“Silence”, le chef-d'œuvre du cinéma japonais qui inspira Scorsese
Connaissez-vous Masahiro Shinoda ? Peut-être pas… Tout simplement parce que ses films ont été peu montrés en France. C’est pourtant l'un des cinéastes majeurs de la Nouvelle Vague japonaise apparue au début des années 1960. Moins connu qu’Oshima,...
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Connaissez-vous Masahiro Shinoda ? Peut-être pas… Tout simplement parce que ses films ont été peu montrés en France. C’est pourtant l'un des cinéastes majeurs de la Nouvelle Vague japonaise apparue au début des années 1960. Moins connu qu’Oshima, Imamura, Teshigahara ou même Yoshida, Shinoda a notamment signé, dans les années 1960, quelques perles comme Fleur pâle (1964), tout à fait à la hauteur des meilleurs films de ses camarades.
En 1971, Shinoda réalise un long métrage qui l’éloigne de l’esthétique Nouvelle Vague de ses premières œuvres. Ce film, c’est Silence, peut-être son plus célèbre, qui participa d’ailleurs à la compétition du Festival de Cannes de cette année-là. Preuve de cette relative célébrité : Martin Scorsese en tournera un remake bien des années plus tard. Avec Silence, on est effectivement bien loin de l’esthétique urbaine et sensuelle des premiers Shinoda, puisque le récit est situé au début du XVIIe siècle, dans une région maritime et montagneuse du Japon.
Epopée mentale et immobile
A cette époque lointaine, le pouvoir impérial a interdit la pratique de la religion chrétienne. Les jésuites, qui ont importé cette religion en terre japonaise, sont violemment persécutés. Tout comme les paysan·nes japonais·es qui se sont converti·es. Silence raconte l’histoire de deux jésuites venus, en pleine persécution religieuse, apporter la bonne parole.
Divisé en deux parties pratiquement égales, le film de Shinoda propose une épopée mentale et immobile. La première moitié du film se déroule dans un paysage splendide et désolé, battu par les vents. Un paysage où les jésuites, avec l’aide de quelques villageois·es, jouent à cache-cache avec les autorités. Finalement découverts, les deux prêtres sont arrêtés. Commence alors la partie la plus fascinante du film.
Une sorte de jeu d’échecs intellectuel fait de dialogues philosophiques entre l’un des deux jésuites et le gouverneur de la province, le tout agrémenté de quelques séances de torture, filmées sans sadisme, malgré un grand raffinement dans la cruauté. L’enjeu de cette deuxième partie est de savoir si le jésuite va résister jusqu’au bout ou finalement abjurer sa foi. Ce qui crée un certain suspense qu’il faut absolument laisser entier jusqu’au bout.
Ni repos ni consolation
Conduit sur un rythme lent et méditatif, Silence provoque une certaine fascination. Notamment parce que Shinoda infuse, en permanence, une dose d’abstraction dans son récit. Une abstraction qui, loin d’être strictement intellectuelle, est souvent très tangible dans la manière de filmer, peu naturaliste, ou dans l’utilisation de la superbe musique de Toru Takemitsu, elle-même d’ailleurs trouée de nombreux silences.
Mais ce qui rend Silence plus passionnant encore, c’est la manière dont Shinoda semble d’abord épouser le point de vue de l’Occident, c’est-à-dire celui des victimes et des persécutés, avant de nous faire entrer de plain-pied dans un labyrinthe mental où il devient difficile de trouver une place confortable. Cette paraphrase de la Passion du Christ se transforme alors en une grande confrontation entre l’Orient et l’Occident qui n’offre, jusqu’au bout, ni repos ni consolation à ses spectateur·trices.
Silence de Masahiro Shinoda, avec David Lampson, Don Kenny, Tetsuro Tamba (Jap.,1971, 2h09). En VOD du 15 au 19 janvier sur le Video Club Carlotta. En DVD et Blu-Ray le 24 mars