Soignants: quand la vocation ne suffit plus - BLOG
SOIGNANTS - Depuis 20 ans, le métier de soignant connaît une mutation sans précédent. Auparavant, le monde était divisé en deux: d’un côté, les cliniques privées où le parcours de soin était plus proche d’une gestion hôtelière orientée vers...
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SOIGNANTS - Depuis 20 ans, le métier de soignant connaît une mutation sans précédent. Auparavant, le monde était divisé en deux: d’un côté, les cliniques privées où le parcours de soin était plus proche d’une gestion hôtelière orientée vers le profit et l’hôpital public. Avec la T2A, “tarification à l’acte” instaurée en 2003, les ressources sont attribuées en fonction de l’activité et des recettes de l’hôpital. Oui, nous parlons bien de recettes pour l’hôpital public.
Bienvenue dans le monde de l’entreprise. Les soignants grondent alors et font ce qu’ils savent faire de mieux en signe de révolte: continuer de soigner en écrivant “grève” sur leur blouse et sur des pancartes devant l’hôpital. Rien n’y fait. Ils poursuivent leur mission tout en devenant les rois de la psychosomatisation, de l’épuisement, du burnout complexé, de la dépression non avouée… À l’hôpital, il y a toute une culture du soin et du tenir bon, coûte que coûte. L’épisode covid-19 nous le montre à chaque instant.
Bienvenue dans le monde de l’entreprise
Dirigés par des gestionnaires, non plus par des médecins, les hôpitaux ne sont pas jugés “performants” pour la qualité des soins, mais en fonction de la gestion des flux entrants et sortants, de l’occupation des lits, du taux de rotation des patients. Dans la ligne des encombrants, ce qui coûte et limite les recettes: les salaires et le matériel. Le soignant devient un frein à la performance. Entre 1993 et 2018, près de 100.000 lits ont été supprimés, des services d’excellence, à la pointe de la technologie ont été fermés sur la base d’un taux d’occupation trop faible.
Il fut un temps où nous regardions avec étonnement le système de santé américain calibré uniquement en service privé. Aujourd’hui, la seule différence majeure qui reste est l’accès au soin. Pour le reste, la gestion façon “boîte privée” est strictement la même.
J’ai un profond respect pour les équipes, les chefs de service et la direction de l’hôpital militaire que je sers. Je vois, année après année, les conditions de travail toujours plus tendues et le soutien psychologique toujours plus important bien qu’ambigu. La crise du covid-19 nous montre que les effectifs actuels sont largement insuffisants. Les plans à venir n’y feront rien. Mon conflit de valeur devient donc le même que celui des soignants: je suis en désaccord total avec la gestion actuelle, car ma valeur très personnelle ne rejoint pas le principe d’une rentabilisation du soin. Alors, il m’arrive d’être touché, ému, de pleurer pour les valeurs perdues de l’hôpital public, car elles guident mes choix personnels et professionnels.
La colère et l’épuisement montent
Un jour, en rentrant d’un débriefing avec une équipe Covid-19 qui m’inquiétait, je me suis senti triste et frustré. Cette équipe m’accueillait toujours avec plaisir, mais nous étions d’accord pour dire que ma présence n’était pas la réponse attendue. Sur le chemin du retour, j’entends à la radio le ministre de la Santé. Alors qu’il visite un hôpital, au chevet d’un patient atteint du coronavirus, il évoque la situation des hôpitaux avec un ton étonnamment moralisateur. Arrivé à mon bureau, je me connecte pour donner un cours en ligne sur l’organisation du travail à des élèves ingénieurs: j’essaie de retenir l’émotion. Les larmes coulent, je suis à bout, cela vient taper beaucoup trop fort dans mon idéologie du travail. Les élèves ingénieurs, compréhensifs et empathiques, écoutent, me posent des questions et transforment ce cours en un échange vivant, sur la réalité du terrain et les contraintes telles qu’elles sont vécues par les travailleurs. Grâce à eux, la tristesse et la déception sont sublimées. Ils ont constitué un soutien social de très grande qualité.
Avec la crise sanitaire, la France a découvert effarée que, dans son beau pays, elle manque cruellement de soignants. Portés en superhéros, les oubliés de la nation depuis plus de vingt ans, depuis la privatisation symbolique de l’hôpital public qui doit rentabiliser la santé du malade, se sont sentis pousser des ailes. Aujourd’hui, finis les applaudissements, envolés les investissements massifs, rebonjour la routine des sous-effectifs. Pire encore, le soignant apprend que les lignes budgétaires de certains hôpitaux sont revues à la baisse pour 2021. La colère monte. Les soignants ne voulaient pas être des vedettes, ils souhaitent juste travailler dans des conditions décentes. Leur starification provisoire n’était pas demandée et elle a créé en eux l’espoir d’être enfin compris. Alors, quand vient la désillusion, c’est encore pire.
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