Tilda Swinton embrase “La Voix humaine” de Pedro Almodóvar

En ouverture du nouveau film, bref (29 minutes) mais majeur, de Pedro Almodóvar, La Voix humaine (d’après Cocteau), une femme erre dans un hangar. L’attention est accaparée par la somptuosité de ses robes : en rouge et noir, de la haute couture...

Tilda Swinton embrase “La Voix humaine” de Pedro Almodóvar

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En ouverture du nouveau film, bref (29 minutes) mais majeur, de Pedro Almodóvar, La Voix humaine (d’après Cocteau), une femme erre dans un hangar. L’attention est accaparée par la somptuosité de ses robes : en rouge et noir, de la haute couture contemporaine (Balenciaga) qui, dans ce cadre industriel désaffecté, semble ambassadrice d’une cérémonie crépusculaire : funérailles, voire antichambre de l’échafaud. Un visage émerge, blafard et inquiet, celui de Tilda Swinton, instantanément sublime et sublimée, telle une altesse déchue.

Une hache ? Pour fendre ? Tuer ?

En rupture, suit un générique pop où des instruments de bricolage (pince, marteau, etc.) s’animent et dansent. Des objets de quincaillerie au magasin qui les vend, la conséquence est logique : une saynète, dont on ne sait pas encore qu’elle sera la seule en extérieur de cette fiction conçue pendant le premier confinement – où Almodóvar attrapa le Covid, non-dit claustrophobe du récit. Un vendeur se presse vers une élégante cliente, Tilda S. de nouveau, en arrêt devant le rayon des haches.

Elle en achète une de taille moyenne. L’employé l’empaquette comme un cadeau précieux. Cette délicatesse est la transpiration de son inquiétude, qui est aussi la nôtre : une hache ? Pour fendre ? Tuer ?

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Revenue dans son appartement, aussi moderne et cossu que ses vêtements, la femme à la hache s’affaire au rangement d’une autre quincaillerie, plus intime : quelques livres et DVD où l’on repère entre autres deux films de Douglas Sirk (Ecrit sur du vent, Tout ce que le ciel permet) ou le roman Les Filles des autres de Richard Stern.

Ces références sont un viatique, comme d’autres citations moins explicites : Hitchcock (couteau de Psychose, vertige de Vertigo) ou Tati (un décor qui, comme dans Playtime, hurle qu’il est un décor). Une distance qui contamine tous les signes extérieurs du luxe, ironiquement exhibés. Drogue pour drogue, la kyrielle de cosmétiques hors de prix est filmée à égalité d’image avec une palanquée d’antidépresseurs serrés dans le tiroir d’une table de nuit.

L'affranchissement par le feu

Cette insistance sur des objets totémisés favorise le vaudou de l’action. Le soliloque d’une femme abandonnée qui parle au téléphone à son amant, récemment parti. C’est la magie Almodóvar que cet interlocuteur invisible gagne ses galons de personnage jusqu’à ce qu’on croie l’entendre dans ce qu’on devine de la banalité assassine de ses supposées questions. Elle répond, entre folie et mélancolie : “Je voudrais disparaître dans un rêve mais ce n’est pas mon rêve. Mon rêve, c’était de disparaître avec toi.” Mais elle dit aussi : “Tout ça, c’est des conneries.”

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Car contrairement au texte de Cocteau, le film n’est ni compassionnel ni gentiment misogyne. Cette femme, aliénée par sa passion et niée dans sa vie professionnelle de top model mature qu’on ne sollicite plus que pour sa “beauté intemporelle”, va puiser dans cet anéantissement de quoi briser la glace qui engourdit son cœur. D’où la hache ! Et le feu dont elle va répandre l’incendie, sorcière affranchie. In fine, les portes du hangar-studio s’ouvrent sur l’extérieur d’une rue animée. Tous les confinements cessent. Et Tilda Swinton s’enfuit dans l’avenir de la lumière.

La Voix humaine de Pedro Almodóvar, avec Tilda Swinton (Esp., 2020, 29 min)