l’aéroport accueille des vols internationaux, le Haut-Karabagh sera enfin reconnu en dehors de ses frontières. Une dimension mystique, soutenue par le magnifique personnage d’un jeune enfant à la déambulation rossellinienne, qui récupère l’eau du robinet des toilettes vides de l’aéroport pour la vendre aux habitants comme une boisson aux pouvoirs prétendument thérapeutiques. Du temple, il récolte l’eau bénite. Pour effectuer cette tâche, le garçon doit franchir les clôtures de barbelés délimitant l’aéroport. Là encore, il n’est question que de frontières.

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C’est l’autre formidable qualité de Si le vent tombe : conjuguer, avec beaucoup de souplesse, la contemplation d’un territoire inconnu au cinéma à une réflexion plus théorique sur la délimitation d’un lieu. Le long-métrage oscille ainsi entre ces petites capsules temporelles qui impressionnent par leur beauté plastique, et ces moments qui tente d’élaborer une définition à la frontière et le territoire, entre son abstraction et la violence de sa matérialité qui jaillit dans le dernier quart du film.

De cette étude, il demeure plus de questions que de réponses et, hélas, plus de regrets que d’espérances. Toutefois deux certitudes subsistent : les frontières sont faites pour être franchies et la fiction aide à y parvenir. A l’image du sublime dernier plan du film dans lequel la caméra mime le décollage d’un avion sans ailes.

Si le vent tombe de Nora Martirosyan. Avec Grégoire Colin, Hayk Bakhryan, Arman Navasardyan… (2020, 1 h 40 m). En salle.