Tough Love Records : un beau label d’indépendance

C’est une histoire qui commence dans une chambre d’étudiant, un conte moderne comme on n’en fait plus, une épiphanie. On est en 2005 et Stephen Pietrzykowski traîne ses guêtres à l’université de Coventry, où il suit un cursus en cultural studies....

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C’est une histoire qui commence dans une chambre d’étudiant, un conte moderne comme on n’en fait plus, une épiphanie. On est en 2005 et Stephen Pietrzykowski traîne ses guêtres à l’université de Coventry, où il suit un cursus en cultural studies.

Le genre de parcours qui mène à tout et à rien, souvent emprunté par des jeunes gens qui ne savent pas très bien à quoi dédier leur vie. On n’imagine pourtant pas Stephen végéter à bibliothèque du campus, même s’il ira jusqu’au doctorat. On se le figure plutôt allongé sur un plumard à rêvasser en écoutant de vieux Velvet et My Bloody Valentine.

Fondé sans aucun·e artiste sous la main

Un soir, avec son pote Ryan Taylor, il regarde 24 Hour Party People, le film de Michael Winterbottom sur l’épopée Factory Records – le label iconique de Joy Division, New Order, The Durutti Column ou encore Happy Mondays – et voit la Sainte Vierge : pourquoi ne pas monter un label ?

“Je connaissais bien l’histoire de Factory mais, je ne sais pas pourquoi, ça m’a inspiré. J’avais déjà cette sensibilité DIY, celle qui te fait dire que si tu n’entends pas autour de toi ce que tu aimerais entendre, alors c’est à toi de le faire entendre”, nous explique Pietrzykowski.

“Le seul groupe du coin qu’on aimait bien a répondu à l’appel”

Stephen ne joue d’aucun instrument, ne sait pas comment on enregistre une chanson, n’a aucune idée de comment on distribue un disque et ne connaît strictement rien au racket de la musique. Il décide pourtant de monter son propre label, Tough Love Records. Un label sans catalogue, puisqu’il n’a alors aucun·e artiste sous la main.

Il se marre : “Je ne connaissais pas de groupe et la scène musicale de Coventry ne me faisait pas particulièrement rêver. Ce n’est pas très glamour, mais j’ai sorti une espèce de flyer de Microsoft Word sur lequel il y avait écrit ‘Bands wanted’ et je l’ai placardé sur les murs des pubs de la ville. Le seul groupe du coin qu’on aimait bien a répondu à l’appel.”

L’ère de Myspace et des MP3 piratés

C’est ainsi que sortira, en 2005, le simple Nobody Dreams about Me/Dear Old Bill, de The Sequins. Un disque aux influences smithsiennes et jangle pop, tiré à quelque 500 exemplaires et distribué jusque chez les disquaires Rough Trade de Londres, qui donnera en quelque sorte le ton pour la suite.

Mesurer le chemin parcouru aujourd’hui par Tough Love, c’est se retourner sur quinze ans d’évolution du marché de la musique. À l’époque, la distribution digitale n’est qu’à ses balbutiements, les plateformes de streaming n’existent pas et, outre le téléchargement illégal, MySpace semble être le lieu d’échange privilégié pour les musicien·nes du monde entier.

Aujourd’hui, Tough Love Records, c’est 158 sorties

Comme la plupart des artistes dont il sort la musique, Stephen ne gagne alors pas sa vie avec sa micro-maison de disques à l’éthique punk, mais comprend très vite le bouleversement des habitudes d’écoute du public.

À l’image d’un label comme Warp, il permet à chacun·e de télécharger directement les morceaux depuis le site de Tough Love. Une petite révolution. “Après mon doctorat, j’ai bossé chez un gros label indépendant. Un job un peu chiant, mais grâce auquel j’ai pu apprendre à faire tourner ma boutique. Ça m’a aussi permis d’entrer en contact avec certains groupes.”

Aujourd’hui, Tough Love Records, c’est 158 sorties – albums, EP, singles confondus. Et s’il faut se réjouir de quelque chose, c’est bien de la qualité de chacune d’entre elles et de l’abnégation avec laquelle Stephen s’acharne à faire tenir les quatre murs de cette belle maison indépendante.

“En termes d’esthétique, on peut dire que l’évolution du label suit celle de mes intérêts personnels. Si d’aventure ma psyché interne devait un jour intéresser quelqu’un, alors il trouverait sûrement des indices dans les disques que je sors. Je ne suis pas musicien, c’est ma façon à moi d’être créatif.”

Pas encore dans la légende, mais pas très loin

Côté catalogue, on trouve des trésors de guitares indie (de la pop ouvragée de Proper Ornaments au débraillement slacker de Favours For Sailors, en passant par la noise pop des Nord-Irlandais de Girls Names), kraut et synthpop (Weird Dreams, Cymbals, Peel Dream Magazine) et postpunk (TOY, Autobahn).

Depuis trois ans, le roster Tough Love s’est encore étoffé, faisant basculer le label dans une nouvelle ère, avec deux filières notables : l’une australienne (The Stroppies, David West ou Rat Columns) et l’autre ouest-américaine (April Magazine, Star Party ou encore The Reds, Pinks and Purples).

“Je ne dis pas qu’on a la même force que les Creation, Factory ou Dischord, mais on s’inscrit clairement dans cette lignée”

“On est arrivé à un point où on a une solide fanbase, qui se rencarde systématiquement sur notre actualité et achète toutes les sorties du label, c’est gratifiant. Je ne dis pas qu’on a la même force que les Creation, Factory ou Dischord, mais on s’inscrit clairement dans cette lignée”, conclut Stephen.

Après plusieurs années passées dans une major, en marge de son activité au sein de Tough Love, il vient de raccrocher les gants pour ne se consacrer qu’à son projet né il y a dix-sept ans dans une piaule étriquée. Pas encore dans la légende, Tough Love. Mais pas très loin non plus.

Bonus tracks : six signatures importantes de Tough Records

April Magazine, à écouter au lever du jour

Pas du style à mettre des sous dans un plan marketing bien huilé, Tough Love Records doit aussi sa longévité au mystère qui l’entoure. Il en va de même des groupes que Stephen prend sous son aile : à l’image d’April Magazine, quatuor fascinant issu de la scène de San Francisco.

On n’a pas envie d’en savoir trop sur cette étrange formation, menée par un certain Peter Hurley – propriétaire d’une galerie d’art dans la Bay Area –, qui sortait l’année dernière une collection de chansons poignantes et indatables (If the Ceiling Were a Kite Vol. 1), sur laquelle planent les fantômes de Nico et de la Factory de Warhol. À écouter au lever du jour, quand les rayons d’un soleil blafard peinent à percer la brume.

Slowcore et jangle pop avec The Reds, Pinks and Purples

La filière San Francisco toujours, avec The Reds, Pinks and Purples : l’un des innombrables projets d’un certain Glenn Donaldson, qui, Stephen nous l’assure, n’a jamais sorti un mauvais morceau de sa vie. Complètement DIY, Donaldson est l’un des mélodistes les plus sensibles qu’il nous ait été donné d’entendre ces derniers temps. Les paysages qu’il esquisse, dans un genre jangle pop cotonneux, sont un ravissement.

Comme si le type venait vous causer de vos souvenirs blanchis par le soleil, avec la grâce de celui pour qui chaque détail, chaque trace laissée par la vie, contient une émotion encore vivace. Les deux albums de Vacant Gardens – tirés à très peu d’exemplaires en 2020 et 2021 chez Tall Texan Records –, le groupe slowcore qu’il forme avec l’artiste Jem Fanvu, sont d’ailleurs réédités sur Tough Love ce mois-ci.

Girls Names, un nom à retenir

Stephen nous le confiait, il n’aime pas trop s’étendre sur le côté culte des choses, persuadé de voir poindre derrière un certain snobisme. Pourtant, Girls Names a quelque chose de cet acabit. Passé par Captured Tracks, label essentiel de Brooklyn, le groupe de Belfast a, au début des années 2010, fait basculer Tough Love dans une autre dimension avec passages en radio et tout le tremblement, à l’époque de la sortie de l’excellent The New Life (2013). Entre new wave hypnotique et noise pop, le duo est l’un des fleurons du label.

Autobahn : en route pour Leeds

“Comment est-il possible que personne n’ait eu l’idée d’appeler son groupe Autobahn plus tôt ?”, s’interroge Stephen. Bonne question. En vadrouille à Leeds pour voir Eagulls, formation indie locale à succès, il tombe sur ce quintet fan de Bauhaus et autres joyeusetés postpunk. Rutilant, le son d’Autobahn laisse sur le carreau dès la 1ère écoute. Pas mal pour un groupe qui fait tout tout seul. En attendant un nouvel album qui devrait arriver cette année, l’écoute de l’immense Dissemble (2015) est hautement recommandée.

David West, un rock dailleurs

Direction Perth, capitale de l’Australie-Occidentale, ville d’où sont originaires Kevin Parker (Tame Impala) et le singulier David West. Passé par une multitude de formations (dont l’excellente Total Control), West hante Tough Love Records avec sa pop ludique et lumineuse (sorti cette année, son dernier album, Jolly in the Bush, est une merveille). Personnage discret et iconique à la fois, on le retrouve également aux manettes de Rat Columns, autre groupe maison.

The Stroppies, smells like teen spirit

Duo presque informel à ses débuts, The Stroppies s’est mué au cours des dernières années en machine de guerre indie pop, convoquant autant les fantômes de Papas Fritas que des Go-Betweens. Après le très réussi Whoosh ! (2019) et le raffiné Look Alive (2020), pétri d’un romantisme adolescent à couper au couteau, la bande, qui sonnait comme The Vaselines et autres Moldy Peaches à ses débuts, sort le très électrique Levity. Avant une tournée avec le Modfather Paul Weller. Pas un hasard non plus.