Slimka : “Je me considère comme l’enfant du peuple”

“Je les vois, ces suceurs de sang/J’passe à côté d’eux, j’passe à 200”. Dans le couplet d’ouverture d’Anti-Dracula, morceau qui convoque l’imaginaire du Blade 2 de Guillermo del Toro, le rappeur de Genève Slimka définit à la perfection l’alliage...

Slimka : “Je me considère comme l’enfant du peuple”

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

“Je les vois, ces suceurs de sang/J’passe à côté d’eux, j’passe à 200”. Dans le couplet d’ouverture d’Anti-Dracula, morceau qui convoque l’imaginaire du Blade 2 de Guillermo del Toro, le rappeur de Genève Slimka définit à la perfection l’alliage de vitesse et de recherche d’originalité à l’œuvre sur son 1er album, le bien nommé Tunnel Vision.

Trois années après la parution de la tape No Bad, Vol. 2 qui entérinait la versatilité du Suisse entre flows chantés, gimmicks imparables et refrains de hype man, il était temps de rabattre les œillères et foncer droit vers ce précieux sésame. Car, même s’il a pris soin de lui offrir un Prelude l’année passée, Slimka est le dernier membre de la SuperWak Clique à livrer son 1er album. Alors, après Radio Suicide de Makala, Mektoub de Di-Meh ou même Le Regard qui tue de Varnish La Piscine, bienvenue dans la Tunnel Vision de Slimka : une ode à Genève – bien aidée par une dantesque session freestyle chez Grünt –, doublée d’un manifeste à l’expérimentation sonore, la mise en scène de soi et au besoin d’un futur plus désirable pour le rap francophone. Entretien.

C’est quoi la Tunnel Vision ?

Slimka – C’est ma façon d’avancer dans ma musique et dans ma vie. C’est tout droit, pas de retour en arrière. Il n’y a rien qui puisse interférer dans ma trajectoire.

Depuis combien de temps es-tu dans cette énergie ?

Ça fait 2 ans que je taffe l’album. Mais c’est un peu relié à la manière de penser No Bad. En règle générale, j’aime bien quand les trucs vont tout droit, sont très carrés et quand ça va vite. Donc c’est la suite logique.

C’était quoi tes ambitions avant de passer en “tunnel vision” ?

Quand j’ai commencé, je n’avais pas l’ambition de faire un album. J’ai commencé à taffer des sons, dont le morceau Tunnel Vision avec mon gars PH Trigano et c’est là où la réflexion a commencé à s’effectuer. Il m’a dit : “C’est intéressant Tunnel Vision, c’est la manière dont tu es, dont tu travailles, dont tu penses, je trouve que c’est intéressant de développer ça.” J’ai commencé à travailler là-dessus, j’ai fait des résidences. Au fur et à mesure, je me suis dit que c’était ça que je voulais faire et que ça me représentait bien.

>> À lire aussi : A la rencontre de Makala, un flow puissant venu de Suisse

Tu causes de vitesse mais tu es le dernier à sortir ton album entre Makala et Di-Meh pourtant. Pourquoi ?

Quand je te cause de rapidité, c’est plus au niveau de la façon dont je travaille, dont je fais mes connexions. En règle générale, je suis au studio tout le temps, je fais son sur son, prod sur prod, je suis quelqu’un de très productif. Il faut que ça aille vite. Après, un album ça prend forcément plus de temps. Il y a de la com, de la promo, il y a des choses à mettre en place. Je ne peux pas le sortir quand je veux.

Quelle a été l’importance de Tunnel Vision Prelude ?

Ça été important parce que ça m’a permis de ne pas sortir mon album à ce moment-là, de ne pas faire cette erreur (rires). Au final, il y a eu le confinement, mais je devais sortir un truc. J’ai sorti Tunnel Vision Prelude parce que ça permettait de capter l’univers dans lequel je voulais aller et positionner l’album.

Qu’est-ce qui a changé dans ta manière de travailler, au moment où tu t’es dit que ça allait être ton 1er album ?

Faire des résidences m’a clairement ouvert l’esprit. Avant j’étais bloqué dans mon studio, je n’avais pas vraiment de recul sur les choses. Le fait de m’ouvrir m’a fait capter différentes choses, de discuter en live avec les beatmakers. Souvent, ils ont des propositions musicales qui peuvent m’apporter des choses. Par exemple, Niska, son “pouloulou”, on sait que ça ne vient pas de lui ; c’est un topliner qui a fait ça (la rappeuse et topliner Meryl, ndlr). S’il n’y avait pas eu cette connexion, n’avaient pas dans cette pièce là au même moment, Niska n’aurait jamais sorti son tube. Je pense que c’est de cette façon-là que j’aime travailler maintenant. Je collabore plus qu’avant.

Comment t’es-tu adapté ?

Avant, dans ma façon de travailler, même au niveau de mon ouverture. On était comme en Belgique, en mode : “Nous on veut faire notre truc différemment.” Mais ce n’est pas comme ça que ça marche malheureusement. Je suis obligé de m’adapter, de créer des ouvertures. Il y a des artistes que je kiffe dans cette industrie et je suis obligé d’aller vers eux. Même musicalement ça permet d’accéder à une autre level. T’apprends toujours des choses quand tu taffes avec d’autres personnes. Moi je ne suis pas le boss, je sais que je ne suis pas le meilleur donc je sais que je peux tirer quelque chose aussi d’un gars qui est peut être plus nul que moi. C’est ça que j’ai commencé à adapter à mon travail. Pour le futur, c’est clair que ça va m’ouvrir de nouvelles portes. 

Mais il y a aussi ce truc très triomphal sur le disque. Notamment avec l’intro…

… Très orchestrale ! Plus je vais avancer, plus je vais travailler dans cette direction-là. Je voulais vraiment rentrer dans un nouveau délire. Même au niveau des lyrics, je voulais plus causer de moi. Je pense clairement que je rentre dans une nouvelle ère au niveau de mon personnage. Je ne dirais pas que je ferme la porte, mais j’évolue. Comme un Pokémon, quoi.

Les alter egos que tu t’étais créés (George de la Dew et Diego) ne sont d’ailleurs pas sur le disque. Pourquoi ?

Ils vont revenir. Ils seront sûrement présents dans la suite. C’est sûr qu’il y aura un No Bad, Vol. 3. Ce sont des alter egos que je me suis créés, mais pour cet album, je voulais vraiment que les gens ressentent que c’est Cassim Sall et Slimka. Les alter egos se reposent. Ils reviendront un plus tard (sourire).

Justement, en quoi c’est important d’avoir Cassim Sall, un morceau qui porte ton nom sur ton 1er album ?

Parce que je suis fier de mon nom. Je suis fier de tout ce que je suis en train d’accomplir chez moi. Dans ce morceau, je cause de ce que je suis en train de faire, de ce que Cassim Sall est en train de faire. Je ne te cause pas de Slimka, je te cause vraiment de Cassim Sall, le mec qui fait des trucs dans le social à Genève. Je fais beaucoup de choses pour ma ville, je me considère comme l’enfant du peuple. Pour moi, c’est important que les gens soient au courant de qui je suis, autre que Slimka.

Tu penses que les rappeurs qui regardent les top streams avant d’avoir leur propre identité se trompent ?

Ils se trompent énormément. Ça ne veut rien dire. Pour moi, ce n’est pas c’est pas ça qui indique que ta musique est meilleure que celle d’un gars qui fait 200 ventes en une semaine. On le sait tous que c’est pas parce que tu fais 50 000 ventes que t’es plus fort musicalement que les autres. L’industrie est faussée. Même si t’es un mec trop fort mais que tu n’as pas une équipe qui suit, laisse tomber. Alors que si t’es archi nul, alors que t’as une équipe derrière avec des concepts, des idées, de l’argent à investir, ça peut prendre (rires).

Tu penses plus à ce que tu vas laisser dans le temps ?

Il faut penser sur la durée. J’ai des sons sur No Bad, Vol. 1 qui, jusqu’à aujourd’hui, sont encore saignés par les gens. Ça, ça ne veut pas rien dire ! Ça prouve que la musique prend toujours le dessus. Parmi les mecs qui font des gros streams direct, il y en a pas mal qui sont en train de s’effondrer, ils sont sur la pente parce que il n’y a pas de recherche, pas d’identité.

>> À lire aussi : Rencontre avec La Fève, la “new wave” du rap français

Justement, Laylow, qui est sur ton disque, et Alpha Wann illustrent bien cette recherche d’identité. Est-ce que ce sont des trajectoires qui t’inspirent ?

Clairement. Ma trajectoire, je travaille dessus depuis 5-6 ans et eux ça faisait encore plus longtemps et c’est que maintenant que ça pop. Donc je ne me fais pas de soucis. Pour le moment, on fait les choses à notre niveau et on est en pleine expansion.

D’ailleurs, tu dis souvent que le mouvement est révolutionnaire. Est-ce que ce mouvement s’applique à tout Genève ?

Je pense que ça s’applique même à la Suisse en général. Ayant vécu en Suisse et bougé partout en Europe, je trouve qu’on a vraiment un truc à apporter dans la musique. Je trouve qu’il y a une force que d’autres personnes n’ont pas. C’est juste un constat que j’ai fait. Ce qu’on a à apporter dans le game, ça peut être révolutionnaire. On s’assume, il n’y a pas de barrières. Il y en a plein dans l’industrie française qui le font, c’est grave lourd. Et leur mouvement est aussi révolutionnaire. Ils ne sont pas en train de suivre des modes. Ils font ce qu’il y a dans leur cœur, dans leur âme, dans leur tête et ça se ressent. C’est pour ça qu’un Khali marche, par exemple, parce qu’il fait son truc. Ça ne ment pas.

Genève a une place hyper importante dans le disque.

Comme je t’ai dit : je me considère comme l’enfant du peuple. Même au niveau de mes origines, j’ai 4 origines différentes (italo-allemandes du côté de sa mère et sénégalo-maliennes du côté de son père, ndlr) donc je suis vraiment le mec qui rassemble les gens. Et je kiffe faire ça. Mon père est dans le social, ma mère gravite autour de ça, et je pense que ça a déteint sur moi. En ce moment, je fais beaucoup de trucs pour ma ville. Je fais de l’aide sociale à l’Hospice générale de Genève, on a monté un truc qui donne la possibilité à 20 personnes d’obtenir une bourse. C’est quelque chose qu’il n’y a jamais eu à Genève, ils n’ont jamais accordé d’importance aux artistes. J’ai fait un meeting avec 50 personnes, des darons qui travaillent là-bas, je leur ai expliqué la difficulté d’être un artiste en Suisse. On n’a pas d’aides, on a fait 60-70 concerts avec Makala et Di-Meh et on n’a pas de statut d’intermittents. C’est à dire que, pendant la crise, la seule façon d’avoir de l’argent c’était soit avec les streams, soit trouver des concepts, soit aller à l’aide sociale. Donc il faut que ça change.

Pour causer spécifiquement de la musique, t’as toujours été celui qui avait des gimmicks, des changements de flow, là où Makala et Di-Meh venaient d’une école de rap plus technique. Comment ça s’est développé chez toi ?

A fond. Je pense qu’on ne vient pas tout à fait de la même école. Eux, ça fait plus longtemps que moi qu’ils rappent. Ils ont fait ces trucs de rap contenders, de clash. Ils ont fait leurs gammes. Moi je suis arrivé dans le rap en mode “Ouhouh !” (rires). En mode desperado. Quand je suis arrivé, il y avait déjà de nouveaux trucs qui étaient sortis, le game avait déjà un peu changé donc j’étais déjà dans d’autres essais. Après, je pense que c’est ça qui fait notre force, on se complète. Mais c’est clair que je me considère comme un caméléon. Bientôt, je vais essayer de faire des sons du Sud. Je veux tout tester. Pour l’album, j’avais une direction artistique précise, mais je suis ouvert, j’aime la musique.

Au niveau de ta voix, on ne t’avait jamais entendu comme sur Plug / Cheat Code ou Jamaican Mule. Est-ce que même pour un 1er album, t’as besoin que ça reste un terrain d’expérimentations et pas un blockbuster ?

Je suis toujours dans l’expérimentation, j’ai toujours envie d’essayer des trucs. Après, je ne suis pas dans la réflexion. Quand tu me causes de blockbuster, tu me causes de hits ou de singles ?

Ouais.

Le truc c’est que, le style de son que je fais, dans d’autres pays, ce sont des singles ou des hits. Je vois plus loin. Là prochainement, je vais faire un son avec un Turc, ça n’a rien à voir avec l’industrie française. Ici c’est cool, c’est bien, mais il y a plein de gens qui peuvent consommer ma musique. En Afrique, ils sont trop chaud par exemple. Ici, c’est un passage obligé mais j’aimerais pouvoir exporter ma musique ailleurs. Je pense au futur.

Tu penses qu’il y a une culture différente du rap selon les pays ?

Ce que je kiffe aux Etats-Unis, c’est que tout va hyper vite. Tu peux être une star dans ton quartier, tu signes et tu collabores avec un mec qui pop au niveau national et c’est normal. C’est ça que j’avais trop kiffé avec Marseille en France (l’album Bande organisée, ndlr). Jul m’a grave inspiré dans la démarche de la Grünt (la session de freestyle), c’est trop lourd de faire des trucs comme ça. Tu mélanges tout le monde et c’est comme ça que la ville va rayonner. Quand mon album va sortir, avec la Grünt, je sais qu’il va se passer un truc à Genève et même en dehors. C’est pour ça aussi que je fais de la musique : pour rassembler des gens.

C’est aussi la 1ère fois que tu fais des featurings avec des rappeurs français assez installés. Pourquoi maintenant ?

Ce n’est pas des artistes que j’ai approchés comme ça. Avec Captaine Roshi, on se connaît depuis longtemps. Laylow, je le connaissais avant qu’il pète. Le morceau Film FR a un an et demi, ça veut dire qu’on l’a fait avant la sortie de son album Trinity. Moi, je ne suis pas dans le forcing. Si l’un de ceux-là ne validait pas le son, je n’aurais pas mis le son. Plutôt que mettre le son juste pour dire : “Oh, il y a lui sur mon album !”

>> A lire aussi : Laylow, le rap en roue libre

Comment tu expliques cette relation amour/haine avec le rêve américain sur ton disque ?

Les Etats-Unis, c’est cool pour la culture, leur ouverture musicale. Mais je ne suis pas un badeur des States. Il y a déjà beaucoup à faire ici. La Suisse c’est déjà les States (rires). Après, je ne vais pas te mentir, je suis inspiré par leur musique. Avant même de faire du rap, ma plus grande inspiration c’était Travis Scott. Je l’ai vu en concert, il était programmé à 14 h, ce n’était pas encore une grosse star, et ça m’a touché. L’avoir vu et son énergie, ça a été un déclencheur. Au bout du deuxième son, il se jette sur nous, il fait monter deux potos sur scène. J’étais assez jeune, donc ça fait un truc. Quand il y a des jeunes qui viennent à nos concerts, je capte la position dans laquelle je suis. Après, c’est clair que je ne vais pas essayer de faire la même chose. Même s’il y a forcément des gens qui vont sûrement trouver des références à des artistes. Ils ont toujours besoin de te comparer, ils ont peur. Ils se disent : “Ça, je connais, tu me fais penser à ça, ça ressemble un peu à ça.” (rires)

C’est marrant que tu causes de Travis Scott parce que justement je pense que la plus grosse influence du disque c’est Mike Dean, son producteur.

Mon ingé son Mr Lacroix, il est dans ce délire. Si ça fait des allusions à Mike Dean, il va être enchanté. J’avais envoyé un DM à Mike Dean fort ! J’avais vu qu’Ateyaba s’était fait masterisé des sons par lui et moi je voulais que mon album soit masterisé par Mike Dean. On a essayé de les contacter, on a envoyé des mails mais au final ils n’ont même pas répondu (rires) ! Mais ce sont des recherches artistiques qui manquent dans le game français.