Sur quels fondements les imams de Saint-Chamond et Gennevilliers ont-il été suspendus?

POLITIQUE - Deux renvois et une flopée de questions. À Saint-Chamond, dans la Loire, et Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, deux imams ont été suspendus à la demande de Gérald Darmanin. Une intervention qui ulcère les principaux intéressés,...

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Darmanin a-t-il parlé trop vite en annonçant la suspension de deux imams? (photo d'illustration prise le 4 février 2021)

POLITIQUE - Deux renvois et une flopée de questions. À Saint-Chamond, dans la Loire, et Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, deux imams ont été suspendus à la demande de Gérald Darmanin. Une intervention qui ulcère les principaux intéressés, ces derniers se défendant dans la presse... avant, pour l’un d’entre eux, d’envisager une action en justice. 

Pour comprendre, il faut d’abord remonter au mardi 20 juillet et se pencher sur le compte Twitter d’une élue du Rassemblement national. Isabelle Surply, conseillère régionale d’extrême droite en Auvergne-Rhône-Alpes, y dénonce un prêche tenu quelques heures plus tôt à Saint-Chamond, reprochant à la mosquée en question “une conception inégalitaire du droit des femmes.”

En cause: les propos de l’imam Mmadi Ahamada. Dans une vidéo du prêche, postée sur la page Facebook de la mosquée, le religieux s’adresse à plusieurs centaines d’hommes réunis en plein air pour l’Aïd el-Kébir, tantôt en arabe, tantôt en français.

Des doutes juridiques

Citant un extrait de la sourate 33 du Coran, il demande notamment aux “femmes musulmanes désireuses d’entrer au Paradis (d’)obéir à (leur) mari (…) veiller aux droits d’Allah et à ceux de leur époux”. “Restez dans vos foyers et ne vous exhibez pas de la manière des femmes d’avant l’islam et ne soyez pas trop complaisantes dans votre langage”, exhorte-t-il encore, les invitant à ne pas céder à “l’accomplissement de la corruption et du vice”.

Deux jours plus tard, jeudi 22 juillet, le ministre de l’Intérieur décide d’envoyer une note à la préfète de la Loire, selon les informations du Monde, pour lui demander de convoquer l’association qui gère la mosquée et la sommer “de se séparer” de l’imam. Sitôt réclamé, aussitôt fait: Mmadi Ahamada a été suspendu l’après-midi même, selon Nabil Douibi, le porte-parole de la mosquée Attakwa à Saint-Chamond.

Ce qui a manifestement réjoui Gérald Darmanin. ”À ma demande, il a été mis fin aux fonctions de deux imams des Hauts-de-Seine et de la Loire aux prêches inacceptables”, a-t-il écrit sur les réseaux sociaux, dans la foulée, ciblant “ceux qui bafouent les règles et les valeurs de la République.” Mais depuis, c’est tout le procédé mis en branle par le “1er flic de France” qui interroge. Sur quels textes juridiques ces décisions se fondent-elles? Sur la loi dite “séparatisme”, qui n’a pas encore été promulguée? Le ministre de l’Intérieur peut-il intervenir sur la base d’une lecture d’un écrit religieux à l’heure où les sanctions sont prises, d’ordinaire, pour des cas d’incitation à la haine ou de soutien aux actes terroristes? 

Contactée par Le HuffPost, la place Beauvau tient à préciser que ces décisions ne reviennent pas stricto sensu au ministre de l’Intérieur, comme son tweet pourrait le laisser entendre. “Ces suspensions relèvent de leur autorité hiérarchique, à savoir leur association cultuelle”, nous dit-on, avant d’ajouter: “convoquées par les deux préfets des départements concernés, ces deux associations ont reconnu le problème et ont convenu qu’ils devaient se séparer” de l’imam.

Darmanin visé par une plainte?

De quoi convaincre les principaux intéressés? Sans doute pas. Depuis qu’il a été visé par le ministre, Mmadi Ahamada tente de se défendre. “Je suis pour que les filles fassent des études, deviennent médecins ou ingénieurs et pas pour qu’elles restent au foyer”, dit-il au Monde. Pour lui, qui plus est, “tous les religieux citent des textes sacrés.” “Je n’ai jamais défendu l’inégalité entre hommes et femmes. Au contraire, je sermonne les hommes pour qu’ils respectent leurs épouses”, martèle encore l’imam formé par l’Institut Mohammed VI de Rabat, au Maroc.

Même chose à Gennevilliers, où le religieux pointé du doigt dénonce une “atteinte à la liberté d’expression et de culte.” Selon Gérald Darmanin, l’imam Mehdi y aurait “tenu des propos contraires à l’égalité femmes-hommes et accusé les femmes de manquer de pudeur”, dans un prêche daté du 4 juin. Dans une note, rédigée le 13 juin et dont l’existence a été révélée vendredi 23 juillet, soit le jour de la confirmation de la suspension de Mmadi Ahamada à Saint-Chamond, le ministre de l’Intérieur dénonce un contenu “très vindicatif.”

“Dans mon prêche de trente minutes, tout cela n’en prend qu’une. De plus, oui, je cause de pudeur et de vêtements mais j’en cause pour les femmes et aussi pour les hommes. Cela n’a rien de sexiste”, explique le religieux au Parisienpour se défendre. Ses avocats causent, eux, d’une forme de “deux poids deux mesures contre l’islam.”

“Il est temps de mettre le holà au pouvoir politique et notamment au ministre de l’Intérieur qui cible des représentants musulmans dans un contexte où les agressions islamophobes sont en hausse. Les arguments de Gérald Darmanin ne tiennent pas la route, ils sont inopportuns et intrusifs. Il s’immisce dans la sphère religieuse et ce n’est pas son rôle”, analyse Me Ouadie Elhamamouchi, toujours pour le quotidien national, indiquant son intention de porter plainte pour “abus de pouvoir” contre le ministre de l’Intérieur. 

À voir également sur le HuffPost: Macron et Castex n’ont pas la même approche sur les causes du “séparatisme”