Squid seront-ils les prochains sauveurs du rock ?

Une fusée de trois étages à propulsion différée. Voilà une façon de définir Squid, dont la trajectoire contrariée a fait un sacré zigzag dans le ciel gris du monde pandémique. Le quintette originaire de Brighton, vieil habitué des clubs jazz...

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Une fusée de trois étages à propulsion différée. Voilà une façon de définir Squid, dont la trajectoire contrariée a fait un sacré zigzag dans le ciel gris du monde pandémique. Le quintette originaire de Brighton, vieil habitué des clubs jazz de la cité balnéaire anglaise, était – et c’est le moins que l’on puisse dire – attendu, comme on attend aujourd’hui la réouverture des bars : c’est-à-dire avec la tremblote et l’espoir de fabriquer à nouveau de beaux souvenirs d’étreintes fraternelles sous emprise.

En parlant de souvenir, en voici un livré ici en pâture. On est en novembre 2019, à La Villette. La dernière édition de la déclinaison parisienne du Pitchfork Music Festival bat son plein et la rumeur court qu’il faut vite se rendre dans la salle aménagée de la Petite Halle pour y voir jouer Squid, déjà remarqué quelques mois plus tôt au festival Great Escape, avant de tout défoncer à Glastonbury durant l’été.

L’incontournable Dan Carey, toujours dans les bons coups

La formation made in UK, qui vient de dévoiler Town Center, un EP invoquant les brumes éthérées de la musique de Talk Talk (époque Laughing Stock) autant que les incartades post-punk et sautillantes des Talking Heads, retourne la scène avec ses cavalcades motorik libres, ses trompettes éraillées et l’incroyable agilité pleine de morgue de son batteur de chanteur, Ollie Judge.

La bande des cinq a alors déjà sorti un 1er EP passé inaperçu de ce côté de la Manche (Lino, en 2017, dans un genre flirtant entre shoegaze et post-rock) et un single prometteur (Terrestrial Changeover Blues), avant de faire la connaissance de l’incontournable Dan Carey, boss du label Speedy Wunderground et porte-voix de toute une génération de musicien·nes britanniques émancipé·es des carcans oasisiens et autres figures tutélaires vieillissantes.

“Ollie a lu un sujet sur Dan et décidé de lui envoyer un message pour qu’il passe nous voir jouer un soir, nous confiait à l’époque Louis Borlase, guitariste du groupe. Il est venu et, après le concert, il a tout de suite dit qu’il voulait bosser avec nous.”

Dans la lignée des Canadiens de Crack Cloud, de black midi ou des monstrueux Black Country, New Road, Squid délivre depuis des pièces de musique amples et fracturées, dont les structures évolutives, alternant vitesse d’exécution, break et changements de rythmes convoquent cuivres, batteries claires et guitares qui se tirent la bourre, dans un écrin bourdonnant idéal pour accueillir cette poésie de la terre brûlée proférée par Judge. Une éthique portée à son paroxysme par Bright Green Field, ce fameux 1er album mis en boîte une fois encore avec Carey.

“L’état merdique du monde” 

Avec onze titres au compteur, ce disque signé sur le prestigieux label Warp (Aphex Twin, Autechre, Battles) fait figure de manifeste puissant à l’usage de ceux et celles qui voient le temps de l’après-Brexit comme un terrain vague sur lequel tout serait à bâtir. Le fond de l’air y est rouge, insurrectionnel, contestataire. Bright Green Field – un titre en forme de vœu pieux – s’impose comme un bloc effiloché, traversé par des orages soniques et des plages d’ambient nerveuse.

“C’était important pour nous d’investir différents territoires, et en même temps de faire en sorte que le disque s’impose comme un monolithe, nous explique Anton Pearson, bassiste et guitariste du groupe. C’est autant un truc de production que de songwriting.”

Comme les Londoniens de Dry Cleaning, l’écriture semble être inspirée de la technique du cut-up de Burroughs, avec ses sentences, aphorismes et assemblages d’images qui nous paraissent, à nous (précisons-le), annonciatrices d’un avenir sombre. Comme un recueil de poèmes d’anticipation, ou des lettres postées depuis un futur apocalyptique à la Terry Gilliam et qui nous parviendraient sous la forme d’un document sonore. C’est l’un des points communs reliant Squid et Black Country, New Road : celui d’invoquer la géopolitique d’un monde imaginaire pour mieux nous confronter au réel cataclysmique du temps présent.

“J’ai l’impression que la sphère de la culture au sens large, pas seulement la musique, se focalise trop sur l’état merdique du monde, explique Ollie. Or, si tu t’enfonces dans cette logique d’écriture très 1er degré, le message devient inaudible et ton champ d’expression saturé. A partir d’un certain point, tout est politique. Il me semble qu’il est plus intéressant de décrire le monde imaginaire dont tu causes. Pour s’échapper, sans doute, mais aussi pour causer de ces choses merdiques à travers un code.” Quoi que ce soit, de ce soleil froid jaillira quelque chose.

Bright Green Field (Warp/Differ-Ant). Sortie le 7 mai