Tout ce qu’il faut savoir sur Jack Antonoff, le producteur que les pop stars s’arrachent

Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous connaissez forcément Jack Antonoff sans le savoir. Simplement parce que, ces dernières années, vous n’avez pas pu passer à côté des nombreux disques qu’il a produits pour Lana Del Rey (le dépouillé...

Tout ce qu’il faut savoir sur Jack Antonoff, le producteur que les pop stars s’arrachent

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Son nom ne vous dit peut-être rien, mais vous connaissez forcément Jack Antonoff sans le savoir. Simplement parce que, ces dernières années, vous n’avez pas pu passer à côté des nombreux disques qu’il a produits pour Lana Del Rey (le dépouillé et choral Norman Fucking Rockwell!), Taylor Swift (Midnights et ses pulsions eighties), Lorde, St. Vincent ou à travers son propre groupe, Bleachers, qui a sorti en mars son quatrième album (sobrement intitulé Bleachers) et, sans hésitation aucune, le meilleur à ce jour.

À tout juste 40 ans, l’Américain, look de voyou intello, six Grammy Awards et une ribambelle de hits sous le bras, est le faiseur de tubes que tout le monde s’arrache, celui à qui tous les journalistes posent la question de la recette de la pop song parfaite, quand il ne suscite pas des articles-fleuves (Dream of Antonoffication dans The Drift) d’une dizaine de pages essayant, en vain, de décrypter le personnage.

Pas de formule magique

Quand on le rencontre au très cossu bar du Bristol en pleine Fashion Week, où il accompagne sa femme qui défile pour Chanel, la comédienne Margaret Qualley, on comprend très vite que Jack se soucie comme d’une guigne des tentatives de théoriser sa musique. “Je suis fasciné par ces gens qui pensent qu’il existe une formule magique, s’enflamme-t-il quand on le taquine sur le sujet. Ça traduit un certain cynisme qui a toujours existé autour de la pop music, cette forme de mythologie de la recette secrète, de cette drogue qu’on glisserait dans n’importe quel morceau pour le transformer en tube. Et je ne cause pas des master class où les musiciens viennent expliquer leur technique. C’est de la connerie pure.

Ce qui est excitant dans la musique, c’est le mystère qui l’entoure. On dispose d’une gamme d’outils réduite – piano, synthétiseurs, guitares, batterie – et c’est tout. Tout dépend de la manière dont vous les assemblez, et c’est ce qui est fascinant. C’est un peu comme la cuisine : à partir des mêmes ingrédients, on obtient rarement la même recette. Ce que j’aime dans la pop, ce sont ses limitations ; comment faire pour qu’avec un morceau qui dure trois à quatre minutes, les auditeurs se sentent aussi excités et vivants ? La vérité, c’est que je suis assis dans une pièce avec quelques instruments, parfois une personne ou deux, pas plus, qu’on fait de la musique parce que c’est notre passion et qu’on essaie des choses. Des fois, ça touche les gens et d’autres, ça n’intéresse personne !”

On l’aura compris, Jack Antonoff, qui se considère toujours comme un mauvais musicien, fait de la musique comme il respire. Mais aussi de manière cathartique, pour mieux conjurer la disparition de sa petite sœur d’un cancer du cerveau, alors qu’elle avait 13 ans et lui 18. Cette cicatrice indélébile, qu’il aborde dans chacune de ses entrevues, offre à sa musique une forme de résilience doublée d’une autoanalyse qui la rendent encore plus mystérieuse. Antonoff, soudain plus grave, explique comment des paroles, écrites deux ans plus tôt, deviennent soudainement limpides : “Je ne sais pas si on peut causer de thérapie vu que la mort de ma sœur m’accompagnera toujours. Je le vois plus comme une forme de langage, un pont entre le conscient et l’inconscient. C’est ce que j’aime dans la musique, cet espace entre l’éveil et le rêve.”

Une posture d’outsider

Né le 31 mars 1984, Jack Antonoff a grandi dans le New Jersey au son des radios FM et du renouveau du rock (les 1ers Strokes dont il est fan) collé aux oreilles, séparé du cœur névralgique de New York, la ville où tout se passe, par l’Hudson River. De cette position géographique, il garde un sentiment d’imposture, une posture d’outsider, une humilité chevillée au corps qui ne le quittera pas – il en a d’ailleurs fait une chanson, Jesus Is Dead, avec Bleachers –, même lorsqu’il déménage au cœur de la Grosse Pomme en 2012. À 15 ans, il forme le groupe punk Outline, puis Steel Train, dont le principal fait d’armes est Bullet, un single rock et criard, dédié à son ex d’alors, Scarlett Johansson.

La mort de sa sœur le plonge dans un tourbillon d’excès dont il se relève en devenant le guitariste du groupe Fun, avec qui il connaîtra son 1er tube, le single We Are Young avec Janelle Monáe. Ce petit hymne générationnel condense déjà les éléments qui feront la signature d’Antonoff : des synthés rutilants eighties, des voix intimes et pures, des touches de folk-rock seventies, la grandiloquence des cordes, une répulsion pour la compression, une emphase pop et un goût certain pour les ballades mélancoliques. Comme une manière de revenir à l’époque bénie où l’indie et le mainstream se mélangeaient, où la pop se frottait au rock et au hip-hop, pour remettre une forme d’artisanat dans la musique et fuir le maximalisme actuel.

L’escale parisienne

Le succès de We Are Young est un tournant dans la carrière de Jack. Il a 28 ans, il commence à écrire pour les autres, Tegan and Sara, Sia, Carly Rae Jepsen, Taylor Swift, Lana Del Rey, sort avec Lena Dunham qui va éveiller sa sensibilité féministe, monte en secret Bleachers, un faux groupe qu’il pilote seul, mais pour lequel il réunit une bande de musiciens qui l’accompagnent en tournée ou lorsqu’il travaille sur les disques des autres. L’écriture du quatrième album de ce drôle de groupe, que Jack considère comme sa respiration et son jardin secret, commence fin 2022, lorsqu’il s’installe six mois à Paris avec son épouse. “Je ne savais pas où j’allais pouvoir travailler, explique-t-il. Alors j’ai appelé mes potes de Phoenix qui enregistraient à côté du Louvre, puis Thomas Bangalter m’a fait visiter son studio et il m’a parlé des studios rue Boyer, dans le XXe arrondissement, montés par deux ingénieurs du son [Victor Lévy-Lasne et Maxime Le Guil] que je connaissais parce que j’avais enregistré avec eux un épisode de Mix with the Masters.

Tous les matins je traversais Paris à pied du sud au nord, me confrontant aux différentes strates sociales, ne parlant à personne car je n’articule pas un traître mot de français. Je m’arrêtais systématiquement devant cette incroyable boutique King of Pop, un bazar entièrement dédié à Michael Jackson, et je mangeais dans un petit resto afghan où j’avais mes habitudes. J’aime beaucoup marcher, c’est une véritable source d’inspiration pour moi, un moment où les idées se mettent en place et se concrétisent quand je retourne en studio. Aussi curieux que cela puisse paraître, Paris m’a aidé à faire le disque le plus New Jersey de ma vie.”

Posant accoudé à une Cadillac et vêtu comme un kid des fifties sur la pochette en noir et blanc de l’album, comme une manière de renvoyer la balle rétro à Lana Del Rey, Jack Antonoff livre un album puissant et jouissif, brut et sophistiqué, aussi bien porté par l’histoire d’amour qu’il vit avec Margaret Qualley que hanté par la mort de sa sœur. Comme si les succès remportés avec des artistes aussi différentes que Lana Del Rey ou Taylor Swift offraient un souffle nouveau à sa créativité, l’incitaient à plus de prises de risque et donnaient raison à celui qui, loin des hooks et des drops du streaming, a rétabli la simplicité et l’humanité dans une musique de plus en plus désincarnée par les algorithmes et les IA.

“Je ne suis pas passionné par les ordinateurs et les instruments virtuels, confirme Jack, mais par les vrais instruments. J’aime l’idée qu’ils ne sont pas parfaits et que ce que j’en tire peut ne pas se reproduire, comme je peux passer des jours à essayer de restituer un son que j’ai dans la tête. Je ne pense pas que la production et l’écriture aient besoin d’être modernisées. L’autre jour, je réécoutais Aquemini d’OutKast ou Blue de Joni Mitchell : ces disques sont toujours d’un avant-gardisme incroyable, non ? Je n’ai pas la folie des grandeurs, j’aime les espaces petits et intimes pour travailler, j’ai besoin d’avoir mes instruments à portée de main.

Avec Lana ou Taylor, rien n’est planifié, tout est très spontané. On s’appelle, on déjeune, on écrit de la musique ensemble et on décide de ce qu’on garde ou pas. Ce que j’aime dans la musique, ce sont les interactions humaines. Les gens sont fatigués de la technologie, de la virtualité. Il est temps de dire la vérité : personne n’aime son téléphone. J’y suis accro comme beaucoup, mais dès que je suis en studio, que je compose avec quelqu’un, il n’existe plus. Le plus grand mensonge de notre époque, c’est de nous faire croire qu’internet a favorisé la conversation entre les gens. Mais, vraiment, quel bullshit !” 

Bleachers (Dirty Hit/Virgin Music France). Sorti depuis le 8 mars. En concert à l’Olympia, Paris, le 2 septembre.