Sophie Letourneur et Philippe Katerine : “Se retrouver au contact d’une œuvre d’art, c’est se considérer comme un sujet vivant”

Sophie Letourneur et Philippe Katerine sont venu·es présenter Voyages en Italie en avant-1ère au MK2 Quai de Seine. Ce jour-là, nous nous retrouvons dans un bar italien voisin. Sophie Letourneur est à l’heure, Philippe Katerine un peu moins....

Sophie Letourneur et Philippe Katerine : “Se retrouver au contact d’une œuvre d’art, c’est se considérer comme un sujet vivant”

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION

Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.

POSTULER

Sophie Letourneur et Philippe Katerine sont venu·es présenter Voyages en Italie en avant-1ère au MK2 Quai de Seine. Ce jour-là, nous nous retrouvons dans un bar italien voisin. Sophie Letourneur est à l’heure, Philippe Katerine un peu moins. La réalisatrice est arrivée avec un grand sac, elle m’explique que ce sont des cadeaux pour Philippe, “pour lui dire que je l’aime”.
Sophie et moi commandons sagement deux demis. “Des Moretti, en hommage à Nanni !”, sourit-elle. C’est parti ! “Deux demis, Jacques !”, crié-je au serveur.


Sophie, Voyages en Italie est ton 1er film en tant que productrice. Cela a changé quelque chose pour toi ?

Sophie Letourneur – Oui. Là, j’étais complètement libre, et j’ai eu la chance de faire le film avec le CNC et Arte France cinéma. J’avais à cœur le fait de fabriquer le film toute seule avec mon équipe habituelle de techniciens polyvalents. Ensuite, une fois que le film est terminé, vendre un film, trouver des interlocuteurs, les rapports d’argent… Ce n’est pas trop mon truc. J’ai produit le film avec ma copine et voisine de palier Camille Gentet, qui est DG de la Pan-européenne. C’est plus efficace, on va plus vite, ça coûte moins cher. Le but, ce n’est pas de faire de l’argent, c’est d’avoir de quoi vivre et de pouvoir faire des films. Moi je crois que les budgets pourraient être plus petits, en général. Bon, oui, ça dépend évidemment du type de cinéma que tu veux faire. Pour ce que je fais, je n’ai pas besoin de plus de cinq personnes sur le tournage.

Voyages en Italie est le 1er épisode d’une trilogie ?
Sophie Letourneur – Oui, une trilogie sur le couple. Voyages est vraiment centré sur le couple, quand Vacances en Italie le sera sur la famille, sur les frères et sœurs, avec quelque chose sur la forme, sur le récit, puisqu’il sera raconté par les enfants, avec un côté puzzle, avec des allers-retours dans le temps. Un truc déconstruit. Philippe et moi, on sera aussi dans le deuxième volet. Tous les films tournent autour du lien, qu’il soit amical ou affectif. Dans le troisième, nous serons joués par d’autres acteurs, mais on nous verra aussi. Dans l’idéal, j’aimerais le tourner en anglais, pour poser la question du formatage, de la fiction. Jouer sur le contraste entre l’ultra normalité des personnages et des scènes très fictionnées, pour que ce soit drôle. Je suis en train de prendre plein de notes… Je me donne cinq ans pour terminer la trilogie. Et ensuite j’aimerais tourner un film d’action !


Un film d’action ? Bigre !
Sophie Letourneur – Oui, je n’ai pas envie de m’enfermer. Mon modèle, ce sont des gens comme Gus Van Sant, qui font à la fois des films un peu expérimentaux (Elephant, Gerry) et un cinéma plus classique (Harvey Milk).


Tu en penses quoi des grèves et des manifestations contre la réforme de la retraite ?
Sophie Letourneur – Je soutiens les grévistes, évidemment. Je ne vote pas pour Macron. J’ai signé la tribune parue dans Libération.


Tu connaissais Philippe Katerine depuis longtemps ?
Sophie Letourneur – Très peu. Je l’avais rencontré en 2016, pour un projet avec UGC qui ne s’est pas fait. Mais je l’ai toujours adoré. En 2016, il n’avait pas fait autant de films. Je l’avais adoré dans un film que j’aime beaucoup, Peindre ou faire l’amour des frères Larrieu. Je l’avais vu dans Peau de cochon, son film. Et puis dans ses clips, que je trouve géniaux : Aimez-moi, La banane, et dans ceux de Gaëtan Chataigner [qui a aussi réalisé des vidéos pour Sébastien Tellier, Étienne Daho, Bernard Lavilliers, Dominique A, etc, ndr]. Bref, je le trouve génial. Quand j’ai commencé à écrire Voyages en Italie, je me suis dit que s’il y avait bien une personne avec laquelle j’avais envie de tourner, c’était avec Philippe. Et puis, il me faisait penser à Jean-Christophe, la personne qui m’a inspiré Jean-Philippe dans le film. Pas physiquement. Jean-Philippe est un mélange de Jean-Christophe et moi.


Tu as vu un concert, récemment ?
Sophie Letourneur – Oui, de…. Philippe Katerine (rires) ! Et j’ai entendu à la radio un concert qu’il a donné à Radio France, une version philharmonique de sa musique, interprétée par l’orchestre de Radio France ! Il va la reprendre bientôt avec d’autres orchestres. On la trouve en podcast. C’est hyper réussi ! Ce que j’aime dans ses chansons, c’est qu’elles sont à la fois accessibles et poétiques. Il n’est pas snob. Il n’est pas dans un rapport élitiste à l’art, et ça me touche beaucoup. Parfois en France, ça peut être un peu lourd, bourgeois. Ah mais voilà Philippe, avec son bob et son K-Way ! Le pauvre, il a donné des entrevues toute la journée pour moi. Il a bossé !!!

Philippe Katerine s’assied à notre table. Il est rasé de près, souriant, s’excuse plusieurs fois pour son retard. Une jeune femme s’approche de la table, et salue Sophie. C’est Nine Antico, l’illustratrice, autrice de bande dessinée et réalisatrice, une grande amie de Letourneur ! Apprenant que j’interroge mes deux invité·es sur l’actu, notamment culturelle, Antico nous recommande d’aller voir Toute la beauté et le sang versé, le documentaire de Laura Poitras sur Nan Goldin et sa lutte contre la famille Sackler, grande responsable de la crise des opiacés aux États-Unis : “Tu as presque deux films en un : un sur Goldin, et une sur cette lutte”. Je vous transmets son conseil. Merci, Nine Antico !

Vous avez donné beaucoup d’entrevues aujourd’hui, me disait Sophie. Pas trop fatigué ?
Philippe Katerine – Non, j’aime bien. Pour une fois que je peux causer. (Rires)

Pendant les concerts, vous pouvez causer aussi !
Philippe Katerine – Oui, enfin… Moi j’aime bien. C’est devenu un peu nécessaire à mon équilibre. C’est malheureux, non ?

Mais non !
Philippe Katerine – Et puis ça fait partie du boulot.

Oui, et puis vous êtes drôle.
Philippe Katerine – Oui, j’aime bien ça.

Nine Antico part rejoindre son père (il et elle vont assister à l’avant-1ère de Voyages en Italie).

Sophie Letourneur – C’était Nine Antico, ma pote !
Philippe Katerine – Ah oui ! Bien sûr. Je ne savais pas, tu ne me l’avais pas dit. Elle est extraordinaire, j’adore ses BD. Elle a fait un truc sur Brian Wilson et la Californie qui est génial !
Sophie Letourneur – Mais oui ! Je suis même remerciée au début de la BD sous le nom de “Sophie Latoulmeuf”. On avait visité les studios à Hollywood ensemble. Et sur mon badge, l’employé avait écrit “Latoulmeuf”, parce qu’il avait mal compris mon nom (Rires). Elle vient de sortir une super BD que je conseille : Madones et putains, sur la condition de la femme en Italie au XXe siècle, c’est super !

Philippe Katerine – Je vais adorer. Ouf. J’ai pas dormi de la nuit, ça doit être à cause du changement d’heure.

Sophie Letourneur – Tu veux boire quelque chose ?

Philippe Katerine – Je suis complètement azimuté, pour moi il est 3h du matin. Du coup je vais commander un gin fizz !


Quand la serveuse arrive, nous finissons par commander trois gin tonic et trois verres d’eau.

Vous allez jouer dans les deux autres films de la trilogie, Philippe, donc ?


Philippe Katerine – Moi, tant qu’on m’accepte, je suis partant ! (Rires) Je ne me pose pas de questions.

Qu’est-ce que vous écoutez, en ce moment, Philippe ?

Philippe Katerine – Une artiste espagnole que j’ai découverte ce matin, et qui est merveilleuse, je l’ai déjà écoutée 17 fois de suite ! Elle s’appelle Marina Herlop, et je ne peux plus m’en passer ! Extraordinaire ! C’est une musique qui ressemble à ce qu’on pourrait rêver que soit la musique de Björk aujourd’hui.

Sophie Letourneur – Je vais écouter ! Elle est espagnole, comme Rosalía que j’adore : La matadora !

Philippe Katerine – Oui, ça va bien avec ton caractère !

Sophie Letourneur – J’aime aussi beaucoup les dernières chansons de Shakira.

Philippe Katerine – Oui, et il paraît que tu vas essayer de la caster pour ton prochain film !

Sophie Letourneur –Oui, elle jouera mon rôle.

Sophie Letourneur – Et Brad Pitt le mien ! (Rires) Mais je ne plaisante pas du tout !

Enfin un scoop !

Philippe Katerine – Bon, c’est pas encore signé…

Sophie Letourneur – Les chanteuses sont souvent géniales dans les films.

D’ailleurs Rosalía était bien dans le dernier film de Pedro Almodóvar…

Philippe Katerine – Mariah Carey est superbe comme actrice. Oui, essaye Shakira !

Sophie Letourneur – Pourquoi Britney Spears n’a-t-elle jamais été actrice ?

Elle a eu plein de problèmes, je crois…

Sophie Letourneur – Mais il y a plein d’actrices qui ont plein de problèmes ! (Rires)

Philippe Katerine – ça regorge, même !

Vous suivez l’actu politique, Philippe ?

Philippe Katerine – Ce que je trouve génial, c’est qu’on n’a jamais vu les poubelles ouvertes avant la grève. Maintenant, on sait ce qu’il y a dans les poubelles. Et on se rend compte qu’il n’y a pas tant de bijoux que cela. C’est devenu le personnage principal de l’actualité. Je suis ému sur ce point-là, parce qu’on m’a appelé “la poubelle” pendant un moment, quand j’étais ado… Donc je suis content que les poubelles soient mises en valeur.

Comment ça ?

Philippe Katerine – Je ne me lavais pas trop quand j’étais ado.

C’est horrible !

Philippe Katerine – “Ce soir je serai la poubelle pour aller danser !” Nous avons enfin droit de citer dans la cité !

Ce que j’ai remarqué, c’est que les gens qui trouvaient Paris sale et qui accusaient Anne Hidalgo d’en être responsable ne disent plus rien, parce qu’ils voient maintenant ce qu’est Paris quand elle est vraiment sale… (Rires)

Sophie Letourneur – Moi en général, je suis plus dégoûtée par les choses trop aseptisées que par des poubelles.

Philippe Katerine – Tout le monde sait qu’il est très mauvais pour la santé de se laver tous les jours ! Pareil pour les cheveux. Moi, je me suis fait des shampoings ultra-volume pendant des années, voilà le résultat ! (Rires)

Les gin tonic arrivent.

Philippe Katerine – Sinon, niveau actu, j’ai une grande passion pour Jean Sablon [un musicien français mort en 1994, ndr].

Le 1er chanteur à micro de la chanson française !

Philippe Katerine – Voilà. Le chéri de ces dames, alors qu’il était homosexuel, mais on ne le disait pas, à l’époque. Un précurseur de la bossa-nova, avec Henri Salvador.

Sophie Letourneur – Moi j’ai croisé Barbara Carlotti ce matin, je vais acheter son roman : L’Art et la Manière, sur le désir féminin.

Philippe Katerine – C’est le dernier livre que j’ai lu, il est excellent ! Tu en sors… retourné ! Je n’en dis pas plus !

Les gens retournent au spectacle, au cinéma. Est-ce que vous sentez combien ça les rend heureux de se retrouver dans une salle ?

Philippe Katerine – Moi je crois qu’il y a une vérité évidente là-dessus : si les gens se retrouvent pour manifester contre la réforme de la retraite, c’est aussi pour se retrouver. Pour se chauffer, faire la baston, qui est aussi une façon de faire l’amour avec autrui. Il y a une idée de se retrouver qui est très nette. C’est épidermique.

Sophie Letourneur – Se retrouver ensemble et se retrouver soi-même. Se retrouver au contact d’une œuvre “d’art” (film, pièce de théâtre, ballet, etc.), c’est aussi se considérer comme un sujet pensant, libre, vivant, humain… On a tous le droit à ça ! C’est aussi ça, les manifs ! Dire : c’est quoi, ce truc, le peuple, nous ? On est des citoyens et on a le droit de s’exprimer ! On veut montrer qu’on existe et qu’on vaut le coup !

Nous trinquons.

Philippe Katerine – On a l’impression d’être au Baron en 2006 !

Propos recueillis par Jean-Baptiste Morain