Tilda Swinton se dédouble dans “The Eternal Daughter”, fable gothique sur la force de la mémoire
Une femme et sa mère (toutes deux jouées par l’admirable Tilda Swinton – pléonasme), dont nous ne connaîtrons pas le nom, débarquent un soir en taxi dans un manoir isolé qui a la réputation d’être hanté. Angleterre, manoir, fantômes… Nous voici...
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Une femme et sa mère (toutes deux jouées par l’admirable Tilda Swinton – pléonasme), dont nous ne connaîtrons pas le nom, débarquent un soir en taxi dans un manoir isolé qui a la réputation d’être hanté. Angleterre, manoir, fantômes… Nous voici en terrains culturels, romanesques et cinématographiques connus, presque confortables, cosy sinon rassurants…
Devenu un hôtel de luxe désertique, le manoir, baigné de brouillard (of course), fut celui où la mère, aujourd’hui très âgée, a grandi au sein d’une famille de la gentry. Sa fille est cinéaste et a une idée derrière la tête : si elle y a amené sa mère, qui manifeste des signes de maladie neurodégénérative, c’est officiellement pour y fêter son anniversaire, et plus officieusement dans le but de la faire causer de son enfance avant qu’elle n’ait tout oublié. Ce témoignage sera la base du scénario de son prochain film.
Moins on en montre, plus on montre
Régulièrement, la réalisatrice passe des coups de téléphone à un homme qui doit être son producteur et/ou son compagnon et qui s’inquiète de l’avancée de son travail, toujours suivie comme une ombre par son épagneul qui ne la quitte pas et dont la démarche rappelle tellement la sienne.
Moins ample et ambitieux formellement que The Souvenir, mais aussi beaucoup plus court, The Eternal Daughter nedoit pas pour autant être considéré comme une œuvre mineure. C’est plutôt une miniature qui, on l’acceptera, n’est pas synonyme de moindre beauté. La réussite humble du film de Joanna Hogg tient à une théorie du cinéma et même de la littérature, notamment fantastique, bien connue : moins on en montre, plus on montre, ou plutôt plus le spectateur ou la spectatrice imagine.
“Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir”
Que nous montre la cinéaste, alors ? Un lieu gothique, sorte de cliché d’ambiance britannique. Elle en tire d’abord un genre de satire sociale sur le mépris de classe et l’exigence d’excellence de deux femmes, même progressistes (pour la plus jeune), issues de l’aristocratie, et sur ces lieux anciens devenus des hôtels de luxe qui semblent toujours vides de client·es, habités par quelques employé·es peu intéressé·es par leur métier et une poignée de “fidèles” domestiques abandonné·es dont ne sait pas très bien si elles et ils existent ou pas tant celles et ceux-ci semblent sorti·es d’un épisode de Downton Abbey. On pense à Shining…
Jusqu’à ce que l’émotion, celle de la mère, bouleversée par les lieux, nous submerge, la submerge et nous entraîne ailleurs, de l’autre côté du miroir. René Char écrivait : “Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir.” C’est peut-être la tâche que se donnent à la fois mère et fille : clore un récit familial, ne plus faire qu’une dans ce manoir qui n’a plus d’âme. Le film, produit comme The Souvenir 1& 2 par Martin Scorsese, tout en délicatesse, en humour léger, en nostalgie, à l’aide de plans fixes sévèrement et savamment agencés, est parfaitement maîtrisé, et un régal bouleversant.
The Eternal Daughter de Joanna Hogg, avec Tilda Swinton, Joseph Mydell, Carly-Sophia Davies (G.-B., É.-U., 2022, 1 h 36). En salle le 22 mars.