slowthai : “Sans la musique, je traînerais dehors, je ferais n’importe quoi”

Slowthai, c’est d’abord un large sourire, un rictus démesuré piqué d’un grillz argenté, dont la clownerie dit une forme d’excitation inquiète. Même à travers l’écran qui matérialise la Manche nous séparant en ces temps troublés, même dans l’obscurité...

slowthai : “Sans la musique, je traînerais dehors, je ferais n’importe quoi”

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Slowthai, c’est d’abord un large sourire, un rictus démesuré piqué d’un grillz argenté, dont la clownerie dit une forme d’excitation inquiète. Même à travers l’écran qui matérialise la Manche nous séparant en ces temps troublés, même dans l’obscurité de son studio, caché derrière l’immense capuche noire d’un sweat informe sous lequel il disparaît, le sourire demeure, se lâche, s’étend, mangeant les mots et la pièce. On n’y voit rien mais nous parvient l’essentiel : l’espièglerie légèrement troublante d’un jeune type qui s’esclaffe, aussi, pour cacher son malaise, sur le même mode que le sweat noir. 

Il est 11 h du matin chez nous, 10 h chez lui, et slowthai ne s’est assoupi qu’une heure plus tôt. Il travaillait sur des morceaux, dans ce même studio d’où il nous répond les yeux tout endormis, le bâillement jamais loin. Studio niché au sous-sol de la baraque où il vit avec sa mère en banlieue de Northampton, une ville de 200 000 habitant·es située à quelque 100 kilomètres au nord de Londres, où il a grandi et qu’il n’a jamais quittée.

Malgré le succès fulgurant, slowthai reste attaché à son territoire géographique. “Quand tout reviendra à la normale, que nous pourrons voyager à nouveau, je passerai moins de temps à la maison bien sûr, mais c’est agréable de revenir, de retrouver la famille, les amis. De se sentir entouré. Je ne me vois pas seul dans une grande ville. Je suis heureux là où je suis.”

Northampton et sa banlieue sont au cœur du rap trempé  dans le grime et la drill que délivre slowthai, Tyron Frampton de son vrai nom, depuis 2016 et Jiggle, un premier single en forme de “petite secousse” – pour traduire son titre – sur lequel il expliquait, goguenard, à quel point la cocaïne mangeait sa ville et qu’il fallait être bien fou pour y mettre un pied. “Feeling great, nothing great about Britain”, s’amusait-il notamment, ce qui donnera trois ans plus tard le titre de son premier album diablement politique, Nothing Great about Britain. Comme une grande claque bien cinglante envoyée à la face d’un Royaume-Uni pro-Brexit par un jeune d’alors 24 ans, doté d’une écriture aussi acerbe et assurée que sa voix canaille. Dans le clip d’Inglorious, un featuring avec Skepta, Tyron Frampton va jusqu’à décapiter Boris Johnson.

En septembre 2019, lors du Mercury Prize pour lequel son album est nommé (mais dont il repartira bredouille au profit du rappeur Dave), il interprète le titre Doorman dans un T-shirt “Fuck Boris”, et finit son concert en brandissant une fausse tête décapitée du Premier ministre britannique. Scandale, notamment pour la presse anglo-saxonne de droite tel le Daily Mail. Mais aussi et surtout gros coup de projecteur sur une jeunesse de laissé·es-pour-compte dégoûtée par le conservatisme de ses aîné·es et le manque de perspectives d’un pays toujours aussi imprégné de thatchérisme.

Dans un communiqué, slowthai expliquera : “La nuit dernière, j’ai tendu un miroir à ce pays et certains n’aiment pas le reflet qu’il leur renvoie. Les gens au pouvoir qui essaient de nous isoler et de nous diviser ne sont pas ceux qui  en ressentiront le plus les effets. Cet ‘acte’ est une métaphore de ce que ce gouvernement fait à ce pays, excepté que ce que j’ai fait, c’est le présenter de façon claire et visible.” 

>> A lire aussi : Brexit : l'industrie musicale britannique peut-elle éviter le naufrage ?

“slowthai a toujours été une version exagérée de moi-même”

Slowthai incarne la relève punk : du Clash et de son London Calling, mais aussi des Stooges et de leur Iggy no limit, contorsionniste grimaçant maîtrisant l’image comme personne, dont slowthai reprend le torse nu (voire le tout nu, à l’exception d’un duo caleçon-chaussettes) à tous ses concerts. Façon de se débarrasser de ses oripeaux pour mieux brandir sa vulnérabilité guerrière, son honnêteté brute, crue.

Sur le single phare de son premier album, Nothing Great About Britain, slowthai s’adresse à la reine Elizabeth II : “I will treat you with the utmost respect only if you respect me a little bit Elizabeth, you cunt” (“Je te traiterai avec le plus grand respect seulement si tu me respectes un petit peu, Elizabeth, salope”). Le clip se termine sur une assemblée de jeunes gens réunis dans un pub, entonnant tous ensemble le fameux God Save the Queen, emmenés par un slowthai allongé par terre devant une pinte, hilare. Le ton est donné : il est à la gueulante. 

“Le Brexit est construit sur le refus par certains que des gens viennent librement dans notre pays se construire une vie et donc aider notre économie. C’est une vieille mentalité coloniale. Ils veulent que tout soit britannique. Qu’ils aillent se faire foutre”

Deux ans plus tard, alors que le Parlement européen a ratifié l’accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, et que les Britanniques devront donc désormais se munir d’un passeport voire d’un visa pour voyager dans l’UE, slowthai est acerbe : “Les Britanniques vont peut-être enfin se rendre compte que c’était une idée stupide. C’est du racisme. Le Brexit est construit sur le refus par certains que des gens viennent librement dans notre pays se construire une vie et donc aider notre économie. C’est une vieille mentalité coloniale. Ils veulent que tout soit britannique. Qu’ils aillent se faire foutre. Je suis d’autant plus heureux à présent qu’ils vont tous galérer à se rendre dans le sud de la France ou en Espagne pour leurs vacances !”