TEMOIGNAGE. Tuany Nascimento : "Dans les favelas, danser ne doit pas rester un rêve"
Télé Star : Avez-vous toujours vécu à Morro do Adeus, cette zone au nord de Rio qui, derrière un joli nom (la colline des adieux, ndlr), cache l'une des pires favelas du Brésil ?TUANY NASCIMENTO : Je suis arrivée à Morro à l'âge de 2 ans, après...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
Télé Star : Avez-vous toujours vécu à Morro do Adeus, cette zone au nord de Rio qui, derrière un joli nom (la colline des adieux, ndlr), cache l'une des pires favelas du Brésil ?
TUANY NASCIMENTO : Je suis arrivée à Morro à l'âge de 2 ans, après le divorce de mes parents. J'ai grandi là avec ma mère et mes frères. Mon enfance a ressemblé à celle de tous les enfants des favelas : à 5 ans, je savais déjà qu'il ne fallait pas jouer à côté des trafiquants, faire attention aux échanges de tirs mais aussi aux policiers qui n'hésitent pas à nous mettre en joue. Ils voient tous les habitants des favelas comme des dangers, alors que beaucoup sont juste des travailleurs pauvres.
Diriez-vous que la favela a changé depuis votre enfance ?
Non. Il n'y a toujours pas de ramassage des ordures, un seul dispensaire pour 16 000 familles, et aucune école.
Où sont scolarisés les enfants ?
Dans un autre quartier et ils doivent se débrouiller pour s'y rendre. Le gouvernement offre un pass transport à partir du collège si l'établissement scolaire est « trop éloigné ». Mais comme par hasard, dans les favelas, on juge normal qu'un enfant marche quarante ou cinquante minutes pour se rendre à l'école. Donc pas de pass.
Comment avez-vous pu suivre des cours de danse classique dans ces conditions ?
Ma mère m'accompagnait à pied, une heure et demi aller, une heure et demi retour. J'ai commencé à 5 ans mais quand ma mère est tombée enceinte de mon troisième frère, elle a dû renoncer à ces trajets. J'ai attendu qu'un club de sport ouvre plus près pour reprendre.
Que représentait alors la danse pour vous ?
Un rêve auquel m'accrocher. Je n'avais pas le choix. Soit je réalisais mon rêve, soit je devenais une mère de famille nombreuse de plus... Mais à 17 ans, je suis devenue trop vieille pour l'école du quartier et il fallait trop d'argent pour s'inscrire ailleurs. Je me suis dit : "Fini de jouer, tu as cinq petits frères, tu ne peux plus perdre ton temps avec la danse".
Et pourtant, vous n'avez rien lâché...
J'ai continué mes études et commencé à travailler comme apprentie. Mais le soir, j'allais sur le terrain de foot près de chez moi et je dansais toute seule, avec la musique de mon téléphone posé par terre.
Est-ce comme ça qu'est né le projet d'ouvrir l'école de danse Na Ponta dos Pés ?
Oui. Quand je dansais toute seule, des petites filles se sont approchées. Au bout de quelques jours, j'ai commencé à leur apprendre ce que je savais. Au bout d'un mois, par le bouche-à-oreille, elles étaient 50 autour de moi, de 3 à 15 ans ! Pourtant je n'avais rien à leur offrir, ni vestiaire, ni eau. Juste de danser pendant une heure.
D'où sortaient-elles ?
Le soir, dans les favelas, tous les enfants sont livrés à eux-mêmes. Libres d'aller et venir, pour la pire ou la meilleure des rencontres. Ce n'est qu'après deux ans que certaines mères ont eu la curiosité de venir voir ce que faisaient leurs filles...
Pendant six ans, vous vous êtes partagée entre l'université, un travail alimentaire et les cours de danse...
Je sortais de la maison à 6 h 30 pour n'y rentrer qu'à minuit et demi.
En 2019, vous avez construit vous-même votre petite école de danse dans la favela...
Oui. On avait l'argent pour les matériaux mais pas pour la main-d'œuvre, alors j'ai dit aux filles et aux mamans qu'on allait la construire nous-mêmes. Ciment, parpaings, peinture, tout !
Et surtout, vous avez réalisé votre rêve : intégrer une compagnie de danse de Rio de Janeiro...
Je devais montrer à ces petites filles que c'était possible. Que danser n'est pas qu'un rêve.
Impact © SEBASTIAN GIL MIRANDA