Une chute qui tombe à pic

Le film va atteindre sans encombre le million d’entrées – et dépasser ainsi La Vie d’Adèle, précédente Palme d’or française à avoir cumulé plus d’un million de spectateurs. Il peut espérer même, porté par un bouche-à-oreille enthousiaste, franchir...

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Le film va atteindre sans encombre le million d’entrées – et dépasser ainsi La Vie d’Adèle, précédente Palme d’or française à avoir cumulé plus d’un million de spectateurs. Il peut espérer même, porté par un bouche-à-oreille enthousiaste, franchir le million cinq – et dépasser ainsi Entre les murs de Laurent Cantet, autre palme française très succesfull en 2008. Voire rattraper le million neuf de Parasite de Bong Joon-ho (2019), à ce jour meilleur score pour une Palme d’or dans les années 2000.

À l’échelle du cinéma de Justine Triet, cela veut dire que le film peut amasser deux fois plus de spectateurs que Victoria (2016, 650 000 entrées, son plus grand succès as far), trois fois plus que Sibyl (2019), entre 40 et 50 fois plus que La Bataille de Solferino (2013).
Les enseignements à tirer d’une telle réussite commerciale sont divers. D’abord, ce succès dégage l’horizon, quelque peu embué, du cinéma d’auteur français, qui même auréolé de prestigieux accessits internationaux peinait ces derniers temps à fédérer un public un peu large sur le territoire hexagonal (le palmé Titane, les primés à Venise Saint-Omer ou L’Événement). Il ne faut évidemment pas se méprendre. Ne pas considérer qu’il y a une corrélation automatique entre la réussite artistique et la réussite commerciale. L’Île rouge de Robin Campillo par exemple, en dépit de ses décevantes 150 000 entrées, est à nos yeux, avec celui de Justine Triet, l’autre très grand film français de l’année. Mais qu’un tel succès soit possible, intervienne à un moment où le seuil des 500 000 entrées semblait le plafond symbolique d’un succès art et essai français (alors que de Kore-Eda à Bong Joon-ho, certains cinéastes asiatiques pouvaient facilement prétendre au double), fait l’effet d’une recharge d’ambition, d’optimisme et d’espoir pour tout le secteur. Qu’un film avec une valeur d’affichage assez faible, à rebours des a priori majoritaires sur l’attractivité des films (un récit très sombre, étalé sur deux heures trente, interprété par des acteurs faiblement bankables), puisse obtenir un tel triomphe est un encouragement salutaire à l’audace.

Ce succès provoque aussi un soulagement. Celui de voir s’envoler une crainte née dans les quelques jours qui ont suivi l’obtention de la Palme. Le potentiel public du film n’a été nullement affaibli par le bashing politique qui a sanctionné le discours de Justine Triet lors de la cérémonie de clôture. On aurait pu craindre qu’une obscure solidarité de convictions politiques scinde le public. Que la critique de l’autoritarisme du gouvernement et de la réforme des retraites par la cinéaste détourne du film les spectateurs en affinité avec les agissements d’Emmanuel Macron. Mais manifestement ce n’est pas le cas. Le désir que suscite le film et sa puissance d’attraction ont surmonté sans peine le pénible dénigrement de l’attitude supposément ingrate de la cinéaste et au-delà de toute une catégorie d’artistes supposément nantis, orchestré par des responsables politiques de droite au printemps dernier.


Enfin, il est réjouissant que ce succès joue un rôle significatif dans le dispositif vertueux du financement du cinéma en France reposant essentiellement sur des mécanismes redistributifs autonomes – et pas sur des subventions publiques comme l’a laissé croire abusivement la polémique du printemps passé. C’est ce modèle qu’il est plus que jamais fondé de défendre, auquel le cinéma de Justine Triet contribue désormais grandement et dont il procède.

Édito initialement paru dans la newsletter cinéma du 30 août 2023. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !