Viande: les arguments de Julien Denormandie contre le maire de Lyon sont-ils valables?
POLITIQUE - Il persiste et signe. Alors que Matignon goûte peu ces “polémiques stériles”, le ministre de l’Agriculture Julien Denormanie n’en finit pas de remettre des pièces dans la machine, que ce soit sur RTL ou dans les colonnes du Parisien....
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POLITIQUE - Il persiste et signe. Alors que Matignon goûte peu ces “polémiques stériles”, le ministre de l’Agriculture Julien Denormanie n’en finit pas de remettre des pièces dans la machine, que ce soit sur RTL ou dans les colonnes du Parisien. L’objet de son courroux, partagé par Gérald Darmanin? La mesure prise par le maire EELV de Lyon Grégory Doucet: un menu sans viande dans les cantines pour se conformer au protocole sanitaire venant du ministère de l’Éducation nationale concernant les conditions de service des repas à l’école.
“Sans viande”, ne signifie pas ici végétarien, puisque des œufs et du poisson pourront être proposés. Une mesure absolument identique à celle prise au mois de mai par le précédent maire (LREM) de Lyon, Gérard Collomb, et pour exactement les mêmes raisons. Or, cette fois, elle se trouve contestée par plusieurs ministres et donne lieu à une division au sein du parti présidentiel. Pour alimenter sa critique, le ministre de l’Agriculture, qui a saisi le préfet du Rhône, s’appuie sur plusieurs arguments, d’ordre social, nutritionnel ou encore sanitaire. Le HuffPost fait le point sur leur pertinence à la lumière de ce que l’on sait sur le sujet.
“Cette décision est aberrante d’un point de vue nutritionnel”
Premier argument servi par le ministre, cette décision ferait courir un risque nutritionnel aux petits Lyonnais. Or, comme expliqué plus haut, il n’est pas question de priver les élèves de protéines animales, puisque des œufs et du poisson seront servis. Par ailleurs, cela fait plusieurs années que les ONG alertent sur une consommation excessive de protéines animales par les enfants. En 2018, Greenpeace avait par exemple comparé les recommandations de l’Agence Nationale Sécurité Sanitaire Alimentaire Nationale (Anses) en la matière à celles du Groupe d’étude des marchés restauration collective et nutrition (GEM-RCN), un organisme rattaché à Bercy et donnant les orientations pour l’approvisionnement des cantines. Résultat: les enfants consomment (beaucoup) trop de protéines animales.
“D’après l’étude INCA 3 [de l’Anses], les enfants jusqu’à 10 ans consomment en moyenne entre 200 et 400 % des Apports Nutritionnels Conseillés (ANC qui sont déjà, par sécurité, supérieurs aux besoins). Un constat partagé par l’étude ELANCE, qui a suivi plusieurs dizaines d’individus depuis leur naissance jusqu’à leurs 20 ans. Un fort apport en protéines animales, et en particulier celles issues des produits laitiers, est associé à des risques de surpoids et d’obésité plus tard”, notait Greenpeace France. Difficile, dans ces conditions, de hurler au scandale nutritionnel, d’autant que cette mesure, comme celle prise précédemment par Gérard Collomb, n’est que temporaire.
“D’un point de vue social, c’est une honte”
Autre point soulevé par le ministre de l’Agriculture, cette mesure temporaire serait une “honte sociale”, puisqu’elle priverait les enfants les plus pauvres d’accès à la viande, ce que la cantine permet. Or, c’est un point que conteste catégoriquement sa collègue à la Transition écologique, Barbara Pompili. “On entend aussi que des enfants de milieux un peu défavorisés mangeraient moins de viande que les autres, des études montrent l’inverse”, affirme la ministre.
Alors, qui dit vrai entre les deux? Encore une fois, les conclusions de l’Anses semblent contredire Julien Denormandie, et cela ne date pas d’hier. Voici par exemple ce qu’on pouvait lire dans un rapport d’étude publié dès 2012: “chez les enfants, c’est essentiellement la consommation de viande qui est plus élevée quand le niveau socioéconomique est plus bas: ceux vivant dans un foyer de niveau socioéconomique bas en consomment en moyenne entre 74 et 82 grammes par jour (selon la variable de niveau socioéconomique considérée) tandis que ceux vivant dans un foyer de niveau socioéconomique élevé en consomment environ 69 grammes par jour”. Notons que dans tous les cas, ces portions sont plus élevées ce qui est recommandé par le programme national nutrition santé.
C’est notamment en partant de ce constat que beaucoup militent pour favoriser les légumes à la cantine, dans la mesure où il est également admis que les milieux les plus défavorisés sont les plus exposés à l’obésité, une pathologie qui n’est pas vraiment causée par un excès de légumes. “Dès l’âge de six ans, les enfants d’ouvriers sont 4 fois plus touchés par l’obésité que les enfants de cadres: 16 % sont en surcharge pondérale et 6 % sont obèses contre respectivement 7 % et 1% chez les enfants de cadres”, notait en septembre 2019 le ministère de la Santé.
“Nous ne sommes plus dans une situation d’urgence”
Enfin, lorsque Julien Denormandie est renvoyé à ce que Gérard Collomb avait décidé au mois de mai, voici ce que son entourage a répliqué à Libération: “La situation n’est pas la même entre mai 2020 et février 2021. Il y a une vraie différence. Nous ne sommes plus dans une situation d’urgence, face à une situation exceptionnelle comme en mai”. Même son de cloche au Parisien: “On ne peut pas comparer! On était juste à la sortie du confinement, dans la gestion de court terme. Aujourd’hui, on est dans une situation où l’on doit malheureusement vivre avec le virus”. En résumé, ce qui était valable au mois de mai ne le serait plus aujourd’hui, en raison d’une situation sanitaire qui serait moins urgente. En dehors du fait qu’à la fin du printemps le taux d’incidence du Covid-19 était à moins de 10 alors qu’aujourd’hui la moyenne nationale s’établit à 201,7, il convient de regarder ce qui était préconisé par le protocole sanitaire de l’Éducation nationale qui est, rappelons-le, la raison invoquée par Grégory Doucet.
En février, le protocole sanitaire a en réalité été renforcé dans les écoles, à cause de la menace des variants. Et il comprend toujours la distanciation de deux mètres “entre groupes à la cantine” ainsi qu’une vigilance accrue sur le “brassage” des élèves, notamment à la pause du déjeuner. “Dans le premier degré, le non brassage entre élèves de classes différentes doit impérativement être respecté”, peut-on lire dans le protocole. Or, c’est justement pour fluidifier le brassage des élèves que ce menu unique a été décidé par Grégory Doucet, comme Gérard Collomb avant lui. Quant au caractère urgent (ou non) de la situation sanitaire, les mesures de reconfinement décidées ou à venir devraient a minima inciter Julien Denormandie à la prudence.
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