“Un silence” de Joachim Lafosse : Daniel Auteuil face au poids du secret
C’est une grande maison bourgeoise dont l’armature semble avoir été bâtie sur le silence. Un silence pour mieux préserver et faire taire le malaise de la cellule familiale. Avant même de comprendre ce qui s’est produit auparavant, de démêler...
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C’est une grande maison bourgeoise dont l’armature semble avoir été bâtie sur le silence. Un silence pour mieux préserver et faire taire le malaise de la cellule familiale. Avant même de comprendre ce qui s’est produit auparavant, de démêler le drame et de revenir aux origines du traumatisme, la caméra nous dévoile par un quadrillage méticuleux ce luxueux domicile et comment ce silence s’est infiltré et guide les moindres scènes de son quotidien. On y partage des moments de vie, on mange, on dort ensemble, mais jamais on ne se cause. “On n’en cause pas”, balaye sèchement Astrid (Emmanuelle Devos) la mère de famille en évoquant un mystérieux incident survenu dans un passé qui ne paraît pourtant pas si lointain.
Si l’acte véritablement monstrueux du film restera antérieur à sa fiction, le récit mènera inexorablement son territoire domestique et celles et ceux qui le foulent à la tragédie, rappelant À perdre la raison qui révélait Joachim Lafosse à l’international en 2012.
Dans les deux cas, il s’agit moins pour son auteur de démêler de façon dramaturgique des événements juridiques que d’observer le comportement des personnes impliquées. Étudier le mécanisme d’une famille hantée par les fantômes du passé, de révéler sa perversion en tant que temple du secret et complice par le silence. Mais après la neutralité propre au fait divers d’À perdre la raison, hésitant entre le réalisme social et une distanciation glacée, Lafosse assume ici parfaitement le caractère mythologique de son récit qu’il conduit vers la théâtralisation et l’écarte ainsi immédiatement de tout naturalisme. Bien qu’inspirés par l’affaire de l’avocat Victor Hissel, condamné pour détention de vidéos pédopornographiques, les personnages sont ramenés aux figures de la tragédie grecque, comme une transposition moderne des Atrides, cette famille dont le destin est frappé par les pires atrocités (héritière directe de la famille royale, la mère s’appelle Astrid).
Secrets de famille
Le film irrigue et renforce sa mythologie par le choix de son duo de comédien·nes ultra-prestigieux·euses : Emmanuelle Devos et Daniel Auteuil. Tout en distance, déjouant l’idée de composition, les deux interprètes campent moins un personnage que son incarnation symbolique et refuse un peu plus la transposition du fait divers. En avocat respecté cheveux grisonnants plaqués en arrière, fumant des cigarillos et portant des chemises blanches à la manière de BHL, Auteuil est terrifiant de banalité et campe de loin son meilleur rôle depuis Caché.
D’une lucidité cruelle mais jamais sentencieuse, Lafosse accentue un peu plus la théâtralisation du film en opérant une délimitation précise de son espace. Derrière le portail de la maison familiale, une foule de journalistes et photographes campent jour et nuit, attendant le moindre sursaut dans l’affaire. De cette maigre frontière, le cinéaste spatialise un face à face de la scène à la salle, du privé au public, et comment ces mondes vont nécessairement se rejoindre.
Un silence de Joachim Lafosse, avec Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Jeanne Cherhal (Bel., Fr., 2024, 1 h 39). En salle le 10 janvier.