Trump et les républicains, une rupture qui n'en finit plus
ÉTATS-UNIS - Les déroutes s’enchaînent et pourtant son ombre plane toujours. En quelques semaines, Donald Trump a pratiquement tout perdu: il a été vaincu dans les règles de l’art à la présidentielle, ses partisans ont mis à sac le Capitole...
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ÉTATS-UNIS - Les déroutes s’enchaînent et pourtant son ombre plane toujours. En quelques semaines, Donald Trump a pratiquement tout perdu: il a été vaincu dans les règles de l’art à la présidentielle, ses partisans ont mis à sac le Capitole lui valant des critiques venues de toute part, une deuxième procédure de destitution a été enclenchée contre lui, une singularité historique... Et pourtant. Au sein de son parti, rares sont ceux qui osent couper définitivement les ponts, même à la veille de son départ de la Maison Blanche.
Alors oui, il y a eu un certain nombre de démissions au sein de son entourage proche et de son cabinet (comprendre gouvernement). Sa fidèle ministre de l’Éducation Betsy DeVos a par exemple rendu son tablier. Plusieurs communicants et responsables de la sécurité nationale ont également quitté leur poste, choqués par l’assaut des militants trumpistes donné contre le symbole de la démocratie américaine.
De glorieux anciens et des figures tutélaires du parti républicain telles que George W. Bush et Colin Powell ont également incriminé le président sortant pour les violences survenues à Washington D.C. Mais comme l’a bien noté ce dernier, ancien secrétaire d’État et conseiller national à la sécurité, chez les ténors du Grand Old Party, on ne se bouscule pas pour renier Donald Trump.
Des millions d’Américains trumpistes
“Ils ne vont jamais s’élever pour dire la vérité, ou pour critiquer Donald Trump ou les autres membres du parti”, s’est ainsi insurgé Colin Powell. “Alors que c’est ce dont nous avons besoin: nous avons besoin de gens qui disent la vérité, qui se rappellent qu’ils sont là pour les citoyens, pour le pays. Pas seulement pour être réélus.” Car c’est bien là que réside une partie de l’explication du non-divorce entre le parti républicain et Donald Trump: l’après-Trump demeurera marqué par la présidence exceptionnelle qui s’achève ce mercredi 20 janvier avec l’investiture de Joe Biden.
Et cela se voit dans la manière dont les élus républicains ont réagi aux événements du Capitole. Lors du vote pour déclencher la procédure de destitution contre Donald Trump, initié par la majorité démocrate à la chambre des représentants, seuls dix républicains ont voté avec leurs adversaires (ce qui signifie que 201 sont restés fidèles à un chef de l’État qui venait de lâcher une horde de partisans contre le siège même du Parlement américain).
Du côté de Mitch McConnell, le puissant sénateur du Kentucky et chef de la majorité républicaine au Sénat, on a bien laissé transparaître un certain agacement, mais au moment de faire valider la procédure de destitution par la chambre haute, il a freiné des quatre fers. Un moyen de garder la face en n’approuvant pas les événements historiques du Capitole, mais sans pour autant s’aliéner le soutien des millions d’Américains trumpistes.
Les militants républicains soutiennent toujours le président sortant
Car il ne faut pas l’oublier: s’il a effectivement été vaincu lors de l’élection présidentielle, et en dépit d’un mandat pour le moins critiquable (le muslim ban, les violences policières, la lutte acharnée pour détruire l’ObamaCare, le désastre écologique, la gestion de l’épidémie de covid-19, l’état de l’économie américaine...), soixante-quatorze millions d’Américains ont donné leur voix à Donald Trump. C’est-à-dire qu’il a reçu plus de bulletins que Barack Obama lors de chacune de ses élections, et même plus qu’aucun autre homme dans l’Histoire de la présidentielle (hormis Joe Biden bien sûr).
Des citoyens qui ne semblent aucunement échaudés par le style Donald Trump, qui reprennent avec enthousiasme ses théories complotistes et les développent, et qui devraient selon toute vraisemblance faire perdurer le trumpisme bien au-delà de ce 20 janvier. En effet, selon un sondage diffusé dimanche 17 par NBC, 87% des sympathisants républicains ont une vision favorable du président sortant (soit une baisse faible de 2 points par rapport à la mi-novembre). Et les deux tiers de ces électeurs sont ravis d’avoir soutenu Donald Trump à la présidentielle, quand seulement 5% d’entre eux regrettent leur choix.
Dans le même sondage, 40% des personnes interrogées -toutes couleurs politiques confondues cette fois- classent même le milliardaire parmi “les tous meilleurs” présidents de l’Histoire américaine. Rien que cela. Une seconde enquête voit même 73% des électeurs républicains assurer que Donald Trump continue de “protéger la démocratie”. Et dans un autre sondage, c’est une écrasante majorité de militants républicains qui veulent voir Donald Trump retenter sa chance dans quatre ans.
Le Trumpisme, nouvelle norme républicaine
Difficile dès lors pour les membres du parti de rompre avec un homme si populaire au sein de leur électorat. Pour ceux qui entendent briguer un nouveau mandat en tout cas, comme le suggérait Colin Powell. D’autant que le style Trump a fait tache d’huile. Dans une enquête sur le parti républicain publiée le 14 janvier par le New York Times, on voit à quel point le complotisme, le refus des faits avérés, le suprémacisme blanc ou encore une prétendue lutte contre les élites en place à Washington D.C. sont désormais des idées implantées et défendues au sein des branches locales du parti.
“Des entretiens avec plus de quarante responsables républicains locaux et fédéraux montrent qu’une aile très bruyante du parti voue un attachement pratiquement religieux au président”, écrivent les auteurs de l’article. “Et l’opposition qui émerge au sein du parti renforce même leur soutien pour Donald Trump.” En clair: il est impossible pour un élu républicain de s’opposer au milliardaire sans se retrouver ostracisé sur la scène politique.
D’autant que d’un point de vue politique, l’approbation totale du parti et de ses représentants pour les actions de Donald Trump pendant son mandat serait compliquée à dédire en quelques jours seulement pour les pontes du parti. Car si les républicains s’étaient montrés particulièrement virulents contre Donald Trump lors des primaires, leur ton a bien changé durant sa présidence, comme le montre ce montage éloquent.
This is a pretty stunning mashup.pic.twitter.com/RjVpKRnaMO
— David Axelrod (@davidaxelrod) January 5, 2021
Aujourd’hui, les États-Unis sont durablement marqués par la présidence de Donald Trump. Que ce soit à la Cour suprême ou dans les tribunaux de chaque État, dans les figures les plus exposées médiatiquement comme dans les directions locales du parti, dans les médias et les réseaux sociaux prisés de l’électorat républicain, ce sont ses soutiens et alliés qui ont pris place. Et qui vont faire perdurer son héritage.
Et ce n’est pas près de s’arrêter...
D’autant que le public y est réceptif. Au sein du parti, la part des plus modérés et donc de ceux qui pourraient pousser les républicains à abandonner le trumpisme ne cesse de se réduire. Tant et si bien que Rick Wilson, l’un des co-fondateurs du “Lincoln Project” (un lobby républicain qui s’oppose justement à Donald Trump), estime aujourd’hui qu’il “n’existe plus de parti républicain modéré” et qu’il sera “politiquement et mentalement” impossible de purger l’héritage de Trump des instances.
En effet, on observe aisément que les figures montantes favorables à Trump sont celles qui ont pu émerger ces dernières années au sein du parti. En revanche, ceux qui s’opposaient au président ont tous disparu: Justin Amash, qui était élu dans le Michigan a quitté le parti, Will Hurd, du Texas, prend sa retraite à même pas 45 ans, l’élu de Caroline du Sud Mark Sanford a perdu une primaire contre un candidat trumpiste après avoir eu des mots contre le président, comme sa collègue de l’Utah Mia Love, qui a été vaincue par un démocrate dans une circonscription pourtant favorable après avoir émis des critiques sur le locataire de la Maison Blanche, l’ancien candidat à la primaire républicaine John Kasich a décidé de soutenir Biden. Et ainsi de suite.
D’ailleurs, les dix républicains qui ont soutenu la seconde procédure de destitution contre Donald Trump ont tous été ciblés par leurs collègues. Appels à la démission, désaveu public de la part des leaders du parti, lettres ouvertes au napalm pour dénoncer leur manque de loyauté... tous ont été sévèrement pris à partie par la masse des républicains pro-Trump. Bien plus violemment à ce propos que n’importe quel démocrate.
Comme l’expliquait quelques semaines avant l’élection présidentielle le politologue Lee Drutman, le fonctionnement même des partis politiques a œuvré dans cette direction. Selon lui, au fur et à mesure de l’ascension puis de la présidence Trump, les républicains qui s’opposaient au président ont été évincés. Par les électeurs, par leurs rivaux en interne, par leurs propres envies de départ face à une situation où ils ne pouvaient plus peser. “Depuis 2010, tous ceux qui auraient pu être les modérés d’aujourd’hui ont soit choisi d’emprunter le chemin de Trump, soit de prendre leurs distances avec le parti. Et cette conjoncture fait qu’aujourd’hui, la machine qu’est le parti républicain ne peut qu’aller vers plus de confrontation avec ses adversaires, vers plus de Trumpisme.” Il concluait ainsi: “Et ce même si Trump n’est plus aux commandes.” Ce que l’intéressé a confirmé quelques minutes avant l’envahissement du Capitole, lançant à ses supporters “We’re just getting started” (“Ce n’est que le début” en français). Tout un programme.
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