TRIBUNE - Rappel à la loi du Citoyen Darmanin
Cher Citoyen Darmanin, Pas de “Monsieur le ministre” entre nous! Nous vous écrivons comme à l’un des nôtres, pour que vous n’oubliiez pas que vous êtes, vous aussi, membre de ce corps social dont vous abîmez les institutions, un peu par maladresse,...
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Cher Citoyen Darmanin,
Pas de “Monsieur le ministre” entre nous! Nous vous écrivons comme à l’un des nôtres, pour que vous n’oubliiez pas que vous êtes, vous aussi, membre de ce corps social dont vous abîmez les institutions, un peu par maladresse, beaucoup par habitude.
Soyons honnêtes, Citoyen Darmanin, ce n’est pas la 1ère fois que vous menacez de porter plainte contre une femme pour la faire taire. Rien de tel que l’annonce d’un dépôt de plainte en diffamation ou dénonciation calomnieuse pour que la mayonnaise médiatique prenne.
Vous l’aviez déjà compris en 2018 lorsque vous promettiez, sans trop y croire, d’aller jusqu’au bout dans votre plainte contre celle qui vous accusait de viol. Vous récidivez maintenant à l’encontre d’une candidate concurrente aux régionales. Est-ce le seul moyen que vous ayez trouvé pour tenter de réduire les femmes au silence?
Il en va spécialement ainsi, rappelle régulièrement la Chambre criminelle, en cas d’échanges “vifs” entre personnalités politiques: le débat d’intérêt général l’emporte sur la défense d’un intérêt particulier.
Cette fois pourtant, c’est au nom du ministère de l’Intérieur que vous menacez de signer cette plainte, ce qui, vous vous en doutez, ne manque pas de nous intriguer. On s’y perd, quand le Citoyen Darmanin annonce sur son compte twitter que le Ministre Darmanin va porter plainte contre l’opposante au Candidat Darmanin. Cela fait beaucoup de casquettes empilées sur une seule tête, n’est-ce pas? C’est pour cette raison, assurément, que vous faites ces amalgames si dangereux pour notre démocratie. Permettez-nous de vous aider à y voir plus clair.
Les organisations syndicales policières sont en colère. Après le fiasco judiciaire de l’affaire de Viry-Châtillon, un brigadier a récemment été tué dans le cadre de son service. Les syndicats ont appelé à manifester le 19 mai dernier devant l’Assemblée nationale qui débattait ce jour-là de la réforme de la justice.
Interrogée quant aux raisons de son absence à ce rassemblement, Audrey Pulvar, tête de liste du Parti Socialiste en Ile-de-France aux élections régionales des 20 et 27 juin, a notamment déclaré: “Une manifestation à l’appel de policiers en colère, soutenue par l’extrême droite, à laquelle participe un Ministre de l’Intérieur, qui marche sur l’Assemblée nationale pour faire pression sur les députés [...] en train d’examiner un texte de loi concernant la justice… c’est une image qui pour moi était assez glaçante”.
Vous en avez sûrement assez, Citoyen Darmanin, de lire et d’entendre en boucle ces propos. Remarquez, ils seraient déjà tombés aux oubliettes de l’immédiateté médiatique si vous n’aviez pas, le lendemain, publiquement clamé votre intention de déposer plainte pour diffamation à l’encontre de la police.
Pourtant, ce n’est pas la police qu’attaque Audrey Pulvar. Elle exprime son malaise face à la participation de l’exécutif à une manifestation devant le législatif débattant d’une réforme du judiciaire. S’il faut déceler dans ses propos un reproche, c’est celui adressé au ministre de ne pas respecter la séparation des pouvoirs, fondement de l’Etat de droit.
Naturellement, nous comprenons que les paroles de la candidate Pulvar vous aient chagriné. Qualifier de “glaçante” l’image de cette manifestation à laquelle votre présence vous semblait indispensable, ce n’est pas très aimable. Parler de “marche sur l’Assemblée nationale” alors que l’assaut mortifère du Capitole américain en janvier dernier est encore dans toutes les mémoires, cela n’a pas dû vous faire plaisir. Mais l’expression démocratique libre dépasse l’amabilité et la flatterie. Que cela vous plaise ou non, la liberté d’expression inclut la liberté des critiques.
Votre menace se pare des atours du droit pénal mais n’est en réalité animée que par la poursuite d’objectifs politiques. On ne porte pas plainte juste pour faire le buzz.
Or voyez-vous, Citoyen Darmanin, en matière diffamatoire, chaque mot compte. En droit pénal, le souci du détail peut faire la différence entre la liberté et l’incarcération d’un être humain. Loin de nous l’envie de nous substituer à la belle et terrible 17ème chambre correctionnelle, mais dans l’éventualité où vous penseriez sincèrement que votre plainte aurait des chances d’aboutir, nous allons vous faire gagner du temps. On se doit bien cela, entre citoyen.ne.s.
L’article 29 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse -la liberté, Citoyen Darmanin!- définit la diffamation comme “toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé”. Les propos d’Audrey Pulvar entrent-ils dans ce champ?
Prenons les choses dans l’ordre. La candidate ne relaie pas les paroles d’un tiers, elle partage son ressenti personnel sur un fait et endosse la responsabilité de ses propos. Il s’agit donc davantage d’une imputation que d’une allégation.
Cette imputation concerne un fait précis: les circonstances entourant la manifestation du 19 mai. Mais porte-t-elle atteinte à l’honneur ou à la considération? Schématiquement, l’honneur relève de son rapport à soi, la considération de son rapport aux autres. Le point commun entre les deux est l’atteinte à la dignité. Et c’est là que ça se corse.
Dans son entrevue, Audrey Pulvar émet une opinion personnelle. Elle rend cela parfaitement clair en précisant “pour moi”, “je trouve”, “je pense”... Toutes ces précautions, Citoyen Darmanin, que nous ne retrouvons guère dans vos propres déclarations, qu’elles soient orales ou twittées.
Or, les propos qui s’inscrivent dans le cadre d’une polémique doivent être tolérés et il est inutile de se draper soudainement dans sa dignité. Il en va spécialement ainsi, rappelle régulièrement la Chambre criminelle, en cas d’échanges “vifs” entre personnalités politiques: le débat d’intérêt général l’emporte sur la défense d’un intérêt particulier.
Enfin, la diffamation doit viser une personne ou un corps. Citoyen Darmanin, vous voulez porter plainte au nom du ministère de l’Intérieur, comme si les déclarations d’Audrey Pulvar visaient la police. Mais la diffamation ne peut concerner des propos qui n’atteignent qu’une profession considérée dans son ensemble et ne mettent en cause aucune personne physique ou morale déterminée.
Quant à la vidéo exhumée à point nommé, dans laquelle Audrey Pulvar dénonçait “le racisme dans la police”, vous n’ignorez pas, en bon citoyen, que des propos datant de juin 2020 sont frappés par la prescription de 3 mois applicable en droit de la presse.
De vous à nous, vous avez sans nul doute conscience de la faiblesse juridique de votre plainte. Votre menace se pare des atours du droit pénal mais n’est en réalité animée que par la poursuite d’objectifs politiques.
La justice pénale ne se réduit pas à un outil de communication; on ne porte pas plainte juste pour faire le buzz. Lorsque des personnes privées -Femen, Greenpeace, “faucheurs” d’OGM…- commettent par militantisme des infractions pénales pour s’attirer les projecteurs médiatiques, il revient au juge de décider si la liberté d’expression ou l’état de nécessité le justifient. Mais vous n’êtes pas seulement un citoyen, vous êtes aussi un ministre en exercice, chef du bras armé du pouvoir exécutif.
Le droit pénal n’est pas un épouvantail qu’on agite. C’est l’expression démocratique des valeurs sociales protégées, un ciment entre les citoyen.ne.s que nous sommes, et dont vous faites partie.
Il est là, le problème, Citoyen Darmanin: le mélange des genres. L’exécutif qui instrumentalise le judiciaire par manœuvre politicienne. Le droit pénal n’est pas un épouvantail qu’on agite pour faire rire ou faire peur. C’est l’expression démocratique des valeurs sociales protégées, un ciment entre les citoyen.ne.s que nous sommes, et dont vous faites partie.
Certes, la justice pénale est imparfaite. Vous-même ne vous privez pas de lui adresser quelques reproches. Après tout, vous participiez à une manifestation où fut scandé allègrement le slogan “Justice laxiste!”. On s’indignerait pourtant d’une plainte pour diffamation du Citoyen Dupond-Moretti au nom du ministère de la Justice.
Un État dans lequel il n’est pas permis de critiquer les institutions publiques, après tout, c’est une dictature.
Veuillez agréer, cher Citoyen Darmanin, l’expression de nos sentiments républicains.
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