Vaccin et intérêt général: Macron piégé par l'individualisme qu'il a promu
L’invocation de l’intérêt général apparaît de plus en plus comme la pierre angulaire de la rhétorique vaccinale de l’exécutif. Aux antipodes de la philosophie qui a présidé à ses décisions et celles des familles politiques dont il est issu,...
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L’invocation de l’intérêt général apparaît de plus en plus comme la pierre angulaire de la rhétorique vaccinale de l’exécutif. Aux antipodes de la philosophie qui a présidé à ses décisions et celles des familles politiques dont il est issu, elle ne doit pas éluder une trentaine d’années d’us et coutumes politiques tournés vers la satisfaction d’individualismes et d’intérêts particuliers multiformes qui ont contribué au délitement du lien social.
Si autant de Français battent le pavé contre la vaccination, c’est qu’ils ont intériorisé la quintessence individualiste du message politique dominant, notamment le droit à “disposer de son corps”.
Piqué au vif par la montée inédite du mouvement anti-pass sanitaire et anti-vaccination, le ministre de la santé Olivier Véran déclare à l’Assemblée nationale, le 21 juillet: “Il est question de liberté et de ce qu’est la liberté individuelle face aux exigences du bien commun, de l’intérêt général et de la santé publique”. Quatre jours plus tard, le président de la République Emmanuel Macron a des mots semblables lors de son déplacement en Polynésie française. “La liberté où je ne dois rien à personne n’existe pas (…) Ma liberté ne s’arrête que là où celle de l’autre commence mais elle repose sur un sens du devoir réciproque”, martèle-t-il.
Bien qu’animée de bonnes intentions eu égard à la gravité de la situation sanitaire, cette phraséologie bien ciselée est loin de refléter les orientations de l’actuel exécutif et celles des précédents.
Posture libérale et individualisme macronien
Affichant une certaine frilosité lorsque d’autres homologues occidentaux se hâtèrent à la mise au point d’un vaccin contre le virus du Covid-19 pour atteindre l’immunité collective, Emmanuel Macron se contenta de prôner la “responsabilité individuelle”. Jusqu’à la fin de l’hiver 2020, celle-ci constitua le leitmotiv de sa stratégie sanitaire: “Nous avons besoin du sens de responsabilité de chacun (…) La réussite dépend du civisme de chacune et chacun d’entre nous”, insistait-il.
L’on peut, dès lors, se demander dans quelle mesure la posture libérale du chef de l’État ne dicta pas, dans une sorte d’élan auto-persuasif, cette référence appuyée à la souveraineté individuelle. Bien qu’il ne se réclama jamais ouvertement du libéralisme -ses écrits n’en font pas mention-, le chef de l’État se plaît à se jouer de ce positionnement que lui prêtent les analystes politiques, se donnant volontiers à voir comme adepte d’un réformisme tous azimuts, prompt à détricoter le code du travail, refondre l’assurance-chômage et le régime des retraites…
Emmanuel Macron se contenta de prôner la “responsabilité individuelle” jusqu’à la fin 2020, un leitmotiv de sa stratégie sanitaire.
Libéral ou non, Emmanuel Macron n’en demeure pas moins un adepte de la “société des individus” théorisée par Norbert Elias. Il aime à vanter la réussite, quitte à s’attirer les foudres des classes laborieuses, des retraités, des chômeurs… Sa très controversée réplique à l’endroit d’un horticulteur sans travail, “je traverse la rue, je vous trouve un emploi”, résume à elle seule toute la quintessence d’une pensée qui vise à redéfinir le contrat social moins sur l’affirmation de l’intérêt général que sur la promotion de l’individu.
L’individualisme macronien trouve son expression éclatante dans le disruptisme précoce qui caractérise sa relation à l’action politique. Maniant parfaitement les codes de la bourgeoise au point d’être parvenu à gommer le clivage gauche-droite qui sapait sa cohésion, Emmanuel Macron sait également s’en affranchir. Membre du Parti socialiste jusqu’en 2009 et soutien de François Hollande lors de la présidentielle de 2012, il n’eut aucun scrupule à rompre la bienséance partisane en se portant candidat sans en référer à ce dernier qui lui confia le poste de ministre de l’Économie au lendemain de la démission d’Arnaud Montebourg. Un affront qui lui valut de vives critiques de la part de ses camarades: “Il porte maintenant une responsabilité historique: le fait qu’il ait choisi d’être candidat hors des primaires nous assure de manière à peu près certaine qu’il n’y aura pas de candidat de gauche au second tour”, s’indigna Benoît Hamon.
“Devenir soi”: du corps social au corps individuel
La montée de l’individualisme sous le visage d’un messianisme libérateur, sorte d’avatar des “droits de l’homme” au service d’une économie de marché sans limites, est symptomatique d’une évolution globale, exacerbée par la fin de la guerre froide et le vide idéologique et philosophique qu’elle provoqua. Jusqu’à ce grand tournant, la vie politique et syndicale encore intense et l’engagement en faveur de “grandes causes” de droite comme de gauche, qui conféraient au débat un réel intérêt, constituaient autant d’espaces de solidarité. La fin des années 1990 et l’avènement d’internet marquent un vrai changement. Il faut “devenir soi” prophétise Jacques Attali sur un mode rhétorique emprunté au développement personnel. “Je rêve d’une société où chacun pourrait exercer l’activité qu’il souhaite”, confesse au Monde du 3 avril 2015 le mentor d’Emmanuel Macron, figure emblématique de la synthèse sociale-libérale à l’œuvre depuis trois décennies.
Paradoxale et à contre-courant, l’injonction à “devenir soi” survient dans une France où aucun des gouvernements successifs ne parvint à vaincre un chômage endémique qui n’eut de cesse de dégrader le niveau de vie de la population et d’accroître les inégalités sociales et territoriales. Une évolution qui a exacerbé le sentiment de défiance à l’égard des autorités tandis que la crise de la représentation (fragmentation politique, abstentionnisme) s’est amplifiée et que les “affaires” politico-financières (Dumas, Tibéri, Cahuzac, Balkany, Fillon, Sarkozy, Benalla…) ont connu une explosion record sous l’effet d’une médiatisation grandissante de la vie politique.
Libéral ou non, Emmanuel Macron n’en demeure pas moins un adepte de la “société des individus” théorisée par Norbert Elias.
Cet appel politique à l’émancipation du soi, sur fond de déréglementation économique, s’accompagne d’un surinvestissement des sujets sociétaux comme le développement durable, la satisfaction des revendications communautaires multiformes (mémorielles, culturelles…), la laïcité, la PMA/GPA, la fin de vie. Il flatte l’individu, caresse son ego, donnant à voir la réalité sous le prisme de représentations particularistes et catégorielles. Au centre de ces représentations, l’importance accordée au droit à “disposer de son corps” comme forme absolutisée de la liberté individuelle, tient lieu de point de crispation paroxystique tant elle interpelle les consciences et aiguise les sensibilités. Plus que sociétal, ce credo revêt désormais une importance médicale décisive. Plusieurs années après la loi Leonetti qui avait proscrit l’acharnement thérapeutique et reconnu le droit du malade à refuser un traitement et la loi Claeys-Leonetti qui a permis à ce dernier à demander une sédation jusqu’au décès, la dernière proposition de loi du député Olivier Falorni “donnant le droit à une fin de vie libre et choisie” ou encore l’adoption en juin de la PMA montrent toute l’importance de cette évolution qui prend ancrage dans l’édifice institutionnel français.
La transubstantiation du corps social en corps individuel pose problème. Comment parviendra-t-on à rétablir “l’intérêt général” lorsque l’on s’est ingénié des années durant à prôner l’individualisme à coup d’incitations et de lois qui ont empiété jusque sur le terrain de la santé? Si autant de Français battent le pavé contre la vaccination, c’est qu’ils ont intériorisé la quintessence individualiste du message politique dominant et notamment le droit à “disposer de son corps”. Dès lors, la recherche louable et salutaire de l’immunité collective au travers d’une vaccination laissée à l’appréciation de chacun s’avère un chemin semé d’embûches qui renvoie l’exécutif à ses contradictions et incohérences.
“La France face au défi de l’identité” de Maxime Ait Kaki, éditions du cygne, en savoir plus ici
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