“Via Margutta” de Mario Camerini : quand le cinéma italien filmait la faim

Les cinéastes italiens des années 50 à 70 sont les filmeurs de la misère. Il suffit de fréquenter les boutiques transalpines à touristes pour le vérifier : pas un endroit où l’on ne trouve un poster ou un calendrier faisait défiler toutes les...

“Via Margutta” de Mario Camerini : quand le cinéma italien filmait la faim

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Les cinéastes italiens des années 50 à 70 sont les filmeurs de la misère. Il suffit de fréquenter les boutiques transalpines à touristes pour le vérifier : pas un endroit où l’on ne trouve un poster ou un calendrier faisait défiler toutes les stars nationales des années 50-60 en train de manger des pâtes ou plutôt de s’en empiffrer (Sophia Loren, Alberto Sordi, Toto, Vittorio Gassman, etc.).

Aujourd’hui, ça fait sourire. Mais manger, trouver de quoi manger est l’une des principales préoccupations des Italiens depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et le cinéma italien – souvent sur le mode du rire, mais pas toujours – l’a montré des dizaines et des dizaines de fois.

Le Voleur de bicyclette, considéré comme le parangon du film néoréaliste, qu’est-ce, sinon l’histoire de personnes sans travail qui cherchent de quoi gagner de l’argent pour manger ? Dans Païsa de Rossellini, les gens cherchent de la nourriture. Dans Une Vie difficile de Dino Risi, l’ancien Résistant Alberto Sordi et sa compagne Lea Massari ont tellement faim, le soir de l’élection qui va faire passer l’Italie de la monarchie à la République, qu’ils acceptent d’aller dîner chez des nobles, évidemment favorables au roi. Mais ils ont tellement faim qu’ils préfèrent ne rien dire avant que la proclamation de la République ne tombe à la radio. Dans La Ricotta de Pier Paolo Pasolini, l’un des figurants affamés d’un film sur la passion du Christ s’étouffe avec son morceau fromage (ce qui valut à PPP d’être condamné pour blasphème par la justice républicaine).

On pourrait ainsi multiplier les exemples (on en trouve aussi dans Nous nous sommes tant aimés d’Ettore Scola ou dans La Strada de Fellini). La faim, voilà le 1er ennemi. Finalement, assez étrangement, mais ce n’est pas étrange du tout, on pourrait presque dater la fin de cette obsession à La Grande bouffe de Marco Ferreri, où quatre bourgeois se suicident par sur-nutrition… Une page, symbolique, est tournée.

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Ce n’est pas gai, la bohème

Via Margutta (1960), qui ressort en salle ce 22 septembre, décrit la vie de bohème dans la rue du même nom, au centre de Rome, devenue aujourd’hui un quartier d’antiquaires et de marchands d’art très chics, entre la Piazza del Popolo et la Piazza di Spagna – une petite rue où vécurent d’ailleurs longtemps Fellini et Giulietta Masina. Dans les années 50, un peu comme Saint-Germain-des-Prés, c’est le quartier des peintres faméliques qui font la fête, couchent les uns avec les autres, à la fois désespérés et farceurs. C’est du moins ce que veut montrer la 1ère partie (pas la meilleure) du film de Mario Camerini, surtout connu, il faut bien le dire, pour ce qu’on appelle les films de “téléphones blancs”, des comédies sirupeuses qu’on tournait sous le fascisme pour ne choquer personne. Dans cette description de la bohème romaine, on trouve pas mal de clichés sur les artistes (ces paresseux), mais on cause aussi de sexe, d’attitude des mâles, d’homosexualité larvée, de jambes qui se glissent entre les cuisses des filles lors de danses…

La seconde partie est plus intéressante, parce que le scénario décrit l’envers du décor, de manière à la fois crue et discrète. Allusivement crue. Les artistes vendent souvent leur corps pour survivre, en échange de la vente de leurs toiles (souvent des croûtes). Ce n’est pas gai, la bohème. Le film culmine dans une scène qui devrait être drôle mais qui vire au fiasco : les “artistes” s’invitent dans une fête familiale à la campagne pour pouvoir manger, mais leur comportement fantasque déclenche l’ire des fermiers et du curé du village.

Parmi les acteurs principaux du film, il y a le Français Gérard Blain, qu’on surnommait alors le “James Dean français” (les dialogues y font malicieusement allusion) et fut un compagnon de route de la Nouvelle Vague (on le vit surtout chez Chabrol et il fut le 1er mari de Bernadette Lafont). Petit, râblé, nerveux, à fleur de peau, il est un peu le troisième acteur français “romain” de l’époque, avec Jean-Louis Trintignant et Jacques Perrin, avec un je-ne-sais-quoi de plus populaire. Il tranche résolument avec une distribution italienne plus convenue, en dehors peut-être de la belle et mélancolique Antonella Lualdi, dans l’un de ses plus rôles.

Ce film intelligent, longtemps (in)connu en France sous le titre imbécile de La rue des amours faciles, retrouve son titre original et toute sa beauté mortifère, avec une copie superbement restaurée par la remarquable cinémathèque de Bologne.

Via Margutta, de Mario Camerini avec Antonella Lualdi, Gérard Blain, Yvonne Furneaux, Franco Fabrizi (It./Fr., 1960, 1h45). Sortie en salle le 22 septembre.

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