Todd Haynes sur le Velvet Underground : “On a l’impression que leur musique a été faite pour notre époque”

Le grand monolithe noir du rock qu’est le Velvet Underground a connu une vie très courte : né il y a cinq décennies, mort au début des seventies. Assez pour établir une mythologie – on connaît la célèbre phrase de Brian Eno : “Peu de gens ont...

Todd Haynes sur le Velvet Underground : “On a l’impression que leur musique a été faite pour notre époque”

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Le grand monolithe noir du rock qu’est le Velvet Underground a connu une vie très courte : né il y a cinq décennies, mort au début des seventies. Assez pour établir une mythologie – on connaît la célèbre phrase de Brian Eno : “Peu de gens ont acheté leurs albums, mais tous ceux qui l’ont fait ont voulu former un groupe” – mais aussi pour voir ses membres disparaître peu à peu dans les limbes du temps. Nico est tombée de son vélo à Ibiza en 1988, Sterling Morrison est décédé d’un cancer en 1995, Lou Reed a dit Adieu en 2013 à cause d’un foie hors-service. Le néo sexagénaire Todd Haynes, bien vivant, a donc décidé de consacrer un documentaire au groupe créé à New York en 1964 – et qu’il a découvert lors de ses années de fac – avant qu’il ne soit vraiment trop tard. Avec celles et ceux qui restent.

Cela donne presque deux heures passées en apnée visuelle et sonore dans une odyssée tourmentée, avec pas mal de classiques (Waiting For The Man, Sunday Morning, etc) et une boussole : “Je voulais entrevueer uniquement des personnes qui ont appartenu à cette époque, des gens qui étaient là. Ce qui, logiquement, revenait à faire un film sur un moment, un lieu, une énergie.” À l’image, les membres de groupe encore bon pied bon œil (John Cale, introduit à Haynes par Christian Fevret, cofondateur et ancien directeur des Inrocks, Maureen Tucker, Doug Yule) et quelques figures amies du Velvet comme la superstar warholienne Mary Voronov, le musicien expérimental La Monte Young, le cinéaste Jonas Mekas, ou encore le merveilleux troubadour pop Jonathan Richman. Tous expliquent l’intensité d’une expérience collective en cinq albums, dont deux restent légendaires : The Velvet Underground and Nico (1967) et White Light/White Heat (1968).

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Porosité

Même s’il explique l’histoire du groupe et de ses albums de façon linéaire, de la formation grâce à Andy Warhol au split inévitable pour cause d’egos trop puissants, la force du film de Haynes réside ailleurs. En plus des entrevues classiques face caméra (mais tout de même éclairées par le grand chef-opérateur Ed Lachman), la matière du documentaire est constituée de bouts de films tournés alors que le Velvet brillait comme l’astre central d’un moment artistique plus large. “J’ai voulu utiliser des images créées par le cinéma d’avant-garde des années soixante, en faire la chair et le sang du film. Je n’ai jamais eu le sentiment d’imposer ce point de vue de manière artificielle, car le cinéma a été intimement lié au Velvet Underground. Tous les artistes qui vivaient à New York à ce moment-là s’intéressaient les uns aux autres d’une façon exceptionnelle. Les frontières entre médias étaient constamment franchies.

Le cinéma poétique et mémoriel du génial Jonas Mekas sert de pilier au travail d’agrégation de Todd Haynes, qui lui voue une admiration sans faille. “Jonas a été notre 1ère entrevue, car il avait 96 ans (le pape de l’underground est mort en janvier 2019, quelques mois après le tournage, NDLR) et le temps pressait. Jonas était si précis, son ouïe restait perçante… Sa mémoire et sa façon de causer nous ont impressionnés. Nous étions face à une figure majeure de l’art du 20ème siècle. Nous avons utilisé beaucoup de ses images en couleurs, avec la pellicule surexposée ou qui saute, des plans dans le métro, la ville… Devant son travail, on a l’impression de voir couler de l’eau, c’est incroyablement beau… Se replonger dedans m’a mis dans un état d’euphorie, proche de ce que je perçois de cette période et de ce milieu qui favorisaient l’inclusion, l’acceptation, les tentatives un peu folles.

J’ai l’impression de pouvoir toucher à une gamme de beauté et de complexité hors du commun ainsi qu’à plusieurs genres

En voyant la signature de Todd Haynes au générique de The Velvet Underground, on a pu s’interroger sur les raisons qui ont poussé le réalisateur de Safe à s’intéresser à ce matériau, au-delà de son statut de fan. Les incursions de Haynes dans la musique, absolument majeure dans sa filmographie, avaient pour l’instant concerné le glam-rock et David Bowie (Velvet Goldmine) puis Bob Dylan, à travers un biopic tordu plutôt fascinant (I’m Not There). Le reste de sa filmographie, d’une diversité radicale, contient entre autres un mélo lesbien (Carol), une revisite twistée du cinéma de Douglas Sirk (Loin du Paradis), un conte sur le cinéma et l’enfance perdue (Le Musée des merveilles) ou encore un film-dossier sur le Téflon dans l’Amérique profonde (Dark Waters). La cohérence, le cinéaste la trouve lui-même dans un esprit qui le traverse depuis l’adolescence. “À travers ce documentaire, j’ai essayé de comprendre la sensibilité qui définissait le groupe, la Factory et la ville, très différente du reste de la contre-culture sixties façonnée par les hippies. Pour moi, il y avait à ce moment-là quelque chose de queer, au-delà parfois du fait d’être gay ou non : une série d’attitudes disponibles pour les artistes et dans lesquelles ils pouvaient puiser, une somme de résistances par rapport à d’autres façons de voir le monde et de concevoir la musique. J’ai beaucoup puisé là-dedans.

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Screen Tests

Une évidence affleure : tout l’esprit créatif de Todd Haynes est constitué par un grand écart dont lui seul détient le secret, entre sa passion pour le cinéma classique hollywoodien – surtout les années 50 – et une autre, en parallèle, pour l’underground de Jonas Mekas, Jack Smith, Kenneth Anger, Shirley Clarke, Maya Deren, toutes et tous cinéastes de chevet pour le natif de Los Angeles. Sans compter Andy Warhol, dont on voit notamment dans le documentaire les célèbres Screen Tests, où John Cale et Lou Reed regardent la caméra qui reste fixe pendant de longues secondes. D’incroyables portraits à la puissance romanesque totale. “Les copies sont magnifiques, non ? Tu as raison, tous ces films m’ont constitué en tant que cinéphile. Je suis vraiment né artistiquement dans un mélange. J’ai l’impression de pouvoir toucher à une gamme de beauté et de complexité hors du commun ainsi qu’à plusieurs genres. Aimer le cinéma tel que Hollywood l’a conçu ne me paraît pas contradictoire du tout avec l’idée de vénérer l’avant-garde. Je me souviens de Blow Job, le Warhol que je préfère et l’un de mes films préférés tout court, un miracle de minimalisme et de simplicité. C’est tellement beau et suggestif : tout fonctionne par rapport à ce qu’on ne voit pas, ce qui est omis dans le cadre. L’idée nous mène vers le sujet du film. La lumière fascine, le passage d’une bobine à une autre également. Ce film créé une relation essentielle, immédiate avec le medium. C’est érotique, intelligent, vif. On pourrait dire la même chose des toiles de Warhol, qui valent non seulement par les idées qui ont mené à leur réalisation, mais aussi leur fabrication elle-même, leurs imperfections, leur saleté parfois. On nous demande de manger un bonbon un peu dégueu et cela devient viscéral en plus d’être intellectuel. On peut utiliser tellement d’adjectifs : sublime, drôle, ennuyeux, idiot…

Film hommage

Sur Warhol, on pourrait lancer Todd Haynes durant des heures : il s’anime à l’évocation du maître du pop art, au point que son documentaire, a posteriori, ressemble au moins autant à un hommage au groupe de Heroin et Venus in Furs qu’à son producteur et mentor. ”Dans le film, Jonathan Richman explique que la 1ère fois qu’il a vu le Velvet jouer à Boston, Nico n’était plus dans le groupe mais assistait au concert. Andy Warhol avait aussi effectué le déplacement. Il a parlé à tous ces gens et a été subjugué par la gentillesse et la patience de Warhol. À un moment, il lui lance : Je m’excuse de vous déranger, monsieur Warhol, mais je dois vous le dire : je ne pense pas comprendre votre art.’ Là-dessus, Andy Warhol lui répond du tac au tac : ‘Bien sûr que si. Vous le comprenez’.” Ce genre d’échange peut changer une vie, lui donner une direction plus épanouie et profonde. Haynes a connu la même déflagration comme spectateur et reste hanté. Pour lui, les nombreux films d’Andy Warhol – qui restent moins connus que son travail de peintre plasticien – dessinent une morale de l’image et du cinéma, une forme de manifeste esthétique. “Certains Warhol que j’adore, comme Vinyl, perdent le contrôle d’eux-mêmes de la manière la plus belle et dangereuse qui soit. Je ne sais pas à quel point cela influe ma façon de tourner, mais les instincts de cet artiste, ses résistances au classicisme, me semblent en parfaite harmonie avec ce que je recherche. Il a aussi cassé les barrières entre haute et basse culture, réfléchi sur la signification même de l’art aux temps des médias de masse. Ce n’est toujours pas rien, même aujourd’hui.

Bientôt Peggy Lee

Le prochain long-métrage de Todd Haynes sera encore une fois consacré à la musique, mais dans un tout autre domaine puisqu’il s’agit d’un biopic de la chanteuse Peggy Lee – Fever, notamment. “J’y travaille depuis longtemps et nous tournons à partir de janvier prochain. Michelle Williams va tenir le rôle principal. Ce sera très excitant ! ” L’ombre du Velvet, de la Factory et des superstars traînera peut-être dans l’air, comme un mode d’emploi secret et libérateur. Le Velvet fait toujours partie de la vie de Todd Haynes. “On a l’impression que leur musique a été faite pour notre époque. Ce groupe fait partie de mes fondations et ce sera toujours le cas.” Il a même changé d’avis sur certaines productions, notamment le troisième album – le 1er sans John Cale – dont il admire maintenant la “douceur nue”. Ou encore le disque hommage à Warhol après sa mort par Reed et Cale, Songs For Drella, sorti en 1990. “Tout le monde était tombé sur le dos de cet album, moi y compris. Mais en fait, je l’aime beaucoup. C’est un hommage généreux et passionnant, où Cale et Reed se sont donné à fond.

Avant de retourner préparer son prochain film, Haynes revient à son désir d’artiste. “La phrase de Brian Eno a marché pour moi, mais avec le cinéma. J’ai appris beaucoup du Velvet, notamment que le processus créatif n’est pas forcément sain, rempli de pulsions autodestructrices. Ce groupe nous dit que tout cela est humain, profondément humain. Il nous donne la permission d’entrer en conflit avec nous-même et aide à comprendre pourquoi parfois les choses se passent mal, pourquoi certains deviennent accro à la drogue où cherchent à s’échapper par tous les moyens. J’y ai trouvé une connexion avec ma pulsion créative, cela m’a poussé à aller plus loin et à trouver ma voix.”

The Velvet Underground. En streaming sur Apple TV.