Votre sommeil est mauvais? C'est peut-être la faute de vos intestins

SOMMEIL - Cela fait maintenant une heure que vous vous retournez dans votre lit… Vous avez tout essayé: compter les moutons, tenter des exercices de respiration, écouter de la musique relaxante… Mais rien n’y fait: impossible de trouver le...

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Ce lien étroit et surprenant entre la qualité de notre sommeil et l’état de nos intestins

SOMMEIL - Cela fait maintenant une heure que vous vous retournez dans votre lit… Vous avez tout essayé: compter les moutons, tenter des exercices de respiration, écouter de la musique relaxante… Mais rien n’y fait: impossible de trouver le sommeil. Quelqu’un, en vous, a laissé la lumière allumée.

Et si cet empêcheur de dormir en rond habitait votre ventre? Et plus particulièrement votre microbiote, composé de ces milliards de microbes – bactéries, virus, parasites – qui peuplent vos intestins? Non, ce n’est pas une histoire à dormir debout: il y aurait bien un lien étroit entre la qualité de notre sommeil et l’état de notre microbiote. 

a été publié dans l’hebdomadaire “La Vie”, retrouvez d’autres contenus connexes

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Brocolis et produits laitiers

Les recherches sur le sujet sont d’ailleurs en plein essor. Les scientifiques examinent notamment le rôle de certaines bactéries capables de produire des somnifères “maison”. Des substances, libérées dans nos intestins, qui seraient acheminées jusqu’au cerveau à travers l’axe microbiote-intestin-cerveau. 

Première d’entre elles, la sérotonine produite à partir du tryptophane, un acide aminé que l’on retrouve notamment dans certains légumes verts comme les brocolis. En novembre 2020, le professeur Masashi Yanagisawa, de l’université de Tsukuba, au Japon, a ainsi étudié le sommeil de deux groupes de rongeurs. Le 1er avait reçu des antibiotiques (qui détruisent la flore bactérienne) pendant quatre semaines, tandis que les souris du second groupe avaient suivi un régime alimentaire normal.

Résultat, le sommeil des souris sous antibiotiques s’est complètement désorganisé! Celles-ci passaient moins de temps en sommeil profond – la phase qui permet de récupérer – pendant leur période de repos habituel, et davantage pendant leur phase normalement active… En clair, après une mauvaise nuit, elles piquaient du nez pendant la journée! Le chercheur a montré qu’en détruisant le microbiote des rongeurs, les antibiotiques avaient notamment stoppé la fabrication de sérotonine, qui est un précurseur de la mélatonine, l’hormone du sommeil.

Où trouve-t-on du tryptophane ?

  • Le riz complet, les graines de seigle germées, les légumineuses.
  • Les brocolis, le chou frisé, les épinards.
  • Les produits laitiers.
  • La viande, les œufs, le poisson.
  • Les arachides, les amandes, noisettes sauvages et noix de cajou.
  • Les protéines de soja, les algues.
  • Les graines de moutarde, la levure de bière.
  • Le chocolat, la banane.

Une autre molécule pourrait jouer un rôle important: le butyrate, un acide gras produit par nos bactéries cette fois à partir des produits laitiers et des fibres présentes dans de nombreux végétaux (asperges, flocons d’avoine, artichauts, ail cru, poireaux, oignons…). Une fois dans notre intestin, le butyrate passe directement dans la veine porte, un gros vaisseau sanguin qui le transporte jusqu’au foie, où il est stocké.

En mai 2019, des chercheurs de l’université de Washington ont donné à manger à des rats des doses importantes de butyrate. Ils ont observé une augmentation de la durée de leur sommeil profond de près de 50%, mais aussi une baisse de leur température corporelle et une réduction des épisodes de sommeil paradoxal (le moment où nous rêvons). Selon eux, le butyrate pourrait jouer le rôle de “signal bactérien” favorisant l’endormissement lorsque celui-ci se fixe sur des récepteurs situés dans la paroi du foie et/ou de la veine porte. Une sorte de marchand de sable qui nous ferait plonger illico dans les bras de Morphée.

Un ballet nocturne de bactéries

Mais cela fonctionne aussi dans l’autre sens! Les nuits blanches ou trop courtes, les insomnies ou même les sommeils fragmentés ont des répercussions sur notre flore bactérienne. Des chercheurs de l’école de médecine de l’université du Missouri ont ainsi analysé les microbiotes de souris, après les avoir placées à intervalles réguliers en hypoxie (lorsque la quantité d’oxygène apportée aux organes et aux muscles par le sang est insuffisante).

Objectif: recréer chez ces rongeurs des troubles proches de l’apnée du sommeil chez l’homme (syndrome d’apnées hypopnées obstructives du sommeil, ou Sahos). Résultat, leur flore bactérienne était altérée à un point tel que, selon les scientifiques, ces modifications pourraient expliquer les pathologies associées habituellement à l’apnée du sommeil, comme les problèmes cardio-vasculaires.

Plus étonnant encore : lorsqu’on transfère ce microbiote modifié chez d’autres souris, par transplantation fécale, celles-ci se mettent à développer des troubles similaires! Comment expliquer de telles interactions? La solution de l’énigme pourrait bien se trouver du côté de la chronobiologie, l’étude des rythmes biologiques.

Les scientifiques examinent aujourd’hui les habitudes quotidiennes de nos bactéries. Car celles-ci sont comme nous: elles suivent un rythme circadien, c’est-à-dire un cycle biologique d’une durée de vingt-quatre heures environ. Notre microbiote accueille principalement deux familles de bactéries, les Firmicutes et les Bacteroidetes, qui le composent à 90%. 

Les Firmicutes sont plutôt du matin: elles s’épanouissent pendant la journée et se font oublier le soir venu. Tandis que les Bacteroidetes sont de vrais oiseaux de nuit! Nos intestins sont le théâtre d’un ballet bien réglé où chaque bactérie joue son rôle au moment où il le faut. Les Bacteroidetes, par exemple, se régalent des fibres des aliments que nous avons ingérés pendant la journée et qui débarquent dans le côlon une fois que nous dormons à poings fermés. 

Vers un régime contre l’insomnie?

Mais il arrive que notre rythme et celui de nos bactéries se désynchronisent. C’est le cas, par exemple, lorsque nous subissons un décalage horaire. Une équipe du Weizmann Institute of Science, en Israël, a ainsi eu l’idée d’analyser les microbes intestinaux de deux volontaires, avant et après un vol des États-Unis vers Israël.

Résultat, le jet lag avait modifié la composition de leur microbiote. Ceux-ci présentaient, en particulier, une proportion plus élevée de Firmicutes, dont la présence en trop grand nombre est souvent le signe d’une perturbation du métabolisme (on en retrouve d’ailleurs une quantité plus importante chez les personnes obèses).

La désynchronisation est provisoire: deux semaines plus tard, lorsque les volontaires se sont remis de leur voyage, leurs microbes étaient également revenus à leurs cycles habituels. Mais si le désordre persiste, si notre rythme quotidien est sans cesse perturbé, le déséquilibre entre Firmicutes et Bacteroidetes peut bouleverser notre métabolisme. C’est alors toute l’alchimie subtile entre les bactéries et leur hôte (nous!) qui est chamboulée.

Comment ce décalage perturbe-t-il nos nuits? Les scientifiques ne le savent pas encore précisément, mais cela pourrait avoir un lien avec notre système immunitaire. Malmenées, ces bactéries cèdent leur place à d’autres microbes plus virulents, qui, eux, vont s’attaquer à la paroi de nos intestins et ainsi provoquer une réponse inflammatoire.

Rien de grave en soi. L’inflammation est un processus clé de notre système immunitaire qui nous permet de combattre les virus, les bactéries pathogènes ou de réagir en cas de blessure. Problème: nous souffrons la plupart du temps d’inflammation chronique, et nos réactions inflammatoires sont souvent trop fortes. Si celle-ci atteint des organes tels que les poumons, elle peut même avoir un impact sur la respiration nocturne et augmenter la probabilité de troubles plus graves tels que l’apnée du sommeil.

Ces pistes devraient révolutionner notre façon de traiter les troubles du sommeil. À l’avenir, nous pourrons sans doute soigner les insomnies non pas avec des somnifères, mais avec un régime alimentaire personnalisé établi après l’analyse du microbiote. Sans aller jusque-là, nous pouvons déjà agir sur la qualité de notre sommeil en respectant quelques règles très simples: proscrire le travail de nuit et surtout manger à heures régulières une alimentation riche en tryptophanes et en fibres. Sans doute le meilleur moyen de passer de bonnes nuits reposantes sur le moelleux de son oreiller.

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