Vote par anticipation: pourquoi notre mode de scrutin ne doit pas être "modernisé"
SCRUTIN - Ironie de l’Histoire, ou goût du paradoxe? Alors que les États-Unis sortent à peine d’une séquence électorale dont l’issue chaotique a été rythmée par les accusations — certes délirantes — de fraude au vote par correspondance, le...
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SCRUTIN - Ironie de l’Histoire, ou goût du paradoxe? Alors que les États-Unis sortent à peine d’une séquence électorale dont l’issue chaotique a été rythmée par les accusations — certes délirantes — de fraude au vote par correspondance, le sujet plus large du vote par anticipation revient sur le devant de la scène en France, à l’occasion d’un amendement discuté au sénat, après des propositions similaires, ces derniers mois, de Jean-Louis Debré et François Bayrou.
Si la justification en est honorable — renforcer le nombre de votants — on peut s’interroger sur l’efficacité réelle d’une telle mesure, sur ses dangers, et surtout sur ce qu’elle révèle de notre rapport à la démocratie.
La question de l’abstention
Ce débat se fonde sur une inquiétude légitime, à l’orée des prochaines échéances électorales: celle de l’abstention qui ronge à bas bruit la légitimité de notre système politique. Quelle est son origine? Les tenants du vote anticipé sous toutes ses formes répondent implicitement à cette question: la procédure actuelle de vote en France serait inutilement complexe et peu commode; son expérience utilisateur serait mauvaise et l’amélioration de celle-ci, le meilleur moyen d’inverser la courbe de l’abstention. L’urne, ses assesseurs, ses bulletins en papier, l’isoloir à la mairie ou dans l’école, le dimanche sanctuarisé pour s’y rendre, le temps passé à faire la queue, une manifestation de plus d’une France archaïque à dépoussiérer, uberiser?
Sans doute une partie de l’abstention tient-elle à des problèmes d’ordre pratique, même si le système des procurations, faut-il le rappeler, apporte déjà de la souplesse. Mais peut-on sérieusement penser que parmi tous les facteurs qui déterminent l’abstention, la mise en place de procédures simplifiées ou élargies — vote anticipé, par correspondance, par Internet, voire par Blockchain comme l’ont proposé certains enthousiastes — est prioritaire et surtout souhaitable?
Des risques liés à la modernité
Notre mode actuel de scrutin a des vertus liées à sa “non-modernité”: simple, compréhensible de tous, se déroulant dans une temporalité bien délimitée et selon des procédures transparentes — au premier sens du terme, merci l’urne — et participatives, assesseurs et dépouillement des bulletins en tête. Les systèmes de vote électronique, en admettant même qu’ils soient infaillibles, ne présentent pas ces qualités, car ils ne sont pas “auditables” par tout un chacun, ne serait-ce que pour des raisons de compétence technique. Sans compréhension, pas de confiance, sans confiance, pas de légitimité du résultat; c’est la porte ouverte à tous les doutes et accusations de manipulation, soit l’inverse de l’objectif recherché.
Par ailleurs, le fait d’institutionnaliser des votes anticipés, serait-ce par courrier, ouvre la voie à de nombreux autres risques. Comme cela a été rappelé ces derniers jours, quelle équité du scrutin si un événement d’importance majeure, de nature à modifier la conviction des électeurs, survient entre les premiers votes, par correspondance, et ceux par la voie “normale” le jour J? Quelle assurance de la sincérité et de la liberté de choix de chacun, si l’acte de vote n’a plus lieu dans l’espace préservé et solitaire de l’isoloir, mais dans un contexte soumis à toutes sortes de pressions, familiales par exemple, dans le cas d’un vote par correspondance?
Admettons même que l’on trouve de miraculeuses solutions à tous ces problèmes: on peut craindre que cette volonté de rendre le vote plus commode, ne renforce, au bout du compte, le mal qu’elle est censée combattre. En nourrissant l’idée que le droit de vote, pour lequel on meurt encore dans certains pays, ne serait qu’un service ou une obligation parmi d’autres, une corvée qu’il faudrait rendre plus facile et agréable. Comme si ce n’était pas justement sa désacralisation et sa perte de sens qui constituaient le fond du problème! Peut-on croire une minute que c’est par difficulté à trouver le bureau de vote, ou par manque de temps pour l’atteindre, que la grande majorité des abstentionnistes ne votent plus? Et non par ras-le-bol de la politique, perte de représentativité des candidats et organisations présentés, ou séparatismes en tous genres? Heureusement que les peuples qui se révoltent et se battent pour leur liberté, affrontant des dictatures dans la rue, n’ont pas attendu que les conditions de celles-ci s’adoucissent…
La symbolique de l’acte
Une dynamique démocratique et politique ne se crée pas par des artifices techniques ou technologiques: elle s’exprime tout au plus par eux, et malgré eux le cas échéant. En réduisant le vote à ses conditions pratiques et à leur amélioration, en démultipliant celles-ci, on risque de le dévitaliser un peu plus encore.
Sans doute l’acte de vote est-il plus rugueux et moins naturel que notre quotidien digitalisé, a fortiori en temps de confinement. Tant mieux. Oui, voter n’est pas aussi simple qu’un choix fait en un clic en mode multitâche, sur un onglet de son ordinateur entre une commande sur Amazon et un swipe sur Tinder.
Continuons à faire en sorte que le temps du vote soit un temps d’arrêt, un moment symbolique fort, vécu nationalement à l’unisson – une pause commune dans la vie du pays et la frénésie quotidienne. Et si on veut redonner envie de voter, regardons, plutôt que le doigt de l’urne, la lune de l’horizon politique.
Une tout autre feuille de route apparaît alors: redonner à l’action politique sa lisibilité, à la parole politique sa crédibilité, aux engagements électoraux des résultats tangibles, et aux organisations politiques, une raison d’être indiscutable au regard des problèmes réels des citoyens réels. Autrement dit: remettre la confiance, et le sens, à tous les étages.
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