Sophie Fillières était une cinéaste intelligente, drôle et instinctive

Il y a un élément très important dans le cinéma de Sophie Fillières, qui a souvent été relevé, mais qu’il ne faudra jamais oublier parce qu’il la distingue de beaucoup d’intellectuel·les, d’artistes d’aujourd’hui, de nos contemporain·es en...

Sophie Fillières était une cinéaste intelligente, drôle et instinctive

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Il y a un élément très important dans le cinéma de Sophie Fillières, qui a souvent été relevé, mais qu’il ne faudra jamais oublier parce qu’il la distingue de beaucoup d’intellectuel·les, d’artistes d’aujourd’hui, de nos contemporain·es en général : elle pensait que “l’inconscient était structuré comme un langage”. Bref, que la psychanalyse (lacanienne), ce n’était pas du pipeau ou du foin.
Alors ça s’entendait dans ses dialogues souvent farfelus, bien sûr, dans les lapsus des personnages, dans leurs noms (Emmanuelle Devos s’appelle quand même Fontaine Leglou, dans Gentille), dans des coqs à l’âne, des jeux de mots, ou ça se voyait dans des scènes de séances chez le psy, etc. Plus encore, plus profondément, cette façon de donner du sens à l’existence structurait ses scénarios, son cinéma, ses récits, sa mise en scène, ses plans, son imaginaire, sa vie…

Autre élément important de sa biographie : grâce au métier de son père, qui travaillait chez Air France, elle avait beaucoup voyagé pendant son enfance et son adolescence, vécu à l’étranger. À New York, au Brésil, je crois, notamment. Elle connaissait bien la littérature anglo-saxonne, était ouverte sur le monde. Elle se souvenait être allée seule au cinéma à New York quand elle était ado. Il y avait toujours quelque chose de solitaire chez Sophie Fillières, alors qu’elle avait en même temps beaucoup d’ami·es.

Sophie Fillières était à la fois intelligente et instinctive

Pour son 1er film, Des Filles et des chiens (prix Jean Vigo 1992 du meilleur court-métrage), elle avait traîné dans le quartier du conservatoire pour trouver une actrice. Dans un café, de dos (!), elle avait repéré une jeune femme à laquelle elle avait demandé si elle était actrice. Elle lui avait répondu oui. C’était Sandrine Kiberlain.

Sophie Fillières était très intelligente. Elle percevait, devinait, sentait, comprenait tout. Un jour, sa mère avait craqué et révélé à ses trois enfants qu’en réalité elle était d’origine juive. Son père, qui avait fui la Hongrie, lui avait fait jurer (à elle, l’aînée de sa fratrie) de ne jamais le révéler à ses frères et sœurs ni à quiconque. Sophie m’avait avoué qu’elle le savait déjà. Elle ne savait pas comment, elle aussi était l’aînée, mais elle le savait. Quelques années plus tard, elle avait tenté de réaliser un documentaire sur son grand-père, et l’avait filmé et entrevueé dans ce but. Elle avait abandonné le projet, notamment parce que son aïeul tenait des propos antisémites. Elle en était surtout sortie avec une conviction forte : elle était une réalisatrice de fiction.

Sophie Fillières était aussi très drôle

Elle aimait rire, et on aimait la faire rire, c’est tout ce qu’on pouvait opposer à son intelligence, et je n’en dirai pas davantage sur sons sens de l’amitié, parce qu’elle n’aurait pas aimé ça.

Elle parlait de Moi, ma gueule (ce génie des titres : La Belle et la Belle, Aïe !, Un chat, un chat, Gentille…), le film qu’elle était sur le point de tourner, en juin dernier, avec Agnès Jaoui dans le rôle principal, comme de son dernier. Elle a réussi à finir, en Écosse. Elle nous disait à tous·tes qu’elle était très heureuse de ce tournage, des rushes – elle adorait son métier – , mais ajoutait qu’elle était “en mauvaise santé”. C’était seulement il y a quelques semaines. Elle était déjà hospitalisée. Le temps s’est dilaté ou recroquevillé depuis ce jour-là. Elle est décédée ce matin un peu avant 8h.

Toutes mes pensées vont à ses proches, à sa famille, et notamment à Agathe Bonitzer et Adam Bonitzer, ses enfants, à qui elle a confié le soin de monter Moi, ma gueule.