The Notwist revient en beauté entre jazz, electro et rock
S’étant frayé un chemin atypique et sinueux, jamais prévisible, dans le paysage musical international, The Notwist accomplit jusqu’à présent un parcours exemplaire, jalonné de plusieurs albums remarquables. Leur splendide nouveau lp, Vertigo...
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
REJOINDRE L'ÉQUIPE DE RÉDACTION
Tu penses avoir un don pour la rédaction ?
Contacte-nous dès maintenant pour rejoindre notre équipe de bénévoles.
S’étant frayé un chemin atypique et sinueux, jamais prévisible, dans le paysage musical international, The Notwist accomplit jusqu’à présent un parcours exemplaire, jalonné de plusieurs albums remarquables. Leur splendide nouveau lp, Vertigo Days, vient encore rehausser une discographie déjà très élevée et semble offrir la quintessence d’un groupe éminemment singulier, irréductible à un genre en particulier.
Originaire de Weilheim, petite ville de Bavière située à une cinquantaine de kilomètres de Munich, The Notwist apparaît sur la carte musicale à la fin des années 1980. Les deux principaux instigateurs en sont les frères Markus et Michael “Micha” Acher. Tous deux ont alors autour de 20 ans, le premier chante et joue de la guitare tandis que le second joue de la basse.
Martin “Mecki” Messerschmid les accompagne à la batterie. Ainsi constitué, le trio enregistre The Notwist (1990) et Nook (1992), deux premiers albums crachant un rock exaspéré (en anglais), dans la stridente lignée de groupes hardcore américains tels que Minor Threat, The Jesus Lizard ou Hüsker Dü. Irrigués par l’ardeur vindicative propre à l’adolescence (même tardive), ces deux disques de jeunesse possèdent une vraie force, à défaut d’une grande originalité, mais ne laissent rien présager des passionnantes mutations sonores à venir.
Du punk vénère à la quête d’atmosphères
Sous l’influence notamment du séminal Laughing Stock (1991) de Talk Talk, de Stereolab, Tortoise, Bark Psychosis ou encore Mouse on Mars, The Notwist bifurque vers un rock sensiblement plus atmosphérique, teinté d’électronique, avec un très réussi troisième album, 12, sorti en 1995 et enregistré avec la participation de Martin Gretschmann aux synthés et au sampler. Peu après, celui-ci devient le quatrième membre de la formation germanique, qui s’engage résolument dans la voie de l’expérimentation par la suite.
Riche de dix morceaux superbement profilés combinant éclat des mélodies et sophistication des arrangements, dans lesquels se déploie un bel éventail d’instruments additionnels (clarinette basse, vibraphone, thérémine, violon et contrebasse), Shrink (1998) ouvre encore davantage l’horizon musical de The Notwist, vers le jazz en particulier, et suscite l’enthousiasme bien au-delà des frontières de l’Allemagne, à commencer par la France.
Ayant rejoint les rangs du prestigieux label indépendant berlinois City Slang, le groupe franchit un cap supplémentaire avec l’étincelant Neon Golden (2002). Parfait prototype de musique savamment populaire, ce chef-d'œuvre indémodable est acclamé par la critique et remporte une large adhésion du public.
Martin Messerschmid quitte ses comparses en 2007, et Andi Haberl lui succède au poste de batteur. Dans la continuité de Neon Golden, The Devil, You + Me (2008) se distingue par la participation de l’Andromeda Mega Express Orchestra, vaste ensemble orchestral berlinois qui apporte de fines nuances à l'album.
Un trio au format élargi
Avec Close to the Glass (2014), The Notwist apparaît en pleine forme et signe un rutilant bijou d’electro-pop-rock futuriste. A la suite de l’enregistrement, Martin Gretschmann, qui a par ailleurs rencontré un joli succès avec son alias Console (souvenez-vous du single tubesque 14 Zero Zero), s’en va à son tour et met ainsi fin à un compagnonnage de vingt ans, ô combien fructueux. Il est remplacé par Christoph “Ciko” Beck, autre expert en bidouillages électroniques, découvert avec Joasihno, projet solo orienté folktronica.
Par ailleurs membre du trio électronique Aloa Input, Cico Beck forme, depuis 2015, le noyau dur de The Notwist avec les deux frères Acher. Outre Andi Haberl s’ajoutent deux musiciens dans la configuration actuelle maximale, en live ou en studio : Max Punktezahl (guitare, claviers) et Karl Ivar Refseth (vibraphone, percussions).
En dehors de ses albums, The Notwist compose régulièrement des musiques de films depuis les années 1990, notamment pour le réalisateur Hans-Christian Schmid. La bande-son de Sturm (La Révélation en VF), film de Schmid datant de 2009, a été éditée la même année sur disque via Alien Transistor, label créé par les frères Acher en 2003.
Le groupe s’aventure également parfois du côté du théâtre ou de la création radiophonique. Paru en 2014, chez Alien Transistor, l’album The Messier Objects propose un florilège de morceaux instrumentaux conçus pour la scène ou la radio, donnant à découvrir la facette la plus abstraite (et néanmoins vibrante) d’un univers musical en perpétuelle expansion.
Une multitude vertigineuse de side-projects
En parallèle, depuis le début des années 1990, Markus et Micha Acher s’impliquent, ensemble ou séparément, dans de multiples projets. On peut notamment citer Tied & Tickled Trio, formation flottant entre jazz, electro et dub ; Village of Savoonga, formation explorant le champ magnétique d’un post-rock houleux ; Ms. John Soda, duo electro-pop formé par Micha Acher avec Stefanie Böhm ; Rayon, planant projet solo porté par Markus Acher ; ou encore Hochzeitskapelle, fanfare jazz au répertoire très éclectique.
The Notwist en 1994 © Stefan Malzkorn/DalleLes deux frères ont également été membres de Lali Puna, autre groupe éminent de cette foisonnante nébuleuse germanique qui génère de si précieuses étincelles dans la sphère des musiques actuelles. “Je ne dirais pas de The Notwist qu’il s’agit de notre projet principal ou le plus important, déclare Markus Acher. Tout ce que nous pouvons faire en tant que musiciens revêt la même importance à nos yeux. The Notwist est simplement le groupe qui existe depuis le plus longtemps et celui qui suscite le plus d’attention.”
“Notre attachement au format de la chanson nous donne aussi la liberté de nous en éloigner parfois beaucoup” Markus Acher
“Il se distingue de nos autres projets avant tout par la notion de chanson. Même lorsque nous faisons des morceaux instrumentaux ou plus expérimentaux au sein de The Notwist, nous avons toujours des chansons en tête. Cet attachement au format de la chanson nous donne aussi la liberté de nous en éloigner parfois beaucoup, car nous savons que nous pouvons toujours y revenir. Nous expérimentons en faisant des chansons et nous faisons des chansons en expérimentant.”
De sa voix douce, légèrement traînante, Markus Acher – principal porte-parole du groupe – se livre au jeu des questions-réponses en compagnie de son frère Micha et de Cico Beck. Tous trois vivent à Munich et sont ici réunis dans leur studio d'enregistrement. L’entretien s’effectue via Skype, trois jours avant un Noël 2020 placé sous l’éteignoir, en Allemagne comme en France, par la pandémie de Covid-19.
“Nous ne faisons pas de répétitions régulières, précise Micha Acher quant au fonctionnement du groupe. Nous allons en studio pour travailler sur l’enregistrement d’un disque ou d’une musique de film. En temps normal, ce sont les concerts qui nous amènent à répéter et nous permettent de faire évoluer les chansons. C’est un processus continu, aucune chanson ne se fige jamais.”
En chantier depuis 2015
Complétant les propos de son cadet, Markus ajoute : “Avec le temps, nous avons acquis un langage et un background communs de sorte que nous pouvons jouer ensemble très facilement, en improvisant. A chaque enregistrement, nous repartons de zéro et nous nous demandons pourquoi nous voulons faire un nouveau disque. Nous cherchons surtout à ne pas nous répéter, à ne pas refaire la même chose d’un album à l’autre. C’est le plus important et le plus difficile : trouver une nouvelle voie à explorer pour l’album que nous allons réaliser.”
Plus de six ans séparent Vertigo Days de Close to the Glass, sorti en 2014. Une fois Cico Beck intégré au cœur créateur du groupe, le chantier en vue d’un nouveau chapitre de The Notwist s’est pourtant enclenché dès 2015 avec l’idée de construire des chansons sur la base de sessions d’improvisation. Il a fallu beaucoup de temps pour arriver au résultat final car les trois acolytes, hyper-actifs, ont été constamment mobilisés sur d’autres fronts.
Leur vie est séparée en groupes ou projets solo parallèles, musiques de films, gestion du label Alien Transistor ou encore organisation du très transversal festival Alien Disko, dont quatre éditions ont eu lieu – entre 2016 et 2019 – à la Münchner Kammerspiele, principal théâtre indépendant de la capitale bavaroise. Résolu à terminer l’album en 2020, le trio a dû, comme tout le monde, se réorganiser avec la survenue de la pandémie au début de l’année, tous ses plans et engagements tombant à l’eau les uns après les autres.
“En tant que musiciens, l’impossibilité de jouer live est le plus frustrant, remarque Cico Beck. Cette situation a tout de même eu pour conséquence positive de nous faire ressentir une très forte interconnexion au sein de la scène musicale indépendante à Munich.” A l’issue du confinement printanier, dès que c’est redevenu possible, le chantier interrompu a été relancé. “C’était très étrange, presque surréaliste, de travailler sur l’album, enfermés dans ce studio, en ayant l’impression que tout à l’extérieur était en train de s’effondrer”, confie Markus Acher.
Une kyrille dinvités sur Vertigo Days
“Personnellement, j’ai eu beaucoup de mal à faire de la musique durant la période initiale de la pandémie, je n’arrivais pas à composer ni même à penser à des chansons, mon esprit était monopolisé par ce que nous vivions. Heureusement, nous avions à disposition tout le matériau accumulé depuis 2015, à partir duquel nous avons pu travailler. Certaines chansons déjà enregistrées ont acquis une résonance nouvelle avec cette situation de crise. Subitement, l’album nous a semblé prendre tout son sens. Dans un second temps, nous avons composé d'autres chansons. Etant donné le contexte, pouvoir faire de la musique ensemble, exprimer notre créativité nous a vraiment fait beaucoup de bien.”
© Gérald Von Foris/Morr MusicAchevé à la fin de l’été, l’album a été réalisé avec la collaboration – à distance, forcément – de plusieurs invité·es gravitant dans l’orbite du groupe depuis quelques années, certain·es ayant participé au festival Alien Disko. L’idée d’une communauté transfrontalière se révèle ici essentielle, au niveau humain autant qu’au niveau artistique.
“De plus en plus de pays essaient actuellement de s’isoler et de se refermer sur eux-mêmes, constate Markus Acher. Aggravée par la pandémie, cette tendance générale nous désole. En réaction, elle nous incite à nous ouvrir davantage, à susciter toujours plus de collaborations par-delà les frontières. Notre musique est aussi la musique d’autres personnes.”
Membre du duo Tenniscoats (avec lequel Micha Acher et Cico Beck jouent dans le supergroupe Spirit Fest), la Japonaise Saya insinue sa voix délicate sur Ship, renversante comptine Krautpop digne du meilleur Stereolab. Angel Bat Dawid et Ben LaMar Gay, deux figures fortes de la scène jazz nord-américaine contemporaine (associées à l’épatant label International Anthem), apparaissent également. La première fait tanguer sa clarinette lunaire sur Into the Ice Age, longue et captivante chanson en liberté ; le second pose sa voix et ses paroles sur Oh Sweet Fire, ardent blues postmoderne aux inflexions hip-hop.
De cotonneuses ballades mélancoliques
De son côté, l’Argentine Juana Molina s’approprie avec éclat Al Sur, crépitante mosaïque rythmique agrémentée de parties vocales en espagnol. Enfin, le big band japonais Zayaendo – dont Saya fait partie – distille de vives couleurs sur Into Love Again, entêtante chanson finale qui fait écho à la première partie d’Into Love/Stars, scintillante composition duelle située au début de l’album.
Illustré par une belle photo de la photographe japonaise Lieko Shiga, dont le tremblé poétique s'accorde idéalement à celui de la musique,Vertigo Days délivre au total quatorze morceaux qui se fondent et s’enchaînent sans le moindre fléchissement. Typiques de The Notwist, plusieurs cotonneuses ballades mélancoliques (Into Love, Loose Ends, Sans soleil, Night’s Too Dark, Into Love Again) cajolent délicieusement l’oreille. D’emblée enchanteur, l’ensemble – dont émerge encore l’imparable bombinette Exit Strategy to Myself – affirme et affine un peu plus son pouvoir de séduction à chaque nouvelle écoute.
Marquant la fin de la relation avec City Slang, l’album paraît chez Morr Music, autre fameux label berlinois, très proche du collectif de musiciens munichois. “Nous apprécions beaucoup Thomas Morr et les autres personnes du label, leur conception de la musique rejoint totalement la nôtre, explique Markus Acher. Nous travaillons ensemble de longue date via divers autres projets et nous avons vraiment le sentiment de faire partie d’une même famille. Ce rapprochement nous trottait dans la tête depuis pas mal de temps, et le moment nous a semblé venu de passer à l’acte. Nous en sommes très heureux.” Quant à nous, en attendant d’avoir le bonheur de revoir le groupe sur scène, où il excelle, réjouissons-nous déjà de le retrouver sur disque avec ce Vertigo Days infiniment palpitant et bienfaisant.
Vertigo Days (Morr Music/Bigwax), sortie le 29 janvier