“Trous de mémoire”, le grand film d’amour fragile de Paul Vecchiali, ressort en version restaurée

C’est un parc. Il y a le bleu intense de l’eau, le vert profond de l’herbe, le blanc des visages et un manteau de fourrure d’écorces. Comme un écho à La Maman et la putain, Françoise Lebrun ouvre Trous de mémoire avec un long monologue. Un...

“Trous de mémoire”, le grand film d’amour fragile de Paul Vecchiali, ressort en version restaurée

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C’est un parc. Il y a le bleu intense de l’eau, le vert profond de l’herbe, le blanc des visages et un manteau de fourrure d’écorces. Comme un écho à La Maman et la putain, Françoise Lebrun ouvre Trous de mémoire avec un long monologue. Un monologue qui serait le négatif de celui, mythique, chez Eustache : il est dit calmement, sans ivresse, presque murmuré, découpé en plusieurs plans de couleurs, loin des lits et près des arbres où les corps se déplacent. C’est comme si la voix de Véronika continuait à circuler, plus fragile encore, à la lisière de la brisure. Si lui, Paul Vecchiali, se tait d’abord beaucoup, on le devine pourtant être l’instigateur de ce rendez-vous, quand elle, Françoise, lui lit sa lettre : “Je ne me rappelle pas, aide-moi”. C’est un homme qui a oublié, qui gémit de ne pas retrouver un souvenir enfoui trop profond. Le souvenir d’une chanson, dit-il. 

La récente disparition de Paul Vecchiali a laissé un trou béant dans un territoire du cinéma français qu’on nomme bien volontiers comme étant celui de la marge. Le cinéaste allait encore un peu plus loin quand il déclarait n’être pas dans la marge, car “pas même dans le cahier”. Le distributeur La Traverse ressort cette semaine Trous de mémoire en version restaurée, un long-métrage qui refait surface comme un souvenir lointain et embué. C’est comme s’il fallait se remémorer soudain Paul, que ce souvenir enseveli était peut-être finalement ce film-là, son œuvre même. En 1984, avant le tournage, quand Françoise Lebrun demande à Paul Vecchiali si ce sera un court-métrage, il lui répond : “Je ne sais pas, on part le matin, on tourne, je joue avec toi et puis on verra où on arrive”. Alors, où arrive-t-on ? Peut-être vers le centre justement, depuis la marge, comme on cherche à atteindre le cœur.

Retrouvailles

“J’ai dit surtout que je t’aimais encore et que j’ai envie de recommencer”. Un homme et une femme causent dans la nature, tentent de se rappeler leur histoire commune qui s’est achevée il y a quatre années. Deux êtres ne cessent de se réajuster l’un à l’autre dans de longs plans au sein desquels Georges Strouvé, directeur de la photographie régulier de Vecchiali, travaille les corps avec des zooms flottants qui épousent la lumière vivante du flux du jour. Des zooms parfois déchirants de tristesse qui isolent le visage mélancolique de Françoise où la face espiègle et insondable de Paul. Ces retrouvailles difficiles ont lieu dans un terrain vague, comme s’il fallait à nouveau tout construire, y inventer les nouvelles règles du jeu pour les mettre aussitôt en pratique, dans une mise en scène qui s’écrit au moment du tournage. 

Assis·es sur un banc, Françoise et Paul s’affrontent lors d’une lute navale. La séquence n’est pas sans rappeler le face-à-face de Jean-Pierre Léaud et Anne Wiazemsky dans La Chinoise de Godard. Wiazemsky y feignait une déclaration de rupture amoureuse sur fond de musique pour mener à bien une démonstration politique : il faut mener la lutte sur deux fronts. Musique et langage. Ici, sur leur banc, Paul et Françoise, papier et crayon en main, se tirent des bombes sur l’échiquier de leurs souvenirs perdus, enchaînent les “coups dans l’eau” et n’arrivent plus à se retrouver. Jeu et langage. Dans les errances d’une parole sans cesse ébréchée, Trous de mémoire est aussi un récit sur son propre tournage, un film qui emporte avec lui le souvenir d’une journée. Une journée d’innocence où l’on cherche à pouvoir se dire les choses, encore éreinté·es d’une lute lointaine. Où l’on se donne rendez-vous par hasard, où l’on traque une dernière fois les chansons oubliées.

C’est ce trou de mémoire, somptueux, qui rappelle comme les hommes vivent dans les souvenirs des femmes et dont elles sont les gardiennes miraculeuses. Touché coulé en plein cœur. 

Trous de mémoire de Paul Vecchiali reprise en salle le 5 juillet