Varda, Mandico, Jarmusch : plongez dans l’imaginaire des cinéastes avec le livre “Scrapbook”
Comme le rappelle Matthieu Orléan dans son introduction, le scrapbook (formé à partir des termes anglais scrap, “rebut”, et book, “livre”) naît au XXe siècle avec l’essor de la photographie et donne lieu à une pratique à la croisée de l’album...
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Comme le rappelle Matthieu Orléan dans son introduction, le scrapbook (formé à partir des termes anglais scrap, “rebut”, et book, “livre”) naît au XXe siècle avec l’essor de la photographie et donne lieu à une pratique à la croisée de l’album photo et du journal intime. Ce bel ouvrage propose de compiler les plus beaux scrapbooks réalisés par plusieurs artistes de la deuxième moitié du XXe siècle, principalement des cinéastes. Une manière d’interroger la relation entre cette pratique intime et le processus créatif de Stan Brakhage, Derek Jarman, Jim Jarmusch, Pedro Costa, Agnès Varda ou encore Bertrand Mandico.
Retour du refoulé
Le scrapbook est un art pauvre. Mais c’est grâce à cette pauvreté que les cinéastes peuvent se débarrasser des contraintes économiques et techniques des tournages et s’exprimer spontanément en suivant leurs intuitions immédiates. Alors que le langage écrit repose sur une élaboration et une syntaxe rigoureuses, qui peuvent verrouiller et déterminer les significations, ces associations poétiques permettent d’exprimer des désirs et des idées avant qu’ils ne soient précisément formulables. Les pages qui en découlent sont comme branchées au subconscient des cinéastes et s’inscrivent ainsi dans le prolongement du surréalisme.
Au fil des pages, on comprend que chaque artiste investit cette pratique selon sa propre sensibilité. Alors que les scrapbooks d’Agnès Varda s’apparentent à des célébrations intimes et amoureuses de Jacques Demy, ceux de Stan Brakhage et de Jane Wodening permettent de prolonger la pratique du cinéaste expérimental et d’être au plus près de la matérialité des images. Ceux de Jim Jarmusch construisent quant à eux une recherche à part entière, sans rapport frontal avec sa pratique de cinéaste. À ce titre, Matthieu Orléan souligne que ces collages se tressent aux films selon différentes logiques temporelles : “Des films, ils sont à la fois le passé (le lieu de leur esquisse) et le futur (le lieu de leur archive), mais aussi leur caisse de résonance.”
Collage, mon beau souci
Si le scrapbooking intéresse tant les cinéastes, c’est sans doute que cette pratique du collage a directement à voir avec l’une des spécificités du septième art : le montage. En effet, le collage transpose spatialement l’acte de montage. Comme Godard l’a souligné à plusieurs reprises, la juxtaposition de deux images permet d’en créer une troisième inédite. La pensée naît ainsi de ce rapport, qui peut parfois ressembler à un choc violent entre des éléments hétérogènes, sans se réduire à une interprétation univoque. Par le collage, les cinéastes semblent alors se ressaisir de ce potentiel créatif poétique permis par le montage, que le cinéma traditionnel assujettit trop souvent à la logique narrative.
Un peu à la manière de Godard qui découpait le corps de Macha Méril dans la scène d’ouverture d’Une femme mariée, Mandico découpe les corps extraits de photogrammes de films, de magazines vintage ou de revues érotiques, pour modeler un Frankenstein de papier. À travers ses scrapbooks, il préfigure, prolonge et accompagne sa pratique cinématographique qui n’a cessé de mêler les influences hétéroclites et de déjouer les frontières du masculin et du féminin.
La pensée sauvage
Des images de films, des publicités, des timbres, des cartes postales, de la pellicule, des cartes, des photographies de guerre ou de magazines people se trouvent ainsi combinés ensemble sur la même page d’un carnet. L’artiste se fait bricoleur·euse en recyclant les débris et fragments du monde afin de créer un nouvel ensemble inédit qui n’efface pas pour autant la nature de chaque élément original.
Dans La Pensée sauvage, Lévi-Strauss liait cette notion de bricolage à une dimension sociale et politique. Grâce à l’agencement d’éléments issus de cultures nobles et populaires et en liant les images intimes aux images universelles, cet art mineur peut fonder une nouvelle image du collectif en subvertissant toutes les normes et diktats dominants.
Matthieu Orléan décrit particulièrement bien la puissance insurrectionnelle des scrapbooks utopiques de Derek Jarman, où des stickers de manifs anti-Thatcher et des slogans queer croisent les images issues de ses propres films: “Le scrapbook est à son identité queer ce que le sketchbook ou le scénario (linéaire, causal, structuré, sobre) serait à une identité straight.” Les contextualisations et analyses de chaque corpus sélectionné rédigées par Matthieu Orléan se dévoilent alors particulièrement éclairantes pour appréhender la richesse d’une pratique pourtant peu reconnue.
Scrapbooks. Dans l’imaginaire des cinéastes de Matthieu Orléan, delpire & co, 2023, 49 euros.