“Stévenin, il rabâche jusqu’à rendre l’impossible possible” : Stéphanie Granel se souvient du cinéaste

Stéphanie Granel, monteuse et assistante réalisatrice, a participé activement à l’écriture de Passe-montagne (1978) et à la réalisation difficile de Double messieurs (1986) de Jean-François Stévenin. Elle était comme un “troisième œil” pour...

“Stévenin, il rabâche jusqu’à rendre l’impossible possible” : Stéphanie Granel se souvient du cinéaste

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Stéphanie Granel, monteuse et assistante réalisatrice, a participé activement à l’écriture de Passe-montagne (1978) et à la réalisation difficile de Double messieurs (1986) de Jean-François Stévenin. Elle était comme un “troisième œil” pour Stévenin. C’est sur ses tournages qu’elle a appris le métier. Avec Les Inrockuptibles, elle revient sur sa collaboration avec le cinéaste, disparu le 27 juillet 2021.

Passe-montagne, un film de table de montage

Le film est né sur la table de montage de L’Argent de poche de François Truffaut. Après avoir été pendant 10 ans l’assistant de divers réalisateurs (dont Alain Cavalier, Jacques Rivette et Truffaut), Stévenin joue ici le rôle de Mr Richet, un “bon” instituteur et jeune père. C’est sur le tournage de ce film, à l’été 1976, dans la ville de Thiers (Auvergne), que Stéphanie Granel rencontre Jean-François Stévenin. Elle est alors assistante monteuse auprès de Yann Dedet (qui a beaucoup monté pour Truffaut, mais aussi pour Maurice Pialat).

La nuit, lorsque les acteurs·trice enfants se reposent et que le reste de l’équipe est au lit, Stévenin et Granel se retrouvent dans la salle de montage pour écrire Passe-montagne, le 1er film, alors secret, de Stévenin. Les cendriers se remplissent de mégots tandis que les idées fusent sur le papier et que l’histoire émerge. Le décor est planté dans les montagnes du Jura, terre natale et sacrée pour Stévenin qui y a passé son enfance. Deux hommes se rencontrent. L’un est parisien, l’autre est du coin. L’un (Stévenin) répare les voitures, l’autre (Jacques Villeret) construit des maisons. Une panne d’essence les rassemble une nuit, puis deux. Les jours passent et les deux comparses sont toujours là, à boire des coups et fumer des clopes. Stévenin/le gars du coin cause alors de son rêve : trouver la “combe magique”, une vallée inconnue entre deux monts enneigés. “Stévenin, il rabâche et il rabâche jusqu’à rendre l’impossible possible. Passe-montagne c’était ça, une poésie méticuleuse rendue possible par rabachage”, révèle Stéphanie Granel.

“L’œil de Stévenin”

Dans les années 1970, sur le tournage de La Nuit Américaine (où Jean-François joue son propre rôle d’assistant), Truffaut dit sans cesse à Jean-François Stévenin : “Le cinéma, c’est l’art des contraintes.” Malgré les conditions météorologiques difficiles et peu raccord (l’histoire se déroule en mai alors que le plateau est enneigé), son 1er film donne à Stévenin une grande liberté. Avec une équipe réduite (entre 7 et 14 personnes), le tournage se poursuit sur 14 semaines. “Parfois, on se levait à 3 h du matin par -14 degrés juste pour voir si le ciel était beau. Mais sinon on travaillait nuit et jour”, se souvient Stéphanie Granel. À l’époque, elle a 20 ans, et sur Passe-montagne, elle se retrouve au script, mais aussi maquilleuse. “Il s’agissait juste d’asperger les acteurs avec un brumisateur de temps en temps, précise-t-elle avec amusement. C’est là que j’ai appris. Chaque prise de chaque plan dans lequel jouait Stévenin, j’avais l’œil rivé sur la caméra. Il me répétait souvent ‘tu es l’œil’. J’étais littéralement vissée au pied de la caméra. Vous imaginez le cadeau, j’étais l’œil de Stévenin.”

Le montage de Passe-montagne

Passe-montagne est un film de l’errance, qui laisse transparaître la grande liberté et la spontanéité de son processus de création. Pourtant, tout le processus – de l’écriture au montage – est alors sous le contrôle de Stévenin. C’est son 1er film en tant que réalisateur, ce qui lui tient particulièrement à cœur. “Yann (Dedet) et moi, on travaillait sur le montage, mais Stévenin s’enfermait parfois toute une nuit et montait lui-même les rushs. On lui avait appris les rudiments et il montait seul son film. Le film a été quasiment réécrit au montage, à partir des nombreux plans-séquences que l’on a filmé.”

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La femme cachée de Double messieurs

Pour le deuxième film de Jean-François Stévenin, Stéphanie est 1ère assistante. C’est un poste maudit et redouté sur les tournages de celui qui a appris et souffert à ce poste. Stéphanie alterne entre l’objet de mépris ou la quasi-invisibilité aux yeux de Stévenin qui déteste les 1ers assistants. Ce qui a commencé sur le ton de la franche camaraderie dans le Jura vire au cauchemar sur Double messieurs. Les nuits d’écriture à deux dans la salle de montage ne sont plus qu’un lointain souvenir. “Être 1ère assistante sur les films de Stévenin est un enfer. Être une femme sur ses tournages, c’est raide”, souligne Stéphanie Granel.

Sur ce projet, il n’y a que deux femmes sur le plateau : Granel, derrière la caméra, et la comédienne Carole Bouquet, devant. Autour d’elles, les messieurs du cinéma de la Nouvelle Vague. Le rôle de Bouquet est difficile. Elle incarne dans le film une femme hypersexualisée qui se fait “kidnapper” par deux hommes à la recherche de son mari, le “Kuntch”. Si Passe-montagne est un film de l’errance poétique, Double messieurs est celui de la camaraderie virile en cavale, avec Johnny Hallyday et Rambo en toile de fond. Mais l’équilibre se renverse lorsque l’amour naissant apparaît entre un des messieurs et la dame. “Il fallait voir le hors-scène, c’était plus raide. Carole Bouquet ne se laissait pas faire et moi non plus.”

Mais être “l’œil de Stévenin”, c’est aussi formateur : apprendre dans le froid et les interstices, dans un mélange de liberté immense et d’extrême exigence. “Stévenin m’a donné la dimension d’un autre cinéma”, conclut Stéphanie Granel. Après ce tournage, elle n’a plus arrêté son travail de monteuse, travaillant sur des films du même acabit, de Jacques Rozier (Les Naufragés de l’île de la Tortue et Maine Océan) à Jacques Demy (Trois places pour le 26).

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