“Vivre autrement le cinéma” : rencontre avec Nathanaël Karmitz, cocréateur de l'Hotel Paradiso
Est-ce un hôtel que l’on a fait entrer dans un cinéma, ou un cinéma que l’on a fait entrer dans un hôtel ? C’est toute la question trouble et qui demeura irrésolue de l’Hotel Paradiso. Ouvert depuis le 10 mars au-dessus du mk2 Nation à Paris,...
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Est-ce un hôtel que l’on a fait entrer dans un cinéma, ou un cinéma que l’on a fait entrer dans un hôtel ? C’est toute la question trouble et qui demeura irrésolue de l’Hotel Paradiso. Ouvert depuis le 10 mars au-dessus du mk2 Nation à Paris, ce tout nouveau lieu propose dans plus d’une trentaine de chambres (additionnées de deux suites dont l’une dotée d’une mini-salle de cinéma) la possibilité de récréer, seul ou en petit groupe, l’expérience d’une salle de projection tout en conservant les services privilégiés d’un hôtel. Pour cela, il suffit de se connecter dans sa chambre à une tablette centrale reliée au rétroprojecteur et aux enceintes qui donnent accès à toute la diversité des services de SVOD actuels (Netflix, Mubi, MK2 Curiosity, Le Vidéo-Club Carlotta, Disney+). La toile de l’écran descend et plonge la pièce dans le noir. La projection peut commencer. Président de mk2 et co-créateur du projet, Nathanaël Karmitz travaille avec ses équipes depuis plusieurs dizaines d’années sur l’hybridité de la salle de cinéma. Ni substitut, ni modernisation, il envisage l’Hotel Paradiso comme un prolongement de ce qu’est la salle de cinéma.
Pouvez-vous nous parler de la genèse du projet Paradiso ? Comment est venue l’idée et quel a été le déclic pour entreprendre sa réalisation ?
Il y a plusieurs choses. La première donnée est, disons, volumétrique et se place dans un contexte immobilier parisien un peu particulier. Le mk2 Nation est cinéma historique du quartier qui a la caractéristique d’être situé dans ce qu’on appelle une dent creuse. C’est-à-dire avec deux immeubles à sa droite et à sa gauche montés plus haut que lui. Nous avions donc la possibilité de construire au-dessus. Par ailleurs, c’est l’un des derniers cinémas de notre réseau où on se prenait la tête sur comment le rénover, le mettre aux normes, etc. Une question s’est alors naturellement présentée à nous : comment utiliser ce volume disponible pour étendre cette idée du cinéma ? Le deuxième sujet, c’est ce que ça fait près de quinze ans que l’on travaille sur le concept de Paradiso. Ça a commencé en 2010 avec le Germain Paradisio qui était, avec l’arrivée des projecteurs numériques, la première salle de cinéma privée à la demande. Ensuite, il y a eu les grands événements Cinéma Paradiso au Grand Palais et au Louvre. On travaille depuis assez longtemps déjà sur cette idée d’hybridation à partir du cinéma entre la gastronomie, la fête et le jeu. Cette idée de vivre le cinéma autrement. En réunissant ces deux idées, on a décidé, il y a maintenant sept ans, de démarrer ce projet un peu fou.
Les travaux ont duré près de trois ans. Quelles ont été les difficultés auxquelles vous avez dû faire face ?
Au-delà des obtentions de permis de construire qui prennent un temps fou, nous n’avons pas été confrontés à une difficulté particulière. Si ce n’est, comme pour beaucoup de projets que l’on mène en général, de faire face aux réactions sceptiques lorsque l’on présentait le projet. Aussi bien du côté des pompiers que des hôteliers, tout le monde nous prenait un peu pour des barges, il y a six ans. On a dû donc expliquer patiemment notre concept et faire preuve de pédagogie.
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Le Paradiso offre la possibilité de recréer dans une chambre ce que la salle de cinéma ne peut plus nous offrir depuis quelques mois. Son ouverture semble arriver à un moment particulièrement favorable.
On ne s’en réjouit pas car notre premier métier, c’est d’être exploitant de salles. Notre premier souhait reste donc la réouverture des salles. Et puis ça ne remplace pas le cinéma. C’est une offre qui permet de vivre différemment le cinéma et qui prendra pleinement sa cohérence une fois le cinéma rouvert. Je rappelle que c’est un projet qui a été ni pensé ni adapté par rapport à la situation sanitaire. En revanche, c’est vrai que la COVID a accéléré des mutations dans la culture et que ce projet tombe bien par rapport à certaines attentes et désirs des gens. Pour les Parisiens, l’Hôtel Paradiso offre une occasion de sortie légale, ce qui est rare en ce moment. Plus généralement, il offre une perspective d’avenir. Cet espoir que l’on peut embrasser la crise avec l’idée de changement, que les choses vont bientôt revenir à la normale.
A la fois dans la pluralité des plateformes proposées et la direction artistique de l’hôtel, le Paradiso semble vouloir réunir dans le même lieu une offre grand public et un cinéma plus confidentiel. C’était important pour vous de vous adresser à un public cinéphile dans le sens le plus large possible ?
Oui, c’est le concept même de mk2. C’est ce que l’on va trouver partout en termes de programmation dans nos salles. Ces deux extrêmes ont toujours été au cœur de mk2 et on ne veut surtout pas les opposer. A l’intérieur du Paradiso, on retrouve l’ensemble des éléments philosophiques de notre programmation. L’idée, c’est d’être exposé aux œuvres et d’avoir envie d’aller plus loin. C’est une porte d’entrée vers l’altérité et la curiosité.
Il y a un lieu particulièrement marquant, qui est le sommet d’hybridité du Paradiso. La pièce nommée "La Loge", dans laquelle une chambre de l’hôtel est séparée d’une véritable salle de cinéma du mk2 Nation par une grande vitre panoramique. Le spectateur est simultanément à l’hôtel et dans une salle de cinéma. Comment définiriez-vous ce lieu ?
C’est un endroit qui fait le trait d’union de ce concept d’hôtel-cinéma puisque c’est à la fois l’hôtel qui rentre dans le cinéma, et le cinéma qui rentre dans l’hôtel. C’est une loge privative qui nous installe à la place du projectionniste et dans laquelle on pourra visionner les films à l’affiche sans être ni vu ni entendu du reste de la salle, tout en ayant accès aux différents services de l’hôtel. Le lieu donnera également la possibilité, la nuit, une fois le public parti, de diffuser ce que l’on veut sur l’écran. On devient le programmateur de sa propre salle de cinéma.
La salle de cinéma n’a jamais été aussi en danger avec le contexte sanitaire que l’on connaît, mais aussi de la prolifération de l’offre de plateformes de streaming. Au moment de l’élaboration du projet, vous n’avez pas eu cette crainte que le Paradiso fragilise cette idée du cinéma en tant qu’expérience collective ?
Non, car l’hôtel Paradiso n’a aucunement pour vocation de remplacer la salle de cinéma. C’est une proposition complémentaire et son concept ne saura plein que lorsque les salles de cinéma seront rouvertes. C’est un hôtel construit autour du cinéma et l’un n’est pas opposé à l’autre. Notre idée, c’est de créer des points de contact entre le cinéma pour le vivre autant que possible et le plus souvent que possible dans l’idée d’une démarche collective. Le Paradiso n’offre pas forcément d’expérience collective mais donne par exemple la possibilité d’enchaîner des marathons de films. Chose que la salle de cinéma ne permet pas forcément. C’est un lieu où ça n’est pas comme à la maison. Ce n’est ni du home-cinéma ni complètement du cinéma mais où l’on retrouve les basiques du lieu. On a accès à une image et un son que l’on ne peut pas avoir à la maison et à une programmation de films basés sur des propositions de gens et non des algorithmes. Cela donne la possibilité de se laisser surprendre. C’est aussi ça la magie du cinéma : arriver dans un endroit où l’on va aimer ou détester.
C’est un projet que vous souhaiteriez étendre en France voire à l’étranger ?
Bien sûr.
Peut-on avoir davantage de détails ?
Bien sûr que non (rires). C’est encore beaucoup trop tôt pour en parler.
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